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louise-marie massart

  • Les mémoires « effilochés » d’Anne Degrelle-Lemay

    VII. Servando Balaguer,

    un mari quelque peu chahuté

     

     

    Anne Degrelle Couverture.jpgRevenons une nouvelle fois sur le livre qu’Anne Degrelle (qui, en réalité, se considère comme n’appartenant qu’à la famille Lemay : ce blog au 5 novembre 2022) consacre à son père Léon Degrelle, L’homme qui changea mon destin.

     

    Six longs chapitres nous ont déjà été nécessaires pour documenter, en même temps que notre désappointement, les considérations erratiques de celle qui, prétendant chroniquer la vie de Léon Degrelle, se permet d’en réécrire l’histoire, au prétexte sans doute d’en être la fille, et donc un témoin prétendument privilégié, quoique ne l’ayant plus jamais rencontré entre ses 10 et 21 ans (ce blog à partir du 23 octobre 2022).

     

    Mais là ne s’arrêtent pas les manipulations de la pseudo-mémorialiste. Destinés prioritairement à ses enfants, ses souvenirs liés à son père intègrent également sa propre histoire et celle de sa famille en Espagne (« C’est ainsi qu’a commencé ce récit qui s’est amplifié et transformé en une autobiographie intrinsèquement liée à la biographie de mon père », p. 158).

     

     

    Juan Servando Balaguer : une première rencontre arrangée

     

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    Anne Degrelle-Lemay et son mari Servando Balaguer dans la bibliothèque de leur appartement de la rue Zurbarán, croisant la rue García Morato (aujourd’hui Santa Engracia : ce blog au 10 mai 2023) où se trouvait l’appartement de Léon Degrelle et son épouse Jeanne Brevet : « Ils emménagèrent au numéro 37 de la rue Santa Engracia, très proche de chez nous qui nous étions récemment installés dans la rue Zurbarán, au coin de la rue Almagro. » (p. 122)

     

    Son mari Servando Balaguer y tiendra donc une place. Mais pas celle que l’on aurait pu attendre. Car si nous saurons tout de son addiction au jeu, de sa déchéance et de sa mort navrante, nous ne saurons pas grand-chose de sa relation avec son beau-père Léon Degrelle, ce qui aurait pourtant été évident dans un livre censé lui être consacré.

     

    La première rencontre d’Anne et du jeune Balaguer ainsi que leurs premières relations sont d’emblée placées sous des approximations et équivoques semblables à celles dont elle embarrasse son père. C’est d’ailleurs son futur beau-père, le dentiste de Constantina, Servando José Balaguer, qui retint tout d’abord son attention et son affection, dispositions ne pouvant que se reporter sur le fils qui lui ressemblait en tous points et lui avait été envoyé non sans arrière-pensée, de toute évidence.

     

    « A cette époque, c’est à peine si je commençais à […] connaître [un des amis les plus proches de mon père, Servando José Balaguer]. Je n’ai pu que ressentir la sincérité de son étreinte lorsqu’il me présenta ses condoléances pour la mort de mon frère. Ses yeux reflétaient l’amour qu’il portait à mon père et la tristesse qui l’envahissait lui aussi en voyant souffrir son ami. Il partageait notre souffrance. J’ai bien ressenti alors sa proximité et trois mois après cette rencontre, le destin amena chez moi un garçon qui était son portrait vivant : son fils Juan Servando. Il me raconterait, des semaines plus tard que c’était son père qui l’avait expressément obligé de venir pour m’aider à m’intégrer dans ce nouveau monde si différent de celui que j’avais connu jusqu’alors. » (p. 81)

     

    Plus tard, Anne n’appellera plus celui qui devait être son mari que par son second prénom, qui était le premier de son beau-père. Nous étonnerons-nous dès lors de sa considération suivante :

    « Mon meilleur ami […] ne comprenait pas bien ce qui m’arrivait et je crois que, tout au long de notre vie commune, –car il fut mon mari pendant 40 ans–, il y a toujours eu comme un halo d’incompréhension. » (p. 81).

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    Juan Servando Balaguer, son futur beau-père Léon Degrelle et sa fiancée Anne Degrelle-Lemay. L'amour conjugal d'Anne est « hors raison » et se place dans un « halo d’incompréhension » : « J’étais tombée amoureuse. Le cœur a ses raisons que la raison de connaît pas. » (p. 82).

     

    Le récit de son mariage commence par une nouvelle évocation de son beau-père dont elle retrouvait les qualités chez son fiancé : « Avocat brillant, Juan Servando n’était pas de haute naissance. Ce n’était pas un Mayalde, ni un Serrano Súñer. Son père, de grande culture et d’une intelligence fine, dentiste de profession, était aimé de tous et tout particulièrement de moi. Mon futur mari en avait hérité la façon d’envisager la vie : l’étude, le travail, l’honnêteté et, surtout, l’amour et la joie de vivre. » (p. 100).

    Les souvenirs d’Anne décriront alors son mariage comme une belle fête populaire, d’une joyeuse simplicité, dont l’écho international ne fut causé que par la seule extravagance de son père : « Notre mariage fut célébré le 21 juillet 1962 dans l’église paroissiale de Constantina. Bien évidemment, cet événement ne passa pas inaperçu dans la presse internationale. Mon père, avec un uniforme peu orthodoxe, mais avec la Croix de Fer autour du cou, me conduisit à l’autel au milieu d’une foule joyeuse et bruyante, la population du village qui l’appelait Don Juan de la Carlina, qui l’aimait et qui m’avait également adoptée. Ma robe était magnifique. J’avais donné des cours de français pendant un an à la petite-fille de la couturière. C’est ainsi que je me la suis offerte. Il était midi. Midi d’un 21 juillet dans la chaleur estivale andalouse. Après la cérémonie, la moitié du village monta jusqu’à La Carlina. Pas d’invitations ni de protocole. Du jambon, du bon vin et des rafraîchissements pour les enfants. De la musique, des guitares, de la joie… Je ne sais pas à quelle heure cela se termina car nous partîmes rapidement à Séville où commença notre lune de miel. » (pp. 101-102).

    Quelle concision dans l’évocation d’un des événements les plus marquants de sa vie ! Conduite à l’église par son père bizarrement accoutré, elle-même portant une belle robe payée avec ses propres économies, une fête villageoise d’une effervescence spontanée typiquement espagnole…

     

    Livre Anne 101.jpegÀ l’issue de la cérémonie religieuse, Anne et son époux Juan Servando Balaguer sortent de l’église Santa María de la Encarnación de Constantina (voir la photo où son père la conduit à l’autel, sur ce blog au 20 décembre 2022).

    Une nouvelle fois, la cartésienne s’est muée en romanesque ! Pas d’invitations ? Un costume bizarre ? Une robe payée de ses deniers ?

     

    Anne vient d’évoquer l’origine modeste de son mari qui n’était ni le comte de Mayalde, ni le ministre Serrano Súñer. Néanmoins, ces personnalités, et tant d’autres, figuraient pourtant parmi les cent cinquante convives, bel et bien invités à la noce, famille et amis (y compris des officiers américains de la base aérienne proche : ce blog au 23 octobre 2022) : « Parmi les invités qui assistèrent au mariage, se trouvaient Jaime de Mora y Aragón, le frère de Fabiola, la reine des Belges ; l’ex-ministre et beau-fils de Franco, Ramón Serrano Súñer ainsi que le colonel Otto Skorzeny, le héros de l’épopée de la libération du Duce, et le chef des commandos spéciaux » (José Luis Jerez Riesco, Degrelle en el exilio, p. 286).

     

    Anne parle de l’ « uniforme peu orthodoxe » de son père, « avec la Croix de Fer au cou ». C’était « en réalité l’habit de gala de la Phalange Espagnole que Léon Degrelle pouvait porter de par son appartenance à la Vieille Garde de la Phalange depuis 1934. » (Ibidem, p. 287, ce blog au 25 octobre 2019). Quant à « la Croix de Fer au cou », tout le monde aura compris qu’il s’agissait de la cravate de la Croix de Chevalier de la Croix de Fer avec Feuilles de Chêne.

     

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    Léon Degrelle et sa sœur Louise-Marie dans un restaurant de Grenade, vers 1960.

     

    Enfin, lorsqu’Anne insiste sur sa belle robe acquise en échange de cours particuliers, nous nous étonnerons que, pour une fois, elle ne s’interroge pas sur l’origine des fonds qui permirent d’assurer toute la pompe de sa cérémonie nuptiale et l’organisation de la réception fastueuse dans les luxuriants jardins de La Carlina. Car, à ce moment, Léon Degrelle se débattait dans les insurmontables difficultés du financement de ses travaux immobiliers qui l’amèneront à une faillite inéluctable (ce blog au 23 octobre 2022). Ignorerait-elle, –ainsi que l’expliqua son papa dans une lettre à sa sœur Louise-Marie du 17 septembre 1969–, que pour couvrir les frais du mariage de sa fille et lui donner tout le lustre qu’il estimait indispensable, il n’hésita pas à brader son plus fameux incunable du XVe siècle comportant quelque deux mille gravures ?

     

    « Halo d’incompréhension » encore que cette comparaison entre la jalousie du père et celle du fils, la victime étant finalement toujours Anne…

    « Mon mari avait reçu une éducation stricte de son père, machiste andalou convaincu qui, au début de nos fiançailles, voyait d’un mauvais œil la permissivité de son fils à mon égard. Ooooh, quel péché ! Je pouvais m’habiller comme je voulais : petites robes sans manches, pantalons courts, maillots de bain, etc. Grand scandale dans un village de la montagne sévillane dans les années 60. Mais il se convainquit rapidement que j’étais une fille bien et que mon amour pour son fils ne pouvait laisser prise à aucun soupçon. […] J’avais parfois pitié de ma belle-mère et je la laissais se défouler sur moi. Elle finissait toujours par se convaincre que si son mari était jaloux comme le Maure de Venise, c’était parce qu’il l’aimait énormément. En définitive, tout cet atavisme remontait à bien des siècles et cela m’amusait. Mon mari aussi était jaloux et plus d’une fois il s’affronta verbalement à des garçons qui, d’après lui, me regardaient avec trop d’insistance. Moi, cela me faisait beaucoup rire, mais les dragueurs nous plaisent toujours à nous les filles, pourvu qu’ils soient beaux et respectueux […]. » (p. 124-125)…

     

     

    Servando Balaguer, l’homme politique

     

    Que saurons-nous d’autre sur Servando Balaguer ? Pas grand-chose, à part des manifestations de « halo d’incompréhension », comme celle-ci, pourtant antérieure encore au mariage, relative aux rencontres, dont raffolait Anne, avec les comtes de Mayalde ou la famille du ministre des Affaires étrangères et beau-fils du Caudillo, Ramón Serrano Súñer : « Mon fiancé n’appréciait guère cette vie sociale qu’il devait partager avec le milieu de son futur beau-père. » (p. 89).

     

    Et pourtant c’est avec enthousiasme qu’il deviendra un acteur important de la vie politique espagnole au sein du mouvement nationaliste Fuerza Nueva. Mais, –nouvel « halo d’incompréhension » ?–, ce serait à son épouse Anne qu’il serait redevable d'avoir pu rencontrer le président Blas Piñar : « Mon mari écrivit en mon nom à Don Blas pour le remercier de la position de la revue Fuerza Nueva qu’il dirigeait personnellement. » (p. 112).

     

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    Il s’agit du fameux éditorial de février 1972, Ceux qui ne pardonnent pas, qui provoqua la saisie de l’hebdomadaire nationaliste où Blas Piñar protestait contre l’ordre de recherche et d’arrestation (busca y captura) de Léon Degrelle par le gouvernement d’Opus Dei (ce blog aux 25 mai 2019 et 3 janvier 2023).

     

    Dans le troisième volume de ses mémoires (La pura Verdad, 2001), Blas Piñar donne cependant une version quelque peu différente, s’honorant de l’amitié plus du gendre de Léon Degrelle, que du mari d’Anne : « Cet article m’a valu des déboires –comme la saisie de ce numéro de la revue, mais l’article fut quand même repris dans le numéro suivant–, et m’a procuré aussi des satisfactions. L’une d’entre elles fut la visite de remerciement ainsi que l’amitié de Juan Servando Balaguer Parreño, le beau-fils du Chef rexiste. » (p. 308).

     

    C’est cette rencontre qui précipita la carrière politique de Servando, Anne se réservant néanmoins un rôle de mouche du coche rexiste : « La politique en général nous plaisait à tous deux. Nous commençâmes à assister à de nombreux meetings organisés par le parti. Sa ligne me rappelait beaucoup REX et ses aventures dont je connaissais tant de choses pour avoir écouté mon père pendant les longues heures de discussions des premières années de ma vie espagnole que j’ai partagées avec lui. Mon mari commença vite à faire partie de l’équipe politique. Il était aussi un grand orateur et participait aux réunions organisées aux quatre coins des provinces espagnoles. Il endossait chaque fois plus de responsabilités dans le parti et, dans les années 70, il créa la branche Fuerza Joven. Il se chargea personnellement de la formation humaine et politique des jeunes du parti dans une ambiance de respect et de discipline. Toute cette jeunesse l’aimait et l’appréciait énormément. » (p. 112).

     

    Soyons néanmoins de bon compte : Blas Piñar appréciait beaucoup Anne dont il salue à plusieurs reprises dans son ouvrage l'implication politique dans les activités du mouvement Fuerza Nueva, notamment à l’occasion d’un meeting de l’Eurodroite à Marseille, le 10 novembre 1978 : « Mon discours, en français, m’avait été traduit avec un soin particulier par Anne Degrelle. » (La Pura Verdad, p. 242).

     

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    Grand meeting de Fuerza Nueva dans les arènes monumentales de Las Ventas (près de 30.000 personnes) à Madrid pour célébrer, le 18 juillet 1979, le quarante-troisième anniversaire du soulèvement national contre le Front populaire et ses exactions « révolutionnaires ». La réunion était placée sous le signe de l’Eurodroite, avec la participation de délégations, entre autres, italienne (MSI), française (Parti des Forces Nouvelles) et belge (Front de la Jeunesse). C’est Servando Balaguer qui animait la réunion, présentant les différents orateurs précédant Blas Piñar, le plus fameux tribun d’Espagne, et, en conclusion de cet Acte d'affirmation nationale, proposant à l'auditoire survolté d'entonner les hymnes patriotiques.

     

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    Servando Balaguer au meeting du 18 juillet 1979 dans les arènes de Madrid : il entonne l’Oriamendi (marche du mouvement légitimiste, du nom de la ville basque où les partisans de Charles, frère du défunt roi Ferdinand VII, emportèrent la victoire lors de la première guerre carliste). Suivront le Cara al Sol, chant de la Phalange écrit par José Antonio Primo de Rivera lui-même, ainsi que l’hymne national espagnol, resté sans paroles, mais, ici, avec un texte de Fuerza Nueva, chanté avec ferveur par la foule.

    Comme Anne ne dit rien de plus des impressionnantes activités politiques de son mari, précisons que Servando Balaguer était pratiquement devenu le bras droit de Blas Piñar qu’il remplaçait dans les événements auxquels il ne pouvait participer. Ainsi, par exemple, des congrès du Parti des Forces Nouvelles français de 1978 et 1979 ou de la campagne électorale italienne en Sicile en décembre 1978 où il sut remplacer avec éloquence le leader de Fuerza Nueva retenu à Rome par une audience privée avec le pape Jean-Paul II. Il noua également des liens privilégiés avec les nationalistes belges : « Juan Servando Balaguer participa, au nom de Fuerza Nueva, au camp du Front de la Jeunesse (plus tard, Forces Nouvelles) en décembre 1977 ; à son IIIe Congrès, le 18 avril 1978, où il prononça un des discours de clôture » (La PuraVerdad, p. 306).

    C’est lui qui représenta également Fuerza Nueva au « Meeting de l’Eurodroite » de Bruxelles, le 2 juin 1979, organisé par le Front de la Jeunesse belge. Celui-ci ne participait évidemment pas aux élections européennes du 10 juin suivant, mais il s’agissait d’offrir une tribune au président du Mouvement Social Italien, Giorgio Almirante, pour s’adresser à la forte communauté italienne de Belgique.

    Non seulement le meeting fut interdit par le bourgmestre libéral de Bruxelles sous l’éternel prétexte de « risque de troubles à l’ordre public », mais comme le meeting avait été remplacé par une conférence de presse dans la grande salle de bal de l’Hôtel Métropole, un arrêté ministériel fut pris en extrême urgence et signifié par deux agents de la Gendarmerie à Giorgio Almirante au moment même où il allait prendre la parole.

     

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    Il y eut effectivement des troubles à l’ordre public provoqués impunément par les bandes gauchistes : la terrasse du rez-de chaussée du Métropole fut saccagée et toutes ses vitrines brisées ; les voitures particulières endommagées ne furent que des « victimes collatérales »...

     

    Face à une telle violation de la liberté d’expression d’un député italien, candidat aux élections européennes, garantie par la loi électorale, tous les orateurs ne purent que protester vainement, Servando Balaguer soulignant surtout le ridicule dont l’Etat belge se couvrait. C’est alors qu’un « journaliste » de la télévision belge l’interrompit en vociférant : « Parce que lorsque vous étiez au pouvoir avec Franco, il y avait plus de liberté, sans doute ? » Répondant du tac au tac, le responsable de Fuerza Nueva pour les relations avec les mouvements européens asséna cette évidence sans réplique : « Bien sûr ! Il y avait tellement de liberté et tellement de tranquillité chez nous que c’est en Espagne que, chaque année, le Roi des Belges Baudouin est venu passer ses vacances ! » (Fuerza Nueva, 9 juin 1979).

    La photo ci-dessous montre la tribune de la conférence de presse de l’Hôtel Métropole : de gauche à droite, Pascal Gauchon (Parti des Forces Nouvelles, France) annonce un « meeting de réparation » à Strasbourg, tout juste deux jours avant les élections, « où Giorgio Almirante ne risquera pas d’être empêché de parler ! », Giorgio Almirante (MSI, Italie) sous le coup de l’interdiction de s’exprimer qui vient de lui être signifiée, Francis Dossogne (Front de la Jeunesse, Belgique), Elie El Turk (Forces Nouvelles, Liban) et Servando Balaguer (Fuerza Nueva, Espagne).

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    Servando Balaguer veilla-t-il Franco avec Léon Degrelle ?

     

    La seule anecdote rapportée par Anne où son mari et son père eussent pu être réunis est celle de la mort de Francisco Franco et la présentation de sa dépouille dans une chapelle ardente au Palais d’Orient.

    Anne décida d’y emmener ses trois aînés afin de rendre hommage au Caudillo « pour avoir donné l’hospitalité à mon père Léon Degrelle en tant que réfugié politique. […] Nous quittâmes la maison à quatre heures de l’après-midi et ne pûmes passer devant le cercueil que le lendemain matin vers trois heures. » (p. 112).

    C’est en se présentant devant le défunt que, stupéfaite, elle reconnaît au côté du cercueil… son mari Servando : « Enfin, vers les 3h30 du matin, nous passâmes devant le corps de Franco et quelle ne fut pas ma surprise et celle de mes enfants en voyant mon mari veiller le cercueil, avec cinq autres garçons de Fuerza Joven, portant impeccablement leur uniforme ! Même lui ne pouvait s’y croire ! » (p. 113).

     

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    Congrès des responsables régionaux de Fuerza Joven, le 12 octobre 1979, en uniforme impeccable, chemise bleue de la Phalange et bonnet rouge de la Communion Traditionaliste : au premier plan, Servando Balaguer est accroupi au milieu, devant le premier rang, le regard tourné vers sa droite.

     

    « Quelques jours plus tard, mon père vint manger à la maison. Il me raconta qu’il ne pouvait assister publiquement à aucune de ces manifestations de deuil. La presse étrangère était trop nombreuse et il devait se cacher. » (p. 113).

     

    Sauf qu’à ce moment, Léon Degrelle n’avait plus aucune raison de se cacher : l’ordre de « busca y captura » était devenu caduc depuis que le gouvernement belge avait pris, le 17 décembre 1974 (soit près d’un an auparavant !), un arrêté ministériel le déclarant « étranger indésirable ». Ce qui rendait désormais impossible toute demande d’extradition. Aussi, tirant parti de cette nouvelle situation, l’encombrant exilé en profita-t-il pour se lancer dans de nouveaux projets immobiliers en Andalousie, sans manquer de se rappeler au bon souvenir de ses compatriotes en publiant ses fameuses Lettres à mon Cardinal dont plus de dix mille exemplaires seront vendus !

     

    Sauf aussi qu’à l’instar de Servando Balaguer, Léon Degrelle participa lui aussi à la veillée du corps du Généralissime Franco. Et que cela ne passa évidemment pas inaperçu dans la « presse étrangère » !

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    En effet, une dépêche de l’Agence France Presse datée du 26 novembre 1975 signala le malaise cardiaque dont souffrit Léon Degrelle à l’issue de sa veillée du défunt, le surlendemain de la mort du chef de l’État espagnol : « L’ancien chef du rexisme belge Léon Degrelle, a été frappé d’une attaque cardiaque dans la nuit du 22 au 23 novembre après avoir veillé pendant deux heures la nuit le corps du général Franco au palais d’Orient, apprenait-on mercredi à Madrid. »

     

    Cette dépêche de la célèbre agence de presse française fut reprise par la plupart des journaux belges ainsi que par la presse internationale.

     

    Léon Degrelle lui-même confirma cet incident à un journaliste de l’hebdomadaire argentin Siete Dias ilustrados : « Devant la dépouille de Franco, qui était son ami, l’homme demeura deux heures dans une attitude pensive, une attitude de recueillement. Quand il sortit, le jour se levait sur la grande esplanade. Les soldats achevaient les préparatifs pour dresser l’autel et les tribunes où allaient se célébrer les funérailles quelques heures plus tard. […] Cet homme grand et fort, Léon Degrelle, fondateur et Chef du mouvement rexiste belge, vacilla et s’écroula devant la porte du Palais, terrassé par une crise d’angine de poitrine.

    Léon Degrelle : Une fois de plus, j’ai échappé à la mort, comme en mai 1940 à Abbeville […]. J’ai plus de vies qu’un chat ! –constate-t-il en souriant. En Ukraine et au Caucase […], j’ai survécu à sept blessures et onze fractures. Et j’ai échappé aussi à la mort, malgré tous mes os brisés, quand je me suis écrasé en avion dans le Golfe de Gascogne et, plus tard, à Séville quand on a voulu m’enlever […]. » (19 juillet 1976).

    Siete Dias 19.07.1976.jpgAlors, pourquoi Anne propose-t-elle cette carabistouille ? A-t-elle voulu faire de son mari le seul membre de sa famille à avoir été la sentinelle du défunt Caudillo ? Ou voulait-elle cacher que la veillée inattendue de son père exprimant sa reconnaissance pour la fidèle protection que lui assura Francisco Franco ne fut possible que par la présence de son propre mari dans la chapelle ardente ? De Servando qui ne pouvait rien refuser à son beau-père qu’il admirait sans les réserves fantasmagoriques entretenues par sa femme ? Toujours ce « halo d’incompréhension »...

     

     

    Servando Balaguer, avocat de Léon Degrelle

     

    Anne n’en dira pas plus et ne parlera plus de son époux que pour chroniquer sa dépendance fatale au jeu ainsi que son décès. Et c’est bien dommage car, ce faisant, elle passe, par exemple, totalement sous silence son rôle d’avocat, pourtant déterminant, dans la défense de Léon Degrelle attaqué par Violeta Friedman, Vénézuélienne d’origine juive vivant en Espagne. L’affaire avait pourtant commencé par la prétention du rabbin Abraham Cooper et de la Fondation Simon Wiesenthal de Los Angeles d’offrir un million de dollars pour la capture de Léon Degrelle, prétention qu’a justement dénoncée Anne dans son livre (ce blog au 3 janvier 2023). En juillet 1986, Violeta Friedman perdit son procès contre Léon Degrelle qu’elle accusait d’avoir douté de la mort de juifs dans des chambres à gaz en répondant à un journal espagnol qui lui demandait de réagir à la mise à prix de sa tête. Elle interjeta appel de cette décision.

     

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    « A nouveau, le tribunal venait d’acquitter Léon Degrelle, soulignant l’absence absolue d’intérêt à agir de la part de la plaignante. À l’issue de l’audience, Violeta Friedman, s’adressant aux photographes de presse couvrant l’affaire, leur dit d’un ton autoritaire : Photographiez-les bien tous pour que nous puissions les ficher ! Elle parlait des jeunes idéalistes présents dans le prétoire. » (Degrelle en el exilio, p. 474)

     

    Les remous médiatiques et les multiples plaidoiries de cette affaire à rebondissements mériteraient certainement d’être retracés méticuleusement. Contentons-nous ici de n’en évoquer que les principales étapes telles que les retrace José Luis Jerez Riesco dans son Degrelle en el exilio, récit d’autant plus intéressant que lui-même, jeune avocat, put assister le conseil principal de Léon Degrelle, le gendre de celui-ci, Servando Balaguer :

    « La défense de Léon Degrelle […] fut confiée à son beau-fils, Servando Balaguer, accompagné et assisté, en toge, à la barre, par son ami, l’avocat José Luis Jerez Riesco. […] Le verdict rendu le 9 février 1988 fut favorable à Degrelle, […] estimant que les propos tenus par Léon Degrelle à la revue Tiempo ne relevaient aucunement d’ expressions ou de faits personnels et que, à aucun moment, il n’avait fait quelque référence à Violeta Friedman ni à sa famille et que [le tribunal] se refusait à se prononcer sur des considérations à caractère historique ou politique. […] Le 5 décembre 1989, le Tribunal Suprême [saisi en cassation] confirma en tous points le verdict de l’Audiencia Territorial, rejetant le recours et donnant entièrement raison à Léon Degrelle […].

    C’est alors que, le 12 janvier 1990, une requête individuelle de protection [« recurso de amparo »] fut introduite devant le Tribunal Constitutionnel. […] Léon Degrelle était représenté par le procureur Francisco de las Alas Pumariño y Miranda, assisté par l’avocat Juan Servando Balaguer Parreño. […] Le jugement 214/91 de ce Tribunal Constitutionnel, politisé par la procédure de sélection de ses magistrats, fut rendu le 11 novembre 1991. […] Ce fut la consécration de la criminalisation du droit à la liberté d’expression sur certains faits historiques. Le jugement était bref et disait textuellement : 1) Déclarer nuls les jugements [précédents] ; 2) Reconnaître à la plaignante le droit à l’honneur. » (pp. 472-480).

     

    José Luis Jerez Riesco termine cependant ce chapitre en relevant que le Tribunal Constitutionnel est revenu sur ce jugement le 7 novembre 2007, de sorte que « en Espagne, du moins, on peut étudier l’Histoire de manière contradictoire dans la recherche de la vérité. […] Léon Degrelle a finalement gagné cette bataille juridique car il avait raison, au-delà de la mort. » (p. 484).

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    Ultime désillusion de Léon Degrelle lisant dans le quotidien El País du 12 novembre 1991 l’annonce du dernier verdict qu’il put connaître : « La Cour Constitutionnelle protège Friedman contre l’incitation à la haine contre les juifs de l’ex-chef des SS Degrelle » ! Seize ans plus tard, il obtiendra pourtant justice, le Tribunal Constitutionnel revenant sur ce jugement : « À l’instar du Cid Campeador, Léon Degrelle a gagné sa bataille juridique au-delà de la mort ! » (José Luis Jerez Riesco, Degrelle en el exilio, p. 481).

     

     

    Servando Balaguer au décès de Léon Degrelle

     

    Pour Anne Degrelle-Lemay, le rôle de Servando Balaguer au cours des heures tragiques du décès de son papa s’est strictement limité à celui de conducteur d’automobile. Aussi n’occupe-t-il aucune place (et n'est pas autrement évoqué que sous le vocable « mon mari ») dans L’agonie et la mort de mon père, le chapitre le plus sensible de ses mémoires. Et pourtant…

     

    En vacances à la Costa del Sol, Anne fut la première à être appelée au chevet de son père : « Je savais qu’il ne survivrait pas à ce dernier combat. Il respirait avec difficulté. Son cœur et ses poumons s’affaiblissaient. J’étais assise à ses côtés, anxieuse mais sereine, tenant ses mains entre les miennes. De temps en temps, il ouvrait les yeux et son regard me semblait absolument conscient, comme s’il voulait exprimer quelque chose : la peur, la douleur (mais pas physique, car il était sous calmants), des questions... C’étaient des éclairs de regard qui sont restés gravés dans mon esprit.

    Ma fille et des amis se relayaient devant la porte, dans le couloir, pour que personne ne vienne déranger ces heures ultimes de contact intime entre un père et sa fille. […]

    Les premiers qui arrivèrent furent mon fils Juan avec ma sœur Christine et mon mari au volant de la voiture. Godelieve et son mari les suivaient depuis Madrid. Notre ami Alex se chargea de prévenir les amis de mon père […].

    Néanmoins, quand il expira, nous étions seuls, mon fils Juan et moi, à ses côtés. Sa figure se transforma. Tout signe de douleur ou d’angoisse avait disparu, jusqu’aux rides de sa peau de 88 ans. Il n’exprimait plus que la paix.

    A ce moment, moi qui avais eu souvent des crises de foi, j’éprouvai un immense sentiment de Paix. Y avait-il un Au-Delà où un dieu miséricordieux l’attendait ? Le bonheur qu’exprimait son visage à cet instant me bouleversa. Voulait-il me transmettre quelque chose ?

    Je ne veux pas m’étendre sur l’émoi international que provoqua son décès. Ajouter seulement que mon fils fut le seul qui veilla son corps dans le funérarium de Malaga toute la nuit du Vendredi Saint jusqu’à ce que, le samedi, l’entreprise de pompes funèbres se charge de l’incinération.

    Mon mari, mes enfants et moi rentrâmes à Madrid, essayant de retrouver une vie éloignée de la presse et des commentaires de la radio et de la télévision. » (pp. 139-140).

     

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    L’hôpital Parque San Antonio sur l’avenue longeant la plage de Malaga.

     

    Fiche Malaga De Schutter.jpgCorrigeons simplement ce récit avec le rare témoignage d’une personne présente, le photographe Jacques de Schutter qui a rédigé une « fiche de voyage » sur son séjour à Malaga en ces moments dramatiques :

     

    « On va vers la clinique. Chantal [fille aînée de Léon Degrelle] va et revient après un certain temps. C’est là qu’on apprend que Léon a été transféré au crématorium. Jeanne est à l’hôpital : là aussi, c’est la catastrophe… très malade… poumon atteint… etc., etc. Elle ne pourra même pas assister à la crémation de son mari. Drame complet ! Taxi. On part à 30 km de Malaga pour le crématorium. La fille de Jeanne, Caroline, nous accompagne. On arrive au crématorium sur les hauteurs de Malaga. Toute la famille est là : les quatre filles, Chantal, Anne, Godelieve, Marie-Christine, avec leur mari et leurs enfants respectifs.

    Chambre mortuaire. Derrière une vitre, le cercueil est là, avec Léon Degrelle. Office funèbre. Messe. Je suis tout près du cercueil dans un bois sombre de couleur acajou, bords arrondis, un Christ sur le dessus. Il est à ma droite. Des fleurs : une couronne d’œillets roses, blancs et rouges ; des roses rouges, cinq ou six maximum ; des orchidées… La cérémonie est très intime, maximum vingt personnes. Office religieux. Pas de communion ni de musique –nous sommes le Vendredi Saint.

    Léon Degrelle est mort à 23h, le jeudi 31 mars 1994. La crémation a eu lieu le vendredi 1er avril 1994 à 23h (il fait nuit).

     

    C’est Raymond Van Leeuw qui gère les opérations à 23h. Il n’y a que des hommes ! Toutes les familles sont rentrées à Malaga. Restent sur place le mari d’Anne [Servando Balaguer], le mari de Godelieve, le mari de Marie-Christine et deux ou trois autres personnes hommes.

    Raymon Van Leeuw leur demande de le suivre et de l’accompagner pour la fermeture du cercueil. Aucun d’entre eux n’acceptera ou ne souhaite participer à cette opération !

    Raymond me demande de l’accompagner pour la fermeture du cercueil. J’accepte. Nous n’étions que deux !

    Après la crémation, au bout d’un certain temps, l’urne est récupérée et délivrée avec un document (papier) qui a été remis ainsi que l’urne au mari d’Anne [Servando Balaguer] qui n’a pas voulu en prendre possession !... et l’a donnée à Vermeire… Alors que la demande impérative de Léon et de Jeanne voulait que l’urne soit remise à Raymond.

    Après, tout le monde se sépare. »

     

    Servando Bibliothèque.jpg« C’est l’époque [les années 70] où j’ai le plus aimé et admiré mon mari. Il avait un cabinet d’avocats qu’il avait monté quelques années auparavant avec deux collègues et qu’il garda jusqu’à sa mort. […] Ce fut une époque positive pour nous deux. Une dizaine d’années avait passé depuis notre arrivée à Madrid. Nous avions quatre enfants merveilleux. Notre vie professionnelle et… sentimentale allait bien. » (p. 110).
    Les points de suspension de la dernière phrase sont d’Anne. Toujours ce « halo d’incompréhension ».

  • Les mémoires « effilochés » d’Anne Degrelle-Lemay

    II. Anne Degrelle ou Anne Lemay ?

     

    Anne + LD 1958.jpg

    Une des toutes premières photos, probablement prise dans un bar de Constantina, d’Anne Degrelle avec son père chez qui elle est arrivée en juillet 1958. Léon Degrelle porte une cravate et un brassard noirs en signe de deuil pour son fils Léon-Marie, mort dans un accident de la circulation, le 22 février précédent.

     

     

    Anne Degrelle Couverture.jpgNous avons terminé la première partie de notre présentation des mémoires d’Anne Degrelle-Lemay (ce blog au 23 octobre 2020) par l’attitude surprenante de son père à son égard : « Pour lui, j’avais grandi dans un milieu hostile. Même lorsque je lui disais qu’il n’y eut jamais de commentaire haineux à son égard de la part de la famille Lemay, il en voyait le résultat dans ma prédisposition à douter. » (p. 93).

     

    Doutes qui se manifestèrent dès le tout premier contact : « Il n’était pas cette personne terrible que nous devions absolument fuir “pour notre sécurité”, comme on nous l’avait répété pendant tant d’années. Nous étions deux personnes qui se cherchaient, qui se regardaient, qui enlevaient des barrières. Nous faisions connaissance, mais toujours avec méfiance en ce qui me concerne ; et lui, il se rendait compte que j’avais encore du mal à l’inclure dans ma vie. » (p. 67).

    Et Léon Degrelle avait sans doute bien raison de soupçonner l’hostilité plus subtile que la famille Lemay instilla dans l’esprit de ses enfants. C’est Anne qui l’explique encore, à l’occasion d’une affirmation semblable d’apparent détachement des Lemay à son encontre : « Je ne puis qu’affirmer que je n’ai entendu de la bouche de ma grand-mère ou de n’importe lequel de mes oncles la moindre parole négative sur mon père. On ne parlait tout simplement pas de lui et, plus incroyable encore, nous ne posions pas de questions non plus sur lui. C'était un sujet tabou. Le simple fait de prononcer son nom pouvait nous mettre en danger. » (p. 42).

    Mais ce n’est pas du détachement ou de l'insensibilité, c’est de l’anxiété mêlée de suspicion, comme le reconnaît d’ailleurs Anne un peu plus loin : « Je lui expliquais que je ne pouvais relever ni estime ni aversion de la part de la famille Lemay. À peine de l’indifférence apparente, mais aussi de la peur, de la crainte d’avoir à répondre à des questions embarrassantes de notre part » (p. 93).

    Mais tout cela est-il bien vrai ? Anne nous laisse quand même entendre que les propos des Lemay sur Léon Degrelle n’étaient finalement pas si équivoques que cela, comme elle l'admet dans le récit de sa première rencontre avec son père : « Il n’était pas cette personne terrible que nous devions absolument fuir “pour notre sécurité”, comme on nous l’avait répété pendant tant d’années. » (p. 67). Elle le confirme encore dans le compte rendu de ses conversations à La Carlina : « C’est là que j’ai appris de vive voix ce qu’avait été la vie de cet être mystérieux et redoutable qu’on m’avait décrit durant toute mon enfance. » (p. 128).

    Pourquoi, d’ailleurs, la famille Lemay aurait-elle sinon utilisé toutes les ressources de la damnatio memoriae à l’encontre de leur parent par alliance, à savoir le silence, la calomnie et l’iconoclasme : « C’était un sujet tabou. Le simple fait de prononcer son nom pouvait nous mettre en danger. De sa vie et de ses erreurs politiques, de sa “responsabilité” dans le malheur de tant de gens, on ne parlait jamais. À la maison, il n’y avait aucune photo qui pouvait nous le rappeler. On en avait même découpé quelques jolies, comme celle où nous étions avec lui, ma sœur Chantal et moi, et que je lui ai montrée des années plus tard. “Ils m’ont guillotiné !” me dit-il, plaisantant toujours avec les choses les plus tristes… » (p. 42). Cette iconoclastie se voulait d’ailleurs systématique : « Malgré les soins attentifs de la famille Lemay pour découper les photos sur lesquelles apparaissait mon père, j’ai quand même pu l’apercevoir sur certaines d’entre elles. » (p. 66).

     

    Photo coupée Chantal+Anne.jpeg

    Anne publie dans son livre (p. 43) une photo où elle figure avec sa sœur Chantal (à gauche) : la famille Lemay a pris soin d’enlever la tête de Léon Degrelle (on en voit toutefois la main gauche autour de la taille d’Anne), en déchirant la photo à la main et non aux ciseaux, comme en témoigne les bords arrachés autour de la tête des enfants.

     

    L’éducation ainsi reçue par Anne a laissé de telles traces évidentes que son père perçoit les réticences de sa fille dès le premier abord : lorsqu’elle débarque à Séville qui l’enivre de son atmosphère lumineuse et paradisiaque, Léon Degrelle n’est pas dupe : « Mon père était également déconcerté, pas à cause des palmiers ni du parfum des jasmins, mais par ma réaction. » (p. 67). Elle précise en effet que sa première attitude en rencontrant son père fut celle de la méfiance : « À ce moment, il fallait encore que de nombreux doutes disparaissent pour que j’aie totalement confiance en lui. » (p. 67). Et cette confiance est-elle possible puisque son frère les avait quittées, sa mère et elle, pour rejoindre « le responsable de tous [leurs] malheurs », –chose dont elle ne veut même pas « essayer de comprendre les raisons » (p. 61) ? Son attitude, en découvrant son père, n’a pu que trahir pareils sentiments embarrassés.

    C’est que « jamais mon père ne renonça à nous retrouver, à récupérer ses enfants ». Alors que, toujours, la famille Lemay fut résolue à l’en empêcher : « La famille de ma mère, comme d’authentiques garants de notre sécurité, essayait de nous emmener d’un endroit à l’autre, d’un collège à l’autre, s’efforçant d’égarer ces pseudo-détectives qui essayaient de nous localiser et de nous suivre à la trace, toujours à l’affût. » (p. 61).


    Le récit de l’enfance d’après-guerre d’Anne donne plusieurs exemples de ces parties dramatiques de cache-cache dans la Dordogne de son oncle Manu qui l’y recueille, et jusqu’au collège où il l’a mise en pension dans les Alpes : « De notre séjour à Annecy, demeurent quelques témoignages photographiques : Chantal, Godelieve et moi, portant l’uniforme du collège, sur la balustrade en fer forgé d’un pont près du lac.

    Lac Annecy Chantal God Anne.jpeg

     

    Mais qui a pris cette photo ? […] Notre père dont on nous cachait tout afin de nous protéger (mais on ne nous l’a expliqué que bien après) ? Des années plus tard, en regardant cette photo, mon esprit de détective a commencé à assembler les pièces du puzzle et j’eus la certitude que les auteurs de ce reportage clandestin n’avaient pu qu’être les limiers de mon père. Cinq enfants ne disparaissent pas sans laisser de trace. Leur recherche ne pouvait cesser avant d’avoir porté ses fruits, dix ans plus tard. Je m’imagine l’angoisse de ma grand-mère et de mes oncles devant effacer tout indice et rester en alerte permanente pour empêcher qu’ils puissent atteindre leur objectif et nous emmener chez lui. » (p. 37).

    « Mais nous demeurions cachés. C’était vraiment la volonté de la famille de ma mère de nous mettre à l’abri des agents de mon père. Ma famille maternelle craignait qu’il nous kidnappe. Le Puy-Haut était l’endroit idéal. Mais depuis l’Espagne, mon père n’abandonnait pas et je le comprends aujourd’hui… Un jour, mon oncle Manu arriva à la maison hors d’haleine après avoir monté en courant la côte du Puy-Haut. Il nous demanda de nous cacher et, surtout, de ne pas aller sur la terrasse. Une voiture immatriculée en Espagne venait d’arriver au Chaubier (sa maison ainsi que la nôtre pendant trois ans). Mon oncle était parvenu à les semer, je ne sais pas encore comment, mais on n’a plus entendu parler de ces détectives espagnols… provisoirement. » (p. 42).

     

    On le voit, si les Lemay ne disent pas crûment de mal de leur beau-fils, beau-frère ou mari, ils se conduisent envers lui comme envers un pestiféré ou un malfaiteur. Anne y insiste d’ailleurs : « Durant toute notre vie, [ma mère] avait lutté pour nous tenir à l’écart de son influence, de l’incertitude d’une vie dont elle a toujours voulu nous tenir éloignés » (p. 72) ; « Ce n’est qu’un exemple du souci permanent avec lequel [ma grand-mère et mon oncle] vivaient pour nous protéger de tout danger » (p. 42) !

     

    MP+Chantal+Anne+Léon-M+God.jpg

    Dans le parc de la Drève de Lorraine, Marie-Paule Degrelle-Lemay et ses enfants, (de g. à dr.) Chantal, Anne, Léon-Marie et Godelieve : « Je me souviens de ma mère, apparemment heureuse, mais je me rendais compte qu’elle souffrait. D’abord, à cause de l’accident de Chantal, et, plus imperceptiblement (les enfants sentent ces choses), à cause de la vie tellement particulière qu’elle supportait suite aux dérives politiques de son mari. » (p. 15).

     

    Aussi doit-t-elle changer de nom dès son arrivée chez son oncle en Dordogne : « il fallait effacer définitivement ce nom et le remplacer par celui de notre mère. Ce fut le début de cette vie aux origines fictives, à l’enfance réinventée, aux drames qu’il fallait abandonner en un endroit caché et lointain de notre mémoire. Attention à ne jamais parler de cette courte vie antérieure, de cette famille, celle de mon père, qu’il ne fallait pas même nommer et de laquelle, pour notre sécurité, on réussit à nous séparer pour toujours. » (p. 32). « Cette vie a fini par me plaire. J’ai arrêté de me considérer comme un drôle d’oiseau. Je portais un faux nom. Personne ne le savait. Du coup, ma vie d’avant avait cessé d’être un fardeau. » (p. 34).

    Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Anne vécut écartelée entre les deux familles, sans se rendre compte, apparemment, qu’on lui imposait un état de recluse sous prétexte d’empêcher son père de le lui imposer (« Ma famille maternelle avait peur qu’il nous kidnappe », p. 42)…

    C’est ainsi qu’après avoir refusé de comprendre pourquoi Léon-Marie, son frère adoré avait rejoint « le responsable de tous [leurs] malheurs […] cette personne dont le nom seul était tabou », elle, qui se considérait comme « celle qui était la plus opposée à tout ce qu’il représentait dans [leur] vie », dut néanmoins, sur les instances de sa mère, accepter de rejoindre son père après la mort accidentelle de Léon-Marie : « La douleur fut atroce. Je me souviens seulement de ma mère que nous étions incapables de consoler et chez qui nous ne pouvions qu’ajouter de la douleur à la douleur. […] La force de ma mère m’impressionnait chaque jour davantage. Toutes ses pensées allaient vers mon père. Elle imaginait à quel point cet homme devait être brisé. Dans son cœur, il n’y avait pas de place pour la rancune. Son mariage était brisé, mais aujourd’hui, c’étaient des parents unis dans la tragédie. […] De sorte qu’un jour, alors que je revenais du travail à la maison, cette mère détruite me dit : “Je veux que tu ailles en Espagne consoler ton père.” » (pp. 61-64).

     

    LD+Tombe Léon-Marie Constantina.jpg

    La tombe de Léon-Marie, premier des enfants de Léon Degrelle à avoir rejoint leur père en Espagne : quelques mois à peine après son arrivée, il fut victime d’un accident de moto à Séville, le samedi 22 février 1958. Ses funérailles furent célébrées le lendemain à Constantina ; il repose dans le cimetière municipal (ce blog au 26 février 2016).

     

    Anne qui, tout au long de ses souvenirs, se présente comme une cartésienne intransigeante, analyse alors cet écartèlement, à partir de l’expérience de son frère : « Qu’est-ce que je faisais soudainement en Espagne ? Ce Léon Degrelle, mon père, n’avait jamais fait partie de ma vie. Je devais apprendre à le connaître, tout en sachant que tous deux, nous devions supporter un terrible malheur : la mort d’un garçon de dix-huit ans. Ma mère m’avait envoyée pour le “consoler” : mais moi aussi, j’étais détruite et pétrie de sentiments mitigés. Je ne voulais pas que des pensées difficiles à écarter me viennent à l’esprit. Je savais que ce père devait souffrir indiciblement de ce nouveau coup du destin. D’un autre côté, il y avait cette fuite de mon frère d’un foyer qui lui avait tout donné, d’une mère et de sœurs qui l’adoraient, vers un père qu’il considérait (je l’ai compris par après car j’ai partagé ces mêmes sentiments) comme un exilé, un homme qui souffrait d’une séparation cruelle de toute sa famille. Il ne s’agissait pas de se détacher de sa famille maternelle mais d’un désir devenu une obsession d’apprendre de vive voix quels avaient été les péchés et les “crimes” de cet homme cherchant désespérément à revoir ses enfants, leur raconter sa version de l’histoire, et se faire pardonner pour le calvaire qu’ils avaient eu à souffrir par “sa” faute. » (p. 66).

    Cet écartèlement est bien présent aussi lors de la toute première rencontre entre le père et la fille –ce qui, comme nous l’avons vu– n’a pas échappé à Léon Degrelle : « Je ne pouvais me défaire de l’image de ma mère, si combattante et d’une noblesse de caractère et de sentiments peu courante, que j’avais laissée à Paris submergée de douleur. Mais je savais ce qu’elle voulait : que je l’aide, lui, à surmonter ce coup tragique, ultime coup du destin à notre famille. » (p. 67).

    Léon-Marie.jpg« [Léon-Marie] avait une tête pleine de rêves ; c’était un grand lecteur, romantique et mélomane jusqu’à la moelle ; il avait aussi une qualité qui nous enchantait tous, son sens de l’humour. Nous passions avec lui des moments de rire incroyables, avec des gags dignes des meilleurs humoristes, mais sans jamais dépasser les bornes car c’était un gentleman, avec cette classe naturelle qu’il avait héritée de sa mère. » (p. 61).

     

    Aussi, dans ses mémoires, si Anne ne manque pas de souligner l’amour qu’elle vouera désormais à ce père retrouvé, cet amour se teintera néanmoins toujours de circonspection : « Suprêmement élégant, portant costume clair et cravate. J’examinais tout. Il était exactement comme je me l’imaginais. Ce fut un coup de foudre (l’amour au premier regard). Voilà ma première impression. […] Son visage grave, au regard profond, aux yeux brillants pleins de larmes. Ce sont eux qui furent responsables du fait que je ne pourrais plus vivre séparé de lui. » (p. 66). « Nos retrouvailles aboutirent à un coup de foudre. Je l’aimais, tout en sachant qu’il me ferait souffrir. » (p. 72). « Les questions que la raison m’inspirait pour que je voie une réalité que je ne voulais pas accepter demeuraient dans un fond caché de mon esprit, prisonnières d’un amour naissant dont j’avais tant besoin. Nous nous aimions, point final. » (p. 80). Elle conclura ainsi dans les dernières pages : « J’ai appris à le juger, à me faire ma propre opinion, plus critique que favorable. […] Ces années de la Seconde Guerre mondiale, depuis le départ en 1941 du premier contingent de la Légion Wallonie jusqu’au désastre final en 1945, ont constitué l’axe central de cette biographie : non la mienne en tant que telle mais en tant que fille d’un politique, d’un poète, d’un écrivain… que j’ai connu tardivement et que j’ai toujours essayé de juger selon mes propres critères. » (pp. 128 et 141).

     

    Anne+LD Tolède.jpg

    Photo touristique prise à Tolède, lors du premier séjour d’Anne Degrelle auprès de son père (portant toujours le deuil de son fils) : il fera avec elle le voyage de Madrid, visita Tolède, puis remonta vers le pays basque pour la laisser à Irun, dans le train de Paris : « Tout ce qu’il voulait, c’était me faire profiter au maximum de sa présence, emplir ma mémoire de souvenirs merveilleux et me convaincre de la vie magnifique qu’il pouvait nous offrir, à mes sœurs et à moi, si nous voulions revenir chez lui » (p. 72).

     

    La famille Degrelle, quant à elle, non seulement ne bénéficiera pas d’une telle affection spontanée tant elle avait sombré dans l’oubli le plus total, mais, de plus, elle devra endurer davantage que la défiance entretenue envers son père : une quasi-aversion.

    « Et moi ? Avais-je encore quelque souvenir de la maison de mes grands-parents paternels ? Et de Bouillon ? Très vaguement. J’avais beaucoup de tantes car mon père avait quatre sœurs. L’une d’entre elles, l’aînée, se fit religieuse cloîtrée –je pense que c’était de l’Ordre du Carmel […]. De mes tantes et de mes cousins, de mon oncle assassiné, je n’ai pas le moindre souvenir. […] Cependant, ce fut l’une de mes tantes, Louise, la sœur quasi-jumelle de mon père, qui porta la responsabilité de la reprise de contact de mon frère avec son père. J’ai déjà raconté […] cette chasse incessante de la famille Degrelle pour nous emmener en Espagne auprès de mon père, jusqu’à ce qu’à l’insu de ma mère, ils « kidnappèrent » mon frère et l’emmenèrent sans passeport ni papiers, caché dans une voiture, jusqu’à Séville. Nous savons désormais à quelle tragédie aboutirent ces retrouvailles. » (p. 162).

     

    Marie + Louise-Marie Couvent.jpg« Nous avons été voir une fois [la sœur aînée de mon père] et c’est à peine si je me souviens de son visage, mais je me rappelle bien l’affection avec laquelle elle nous embrassa. Je ne sais pas ce qu’elle pensait de son frère Léon. Mère Marie des Abys –c’est ainsi que nous la connaissions– a vécu toute la guerre ainsi que la persécution dont fut victime le reste de sa famille, parents, frères et sœurs, depuis la solitude de son couvent. Je sais qu’elle est morte très âgée et que mon père eut énormément de chagrin lorsqu’il apprit son décès. » (p. 162 ; Marie, sa sœur aînée –30 juillet 1896 - 6 mars 1980– était la marraine de Léon, voir ce blog au 15 juin 2021. Marie était religieuse de l'ordre de la Visitation de Sainte-Marie ; elle est ici au côté de sa sœur, Louise-Marie Massart, dans le parc du monastère des Abys, à Paliseul, non loin de Bouillon).

    « Ghislaine Massart, une nièce de mon père –c’est-à-dire une cousine à nous–, découvrit (je dois saluer ici les talents de détective de ces membres de la famille) l’endroit où travaillait ma mère à Paris […]. Mon frère, qui vivait également à Paris, allait souvent la voir après ses cours. C’est ainsi que ma cousine le retrouva et commença son travail de “réconciliation familiale”… Elle ne réalisait pas le mal qu’elle faisait à la famille Lemay, à ma mère en particulier, à ma grand-mère, qui nous avaient élevés pendant toute notre enfance et notre adolescence, qui nous avaient protégés de la rancune et de la haine de ceux qui nous persécutaient uniquement à cause de notre nom. » (p. 61).

     

    LD+Guilaine Massart.jpgLéon Degrelle dans son refuge de Majalimar, en 1949, en compagnie de sa nièce Ghislaine Massart, la fille de sa sœur Louise-Marie.

     

    « Au mois de juillet 1958, […] de nouvelles figures que je ne connaissais de nulle part débarquèrent tous les jours. Des cousins du côté de mon père, la famille Degrelle, que je n’avais jamais vus de ma vie. Une de mes cousines, Ghislaine Massart, était précisément la responsable de la fuite de mon frère de Paris, qui connut une fin si tragique. […] Et, parmi ces arrivées en bataille, j’eus l’honneur de connaître un autre cousin, fils d’une sœur de mon père, au regard mauvais, que je fuyais et qui essaya de m’embrasser entre deux portes en s’attirant ainsi une baffe magistrale. » (p. 77).


    Mais à nouveau, si Anne n’éprouve qu’antipathie ou indifférence pour sa famille paternelle, c’est à son père qu’elle en impute la responsabilité : n’affiche-t-il pas son désintérêt pour la vie d’après-guerre des Lemay ? Aussi n’hésitera-t-elle pas à manifester à son tour amnésie et insensibilité : « Il savait que la famille Lemay nous avait sauvés de la cruelle vengeance des vainqueurs dont furent victimes tant de familles emprisonnées dans des conditions inhumaines. Parmi elles, sa propre famille : parents, sœurs, nièces adolescentes… Persécution dont nous fûmes protégés mes sœurs, mon frère et moi, mais à laquelle n’échappa pas ma mère. Dans nos conversations, il essayait de ne pas approfondir ce que furent notre enfance, notre vie estudiantine et notre relation inexistante avec la famille Degrelle. Il devait souffrir en voyant que nous n’avions absolument aucun souvenir d’elle. Fracture complète. Vide total. » (p. 86).

    Anne se fera néanmoins violence en s’efforçant de garder le contact avec le côté Degrelle de sa famille, mais son apparente bonne volonté ne pourra se couronner d’aucun succès :

    « Pourtant, j’ai essayé de garder des relations familiales avec tous, en allant les visiter avec mes enfants à Bruxelles, ainsi qu’à Anvers où vivait une de mes tantes mariée avec un Flamand [Suzanne Lamoral]. Ils étaient des plus affectueux, se coupant en quatre pour nous faire plaisir et essayer de rattraper le temps perdu, mais avec le temps, nous nous sommes éloignés et nous ne nous sommes même pas revus quand mon père est mort. » (p. 162 ; de la fratrie de Léon Degrelle, en 1994, seules vivaient encore Suzanne Lamoral et Louise-Marie Massart, toutes deux malades, handicapées –Louise-Marie étant même aveugle– et incapables de faire le voyage d’Espagne).

     

    Parents LD+Anne Chantal.jpg

    Anne Degrelle n’aurait malheureusement quasi plus aucun souvenir précis de ses grands-parents paternels. Rapportant les propos de son père, elle nous dit que sa grand-mère paternelle était « la femme la plus généreuse et douce au monde, incarcérée comme le reste de sa famille dans une cellule nauséabonde, sans pouvoir revoir ni son mari ni lui donner un ultime baiser avant de mourir » (p. 165). Elle est ici avec sa grand-mère, tandis que sa sœur Chantal est avec son grand-père dans le parc de la Drève de Lorraine ; à l’arrière-plan, son père est en conversation avec Victor Matthys.

     

    La conclusion s’impose donc, sans appel : « En cet été de 58, tous ces oncles et cousins débarquèrent les uns après les autres à La Carlina. En me rappelant cela aujourd’hui quelque 60 ans plus tard, je dois reconnaître que je ne les ai jamais considérés comme ma famille. » (p. 162).

    Et son corolaire, inévitable, est : « Ma véritable famille fut toujours la famille Lemay. Et ma grand-mère maternelle est irremplaçable dans mon cœur. » (p. 162).

    Aussi le ton est-il tout autre lorsqu’il est question des parents maternels. D’autant plus qu’ils eurent également, semble-t-il, à souffrir après la guerre. Et la cause de cette souffrance est clairement imputée à Léon Degrelle, même si cette cause est tout accidentelle, due au seul mariage de Marie-Paule.

    « Mais nous sommes toujours en 1945, la guerre vient de finir et nous nous retrouvons dans cet orphelinat de l’Assistance publique. Qui est ce couple qui s’approche de nous et nous invite à les suivre avec tant d’amour ? Il s’agissait d’un frère de ma mère et de sa femme. Ma grand-mère maternelle, ma bonne-maman adorée, s’était rendue à Bruxelles et les avait envoyés pour nous sauver. » (p. 28).

    « Ma bonne-maman [Lemay] ne nous abandonnerait jamais malgré qu’à cette époque elle avait déjà 57 ans. Elle était restée veuve durant toute la guerre et ses fils étaient déjà majeurs et indépendants. Elle n’avait plus désormais d’yeux que pour ces cinq enfants “orphelins” à cette époque. » (p. 29).

    « La dernière nuit [avant mon départ en pension à Annecy], –je ne sais si j’étais plus sensible que les autres–, je ne fis rien d’autre que pleurer et ma bonne-maman ne trouva pas d’autre remède que de se coucher avec moi. Elle avait un lit immense avec un édredon en plumes (déjà à cette époque) et un grand feu de cheminée. Je ne sais pas si ce fut une bonne idée de passer cette dernière nuit blottie contre ma bonne-maman –ma mère pendant tant d’années– car il m’en est resté un souvenir si profond et agréable qu’aujourd’hui encore j’en suis émue en me le rappelant. » (p. 34). « Je suis terriblement pratique. Je tiens mes pieds fermement sur terre. Comme je l’ai dit, je vis au présent. Et mon présent, c’était, en premier lieu, ma bonne-maman, ma raison de vivre, et ensuite, le collège. » (p. 45). « J’ai appris à vivre au jour le jour avec cette merveilleuse grand-mère qui, dans sa volonté de nous aider et de nous protéger de cette tragédie qui l’atteignait elle-même, s’était transformée en notre mère. » (p. 46).

    La bonne-maman Lemay occupe ainsi une place toute particulière dans le cœur d’Anne, ayant littéralement remplacé sa mère dans sa prime adolescence et l’ayant surtout « protégée » de son père qui semble même craindre de reconnaître sa responsabilité dans la situation où s’est retrouvée plongée la famille Lemay, qui est la seule que se reconnaît Anne : « Arriva le moment des questions aussi bien de son côté que du mien. Mais il n’osait pas trop creuser, craignant d’apprendre les détails du calvaire qu’avaient vécu ma mère, ma grand-mère, mes oncles maternels et nous autres, ses cinq enfants, qui avons échappé à l’Assistance publique grâce, précisément, à cette femme intelligente, courageuse, merveilleuse : ma grand-mère maternelle. » (p. 85).

     

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    Les portraits que nous avons de la bien-aimée « bonne-maman » d’Anne Degrelle-Lemay sont rares : celui-ci provient de son livre de souvenirs (p. 33). De gauche à droite, au premier plan, Anne, Godelieve, Chantal et Léon-Marie ; à l’arrière-plan, Jeanne Lemay-Caton et, dans ses bras, la petite Marie-Christine. Nous le reproduisons car celui dont nous disposons est justement amputé du visage d’Anne (ci-dessous : Anne est debout à l’arrière-plan) : de gauche à droite, devant la grand-mère Jeanne Lemay, Chantal, Marie-Christine, Léon-Marie et Godelieve.

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    « La maison ou, plutôt, la ferme, appartenait à mon oncle Manu, le petit frère de ma mère, à peine marié et papa d’une fillette d’à peine un an qui deviendrait l’amie inséparable de ma petite sœur du même âge. Mon oncle était ingénieur agronome et, suivant sa vocation, avait acheté cette ferme […]. Je me souviens de ces années à Eyliac comme comptant parmi les plus heureuses de ma vie. » (pp. 29-30).

     

    « Le Périgord était une région où la Résistance avait été très active pendant toute l’occupation allemande. Quand mon oncle Manu arriva à Eyliac, jeune marié, les paysans et les fermiers des environs ne connaissaient rien du reste de la famille. Ils s’estimaient, s’aidaient pour les travaux des champs ; ils étaient amis. Mais lorsque nous sommes arrivés, ma grand-mère et nous cinq, les bonnes gens de l’endroit commencèrent d’abord à avoir des soupçons, puis à poser des questions et enfin à manifester ouvertement leur haine. […] Mon oncle ne reçut que des insultes et des menaces. […] De nouveau cette haine viscérale contre toute la famille. Uniquement pour être le beau-frère de Léon Degrelle. Je ne pouvais pas passer sous silence cet épisode de la vie de mon oncle qui nous a tant aidés et protégés dans cette étape de notre vie, si difficile pour tous. » (pp. 32-33).

     

    « La famille de ma mère (des industriels importants en France), malgré qu’elle fut frappée de sanctions financières exorbitantes uniquement pour avoir été de la famille politique de Léon Degrelle, continua de jouir d’une fortune considérable de sorte que, grâce à elle, nous pûmes continuer à fréquenter de bons collèges » (p. 35).

     

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    Photo du mariage de Léon Degrelle avec Marie-Paule Lemay, prise dans le jardin de la propriété des Lemay, à Tournai, le 3 mars 1932, au lendemain des fêtes de Pâques. C’est probablement la seule fois que les deux familles furent réunies pour une fête. « Entre-temps, ma mère vivait le pire cauchemar de sa vie (mais on ne nous avait alors rien raconté), enfermée dans une geôle en Belgique après avoir été condamnée à dix ans de prison pour être la femme de Léon Degrelle. » (p. 29).

     

    « [Marie-Paule Lemay] savait que sa mère et ses frères avaient perdu une fortune en paiement d’ “indemnités de guerre”, confiscation de leurs biens et coups quasi-mortels à la cimenterie de la famille Lemay, tout cela à cause des liens de parenté avec Léon Degrelle. Et en outre, ils durent encore supporter tous les frais de notre éducation et de notre scolarité pendant l’incarcération de ma mère. » (p. 47).

    « J’évoquais simplement des images de foyer, d’amour, de rires de ma petite sœur, de bûches flambant dans la cheminée, de baisers de ma bonne-maman ou de ma tante Lucette (que j’aimais aussi comme une mère, “une de plus”) » (p. 47).

    « Le conseiller familial, –c’était mon oncle Michel (un frère de ma mère) qui, déjà à cette époque, dirigeait nos vies presque comme un père – voulait me garder auprès de lui et me conseiller dans mes études et la voie à suivre. Il vivait avec sa femme, ma tante Pierrette, à Tournai, à seulement 40 km de Lille. C’est lui qui dirigeait l’énorme usine des “Ciments Lemay” fondée par son père, mon grand-père Marcel Lemay, et qui traversa de multiples péripéties pendant la guerre. Brillant ingénieur, il succéda à deux de ses frères (également ingénieurs industriels) qui, pour diverses raisons, finirent l’un au Venezuela, l’autre au Mexique. Bref, mon oncle Michel et son épouse Pierrette me prirent sous leur aile. J’étais la fille qu’ils n’avaient pu avoir. » (p. 54).

    « Un jour, j’ai surpris des conversations entre eux sur leur désir de m’adopter légalement, tout d’abord par amour, et puis aussi pour débarrasser ma mère des frais de mon éducation. » (p. 56).

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    L’oncle Michel, l’aspirant papa d’Anne, a bien décidé de tourner la page degrellienne : rangé désormais dans la bien-pensance, il s’est racheté une réputation politiquement correcte grâce à des fréquentations choisies, s’est offert un rond-point à Tournai en blocs de pierre de ses carrières, –l’inaugurant avec le ministre-président de la Région wallonne, le socialiste Rudy Demotte (à gauche ; Michel Lemay lève le drap à droite ; capture d’écran NoTélé). Il légua une somme relativement symbolique aux filles de feue sa sœur Marie-Paule, avant de laisser l’essentiel de sa fortune à un fonds de mécénat local portant son nom et celui de sa deuxième épouse, Claire Lemay-Poncheau, géré par la Fondation Roi Baudouin. Son faire-part de décès, en 2012, ne signale que de rares amis de l’establishment tournaisien, aucun membre de sa famille, et mentionne les honneurs officiels que son néo-conformisme lui ont valus.

     

    « Mais l’événement le plus triste qui vint ternir mon bonheur, peu de jours après la naissance de ma petite Hélène, fut le décès de ma grand-mère maternelle, pivot et guide de toute mon enfance et adolescence [28 janvier 1970]. Je ne pus être à ses côtés aux moments ultimes de sa vie, car Hélène n’avait que quinze jours et avait besoin de toute mon attention. » (p. 104)

     

    « Ma mère mourut au printemps de 1984 [le 29 janvier !]. […] Je pleurai désespérément. Se mêlaient en moi la peine immense de sa perte et le remords de l’avoir laissée seule en France, ayant choisi de vivre aux côtés de ce père dont elle avait voulu nous éloigner pendant quinze ans. » (p. 118)

     

    « Mon unique famille fut la famille Lemay. Pendant les années les plus cruciales de mon enfance et de ma jeunesse, ma grand-mère et mes oncles ont toujours été à mes côtés. Ma mère, après ses cinq ans de torture carcérale, revint dans nos vies avec des cicatrices impossibles à fermer. Elle fut admirable dans ses efforts pour essayer d’ignorer les souvenirs qui la tourmentaient, soigner les blessures de son corps et de son esprit, et assumer ses responsabilités quant à notre formation humaine et intellectuelle. » (p. 117)

    Anne Degrelle est donc d’abord et avant tout Anne Lemay. En témoigne encore le vif désagrément dont elle nous fait part au moment de son installation dans l’Espagne de son père : « Mais en Espagne, j’étais la fille de Léon et mon nom devait être Degrelle : cela m’a coûté énormément de devoir m’y habituer. » (p. 131).

     

     

    L’essentiel de la documentation iconographique de cet article provient de la CPDH (Collection Privée de Documentations Historiques) de ©Jacques de Schutter.

     

     

    À suivre