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adelin van ypersele de strihou

  • « Les ultimes secrets de Hergé » de Bob Garcia : un aveuglement antidegrellien, malgré des sources originales

    VA Tintin Palle Huld.jpegC’est Valeurs Actuelles qui nous l’a appris (c’était le 23 février dernier) : après Paul Remi (le frère de Hergé, ce blog au 1er février 2016), Rouletabille, évoqué par Guillaume Pinson (le fils de la concierge de Tintin lorsqu’il habitait rue du Labrador ?) dans la revue canadienne Etudes françaises (vol. 46, 2010), le motard Robert Sexé (une lubie de Francis Bergeron, ce blog aux 1er février et 4 mai 2016 ; 29 décembre 2021) et Albert Londres (par le faussaire Pierre Assouline, ce blog au 29 décembre 2021), il paraît que « En réalité, il faut regarder vers le Danemark pour y découvrir le prototype de Tintin. […] C’est Palle Huld, un garçon de 15 ans, commis dans un magasin d’accessoires automobiles » !

     

    La démonstration, toute de ragots incertains, signée par Philippe Delorme, laisse plutôt pantois : « On dit que l’abbé Norbert Wallez, le directeur du XXe siècle, le journal catholique pour lequel travaillait Hergé, aurait conseillé à ce dernier de créer un héros ressemblant au jeune Danois » ! Nous ignorons si ce Philippe Delorme a quelque chose à voir avec Paul-André Delorme qui signa naguère dans Rivarol un Léon Degrelle, flamboyant fasciste wallon, surprenant de « correctitude politique » (ce blog aux 13, 20 mai et 21 juin 2018), mais nous retrouvons dans son article une identique propension à la gratuité des « informations » non vérifiées…

    Nous avons, bien sûr, envoyé un commentaire circonstancié et dument référencé à la revue parisienne qui en a publié l’essentiel. Notre surprise fut plus grande encore de voir à notre suite une autre réponse allant semblablement dans notre sens, signée par… Francis Bergeron !

    L’occasion de nous réjouir de la remarquable évolution de l’auteur du malheureux Degrelle, Qui suis-je ? (ce blog à partir du 30 avril 2016) ! Dans sa biographie Georges Remi, dit Hergé (2011), il prétendait que « Tintin est le contraire de Degrelle quant au caractère » ; puis, à propos de son bouquin Hergé, le voyageur immobile (2015), il convenait dans Rivarol que « oui, Tintin, c’est Degrelle. Un peu. » (ce blog au 1er février 2016). Aujourd'hui, il écrit que «  le jeune journaliste du XXe siècle Léon Degrelle, qui portait des culottes de golf, impressionnait [Hergé] par le récit épique de ses reportages et l’a fortement influencé »...

    VA Gérard+Bergeron 1.jpeg

     

    Rappelons qu’au moment de la création de Tintin (janvier 1929), les « récits épiques » de Léon Degrelle ne pouvaient concerner que le saccage, en janvier 1928, de l’exposition bruxelloise à la gloire des Soviets (ce blog aux 29 septembre 2020 et 29 décembre 2021) : il provoqua un séisme politique qui secoua le monde politique belge, fut énergiquement encouragé par l’abbé Wallez, directeur du XXe Siècle, et favorisa l’engagement du courageux antibolcheviste au quotidien catholique où il devint officiellement le confrère de Hergé (précisons que c’est Valeurs Actuelles qui a mis des guillemets suspicieux à ce mot dans notre texte !). Hergé qui, dès son premier numéro de novembre 1927, prêtait déjà ses dessins à la gazette universitaire L’Avant-Garde de Léon Degrelle (ce blog aux 13 mars 2018, 15 octobre 2020 et 31 mars 2021).

    Lorsque donc l’abbé Norbert Wallez commanda à Hergé la création pour la jeunesse d’un nouveau héros qui irait combattre les communistes en Bolchévie, ce ne pouvait qu’être sur le modèle du remuant nouveau confrère Léon Degrelle dont le dessinateur s’inspira au physique comme au moral (ce blog du 21 septembre au 1er décembre 2020).

     

    Palle Huld

     

     

    Garcia Hergé Ultimes secrets.jpegMais revenons à l’article de Valeurs Actuelles. C’est pour présenter un énième ouvrage sur le créateur de Tintin, Hergé, les ultimes secrets, de Bob Garcia, tintinophile auteur de livres que nous ne connaissons pas, que Philippe Delorme en a repris le principal scoop sur « Le vrai Tintin ». Mais dans le livre, l’affirmation spécieuse (« On dit que… ») n’apparaît pas. L’argumentation n’est cependant pas plus convaincante.

     

    Il faut savoir que tout le bouquin prétend –et la plupart du temps de manière pertinente– retrouver des sources d’inspiration de Hergé dans les textes et dessins de Jam (Paul Jamin), Jiv (Jean Vermeire) et d’autres collaborateurs du Petit Vingtième. Mais concernant le jeune Danois ayant « gagné un concours qui lui avait permis d’effectuer un voyage sur les traces du héros de Jules Verne », c’est vraiment pousser le bouchon trop loin que d’oser affirmer que « Le Petit Vingtième révèle rétrospectivement plusieurs sources majeures d’Hergé » (p. 17), car les suppléments jeunesse du quotidien catholique que cite Bob Garcia sont de sept et dix ans postérieurs au début des aventures de Tintin et Milou chez les Soviets.

    En effet, jamais Palle Huld et son tour du monde n’ont été évoqués dans Le Petit Vingtième en 1928. Mieux même, alors que le centenaire de la naissance de Jules Verne est évoqué dans Le XXe Siècle (11 janvier et 11 février 1928), il n’y fut jamais question du scout Danois. Même lorsque le quotidien évoqua « Une façon originale de fêter Jules Verne » en signalant l’initiative de journaux scandinaves envoyant « un de leurs rédacteurs » sur les traces de Philéas Fogg, il ne fut jamais question du concours gagné par Palle Huld.

     

    XXe Siècle 07.02.1928 Ann. J. Verne.png

    Le XXe Siècle du 7 février 1928 évoque l’initiative de journaux scandinaves de tenter de rééditer l’exploit de Philéas Fogg. Mais il ne sera jamais question du concours organisé par le quotidien danois Politiken et gagné par Palle Huld, jeune employé dans un magasin d’accessoires pour automobiles.

     

    Prétendre alors que « le boy-scout danois Palle Huld » inspira le personnage de Tintin car « Un an avant Tintin, il portait un manteau à carreaux, posait sur la Place rouge, et son retour était acclamé par une foule en liesse » (p. 17), c’est vraiment le réduire à rien : un manteau à carreaux (voir à ce sujet le commentaire de Francis Bergeron ; ajoutons que le manteau de Tintin n’est nullement à carreaux, au contraire de son costume !), une pose sur la Place rouge (la photo de Valeurs Actuelles montre aussi une pose devant la Porte de Brandebourg, à Berlin) et un retour de voyage sous les acclamations… Mais rien, par exemple, sur le but du voyage : il n’est absolument pas question dans Les Aventures de Tintin reporter du Petit Vingtième au pays des Soviets de quelque tour du monde, mais d’un reportage sur « ce qui se passe […] en Russie soviétique », ce dont il n’est absolument pas question dans le récit de Palle Huld.

    Paris-Soir  01.05.1928.pngParis-Soir (1er mai 1928) a interviewé le « globe-trotter » Palle Huld et s’amuse de ce qu’il n’ait pas la moindre anecdote à raconter sur son périple à travers le monde. Même pas, n’en déplaise à Bob Garcia, sur « la Russie rouge » où il aurait dû préfigurer Tintin !...

     

     

     

    Ajoutons que les révélations du Petit Vingtième en 1935 et 1938 n’ont rien de « rétrospectif » puisqu’il semble bien que Hergé ne se serait servi de Le Tour du monde en 44 jours de Palle Huld qu’à partir de 1934 pour Le Lotus bleu (mais Bob Garcia n’en donne aucun exemple) et en 1942 pour l’affiche de sa pièce de théâtre (coécrite avec Jacques Van Melkebeke) Mr Boullock a disparu… reprenant l’idée de l’illustration de couverture où l’on voit le jeune Danois effectuer son tour du monde en courant sur un globe terrestre : Tintin, suivi des Dupondt, fait de même, mais en sens inverse.

    M.Boullock a disparu Ed. 6ème Art 1.jpg

    Dans un commentaire d’introduction fort bien documenté, l’auteur du pastiche Monsieur Boullock a disparu (Editions du 6ème Art), met côte à côte la couverture du livre de Palle Huld et l’affiche de cette pièce qui sera jouée au Théâtre royal des Galeries, à Bruxelles, du 26 décembre 1941 au 8 janvier 1942. Il s’agit de la deuxième pièce de théâtre mettant en scène Tintin, après Tintin aux Indes ou Le Mystère du Diamant Bleu, jouée du 15 avril au 8 mai 1941, toujours au Théâtre des Galeries.

     

    Il est clair que pour Bob Garcia, Léon Degrelle n’a rien à voir dans la naissance de Tintin. Et pour n’avoir pas à en parler, rien de tel que le coup du « passez muscade » : « L’abbé Wallez, directeur du Petit Vingtième, demande à Hergé d’utiliser son petit reporter de papier –créé pour l’occasion– pour dénoncer les abus, les dérives et les scandales du régime soviétique. » (p. 15). Sauf que le directeur du XXe Siècle –dont le Petit Vingtième n’était que le supplément jeunesse confié à Hergé, son rédacteur en chef– n’a pas demandé à Hergé « d’utiliser son petit reporter de papier », mais de créer un petit reporter qui serait tout particulièrement « implacable pour tous les pervertis de l’intelligence et du cœur » que sont les bolchévistes (Norbert Wallez, in Le XXe Siècle, 29 janvier 1928), que le pape Pie XI identifierait bientôt comme « intrinsèquement pervers ».

    XXe Siècle 13.01.1928 Saccage.png

    En première page du XXe Siècle, le 13 janvier 1928, l’article-phare célèbre l’action d’éclat des « patriotes belges » emmenés par Léon Degrelle contre les Soviets !.

     

    Le « créé pour l’occasion » de Bob Garcia permet de faire l’impasse sur l’origine exacte du « petit reporter de papier ». Certes, Le XXe Siècle avait rendu compte, le 19 avril 1928, du Moscou sans voiles de l’ancien consul belge en Russie. Mais le héros créé par Hergé pour son supplément Jeunesse n’est évidemment pas à l’image du cinquantenaire Joseph Douillet, mais bien plutôt du jeune Léon Degrelle, pourfendeur tout aussi implacable des bolchévistes comme le chroniqua avec un chaleureux enthousiasme Le XXe Siècle, trois mois plus tôt, le 13 janvier 1928. Tintin devait donc lui ressembler aussi bien au caractère qu’au physique et être un jeune journaliste intrépide et courageux aux fermes convictions spirituelles (l’irréfutable démonstration s’en trouve dans l’introduction Aux origines de Tintin de l’ouvrage posthume de Léon Degrelle, Cristeros, aux éditions de L’Homme Libre, 2020).

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  • Degrelle – Hergé, même combat ! (4)

    Hergé antinazi ?

    Il y aurait de nombreux éléments démontrant la volonté de Hergé de couper les ponts avec Léon Degrelle et tout ce qu’il représente : le rexisme, le nazisme, la collaboration…

     

    L’affaire de « l’affiche »

    C’est un des prétendus « docteurs es tintineries » qui a brandi l’anecdote comme s’il avait découvert le pot-aux-roses des prétentions degrelliennes : si vous voulez vous farcir les élucubrations qu’il élabore sur la « rupture » entre Hergé et Degrelle à partir des documents de première main dont il a pu disposer, lisez Philippe Goddin, Hergé, Lignes de vie, pp. 181 sv. Nous verrons plus loin que le biaisement de l’histoire est une constante chez ce fonctionnaire de la justement universellement décriée Fondation Hergé. Pour le moment, contentons nous de décrypter les faits bruts qui se limitent à une histoire de sous.

     

    En novembre 1932, la Belgique doit renouveler son parlement. Léon Degrelle qui prépare les élections pour le parti catholique (« Rex » n’est pas encore un parti, seulement une maison d’édition relevant de l’Action catholique) rencontre un camarade de l’Université Catholique de Louvain qui avait participé à l’expédition contre l’exposition soviétique de 1928, le baron Adelin van Ypersele de Strihou (dont le neveu Jacques deviendra chef de cabinet des rois Baudouin et Albert II), actif dans le domaine publicitaire (il vient de fonder son agence Vanypeco qui deviendra fameuse après-guerre). Adelin lui aurait vendu (plus tard, il se félicitera d’avoir réalisé là sa toute première opération commerciale) un projet d’affiche de Hergé dont il avait pensé se servir pour l’Union Civique Belge, un mouvement anticommuniste dont il s’occupe. Elle représente « un masque à gaz suggérant une tête de mort, livide, sur fond noir ». Degrelle se montre intéressé, d’autant qu’il connaît « très bien Hergé ».

    26 Hergé Affiche tête mort 2.jpg

    Voici l’affiche que Léon Degrelle donna au Parti Catholique pour les élections législatives de 1932: Hergé souhaitait la retravailler.

     

    Apprenant par hasard cette transaction, Hergé envoie d’urgence une lettre recommandée aux éditions Rex, non pour condamner une utilisation politique à laquelle il serait opposé, mais pour y mettre la seule condition de ne pas l’éditer « sans avoir été revue, achevée et mise au point par moi ». Ce qui ne témoigne d’aucune hostilité envers Léon Degrelle, mais au contraire d’un louable scrupule d’artiste et d’une juste volonté de voir ses droits d’auteur respectés. Pris dans l’urgence des élections, Degrelle ne réagit pas jusqu’au moment où Hergé, vexé, confie l’affaire à son avocat, qui ne proteste auprès des éditions Rex que… huit jours calendrier après les élections ! Degrelle répond immédiatement, par retour de courrier, pour essayer de clarifier la situation : « Nous nous sommes simplement servis d’un projet d’affiche non signé, dont on nous avait fait don » ; la protestation de Hergé est « parvenue trop tard alors que l’exécution du travail était en cours. » Hergé –qui n’a perçu aucune rémunération– résumera la situation comme suit « “M. van Ypersele de Strihou a commis un abus de confiance et c’est contre lui que vous devez vous retourner. Nous, nous nous en lavons les mains” dit M. Degrelle en empochant les bénéfices réalisés par la vente de ces affiches [par les éditions Rex au Parti catholique]. » Finalement (en juin 1933), les éditions Rex verseront une indemnité au Syndicat de la Propriété Artistique, mettant ainsi un terme au litige.

     

    On le voit : pas de quoi prétendre que les ponts sont définitivement coupés entre Hergé et Léon Degrelle, ni surtout d’affirmer qu’il s’agit d’une rupture politique puisqu’il se fût alors agi d’un divorce d’avec le parti catholique (dont Hergé est l’employé via le Vingtième Siècle) ! Il y avait d’ailleurs si peu de rupture politique entre Léon Degrelle et Hergé que, à peine quelques mois plus tard, ce dernier dessinera le titre du « Quotidien rexiste de combat et d’informations » de la maison d’édition Rex devenue mouvement politique : Le Pays réel !

    27 Pays réel Titre.jpg

    Pour revenir encore à cette histoire d’affiche, nous devrons enfin reconnaître, si l’on en croit Numa Sadoul, que Hergé tenait suffisamment à tout ce qui l’avait uni à Léon Degrelle pour conserver en permanence près de lui les reliques de ses relations avec l’auteur de La Guerre scolaire, y compris probablement la fameuse affiche de 1932 : « Une autre nuit, dans l’un des tiroirs privés du secrétariat de Georges, j’ouvris un dossier résumant ses correspondances avec Léon Degrelle et le mouvement fasciste Rex. Il y avait même là un projet d’affiche électorale réalisé par Hergé: un projet assez avancé mais que l’on avait eu la sagesse de renoncer à exécuter. » (Sadoul, p. 15).

     

    Et s’il ne s’agit pas de cette affiche, mais d’un projet plus tardif pour une vraie campagne du mouvement Rex, voilà qui serait encore plus prodigieusement intéressant pour établir les véritables sympathies politiques de celui qui allait rejoindre sans états d’âme l’équipe de ses amis qui devait ressusciter Le Soir.

     

    Rupture Hergé-Degrelle ?

    D’ailleurs, après la guerre, Hergé ne manqua jamais, comme nous l’avons vu, de reconnaître sa dette envers Léon en ce qui concerne l’évolution de sa conception de la BD. Tout comme, nous le verrons plus loin, il rendit un hommage vibrant au courage militaire du Commandeur de la Légion Wallonie.

     

    Aussi coupons immédiatement les ailes au canard de l’aversion hergéenne au rexisme. Tous les biographes ont repris les termes de cette lettre de 1969 à un doctorant de la Sorbonne, Dominique Labesse, où le créateur de Tintin –qui n’est pas, nous l’avons rappelé, sans exprimer sa reconnaissance à Léon Degrelle pour les bandes dessinées envoyées du Mexique– écrit : « Quant à moi, je n’ai jamais “adhéré” ni sentimentalement ni de quelque autre manière au rexisme, que j’ai toujours eu en aversion. »

     

    C’est oublier un peu vite le contexte de cette déclaration faite à un étudiant écrivant une thèse de doctorat sur sa vie et son œuvre (Hergé, étude biographique et littéraire), où l’auteur n’allait tout de même pas se présenter sous les traits on ne peut plus honnis de l’infâme collaborateur. Il suffit d’ailleurs de lire les phrases précédant la profession antirexiste pour se rendre compte que Hergé est en train d’arranger quelque peu l’histoire à son avantage :

    « L’équipe du Soir de guerre dirigé par Raymond de Becker n’était en aucune façon un “groupement rexiste”. De Becker était un antirexiste convaincu, entouré d’antirexistes ou de non-rexistes. Le seul “rexiste” venu au Soir fut le théoricien de ce mouvement, José Streel, précisément au moment de sa rupture avec Le Pays réel, organe du rexisme. Quant à moi… »

     

    En effet, si des liens se détendirent entre Léon Degrelle et l’équipe du Soir et si des ponts furent coupés, ce ne fut jamais qu’après l’incompréhension qui accueillit le fameux discours du 17 janvier 1943 où Léon Degrelle réaffirma la germanité des Wallons (voir ce blog aux 12 mai 2016 et 10 décembre 2017). Hergé n’évoque là qu’une guerre de chapelles, mais prétendre que la rédaction du Soir fût opposée aux thèses rexistes ou, après janvier 1943, eût tourné le dos à l’Ordre nouveau est contraire à la vérité. Rappelons que Raymond de Becker était membre du Conseil politique de Rex, que Jam, le caricaturiste rexiste, dessinait à temps plein pour Le Soir, et que parmi les principaux collaborateurs « rexistes » du quotidien, on pouvait relever Pierre De Ligne, Max Hodeige (ancien journaliste du Pays réel, qui remplaça d’ailleurs à la direction du Soir De Becker après sa démission en 1943) et même Jacques van Melkebeke qui collaborait aussi à l’hebdomadaire rexiste Voilà… (sur la position du Soir pendant la guerre, voir Els De Bens, La Presse quotidienne belge sous la censure allemande (en néerlandais), pp. 333 sv.).

    Légionnaires Palais Sports 17.01-horz.jpg

    C’est le dimanche 17 janvier 1943 que Léon Degrelle prononça son fameux discours où il exalta la « germanité des Wallons ». Il ne faisait en fait que rappeler une thèse qu’il défendait depuis longtemps (notamment lors du discours de départ de la Légion, le 8 août 1941 : voir ce blog aux 10 décembre 2017 et 17 octobre 2018). On voit ici Léon Degrelle à la tribune et une cohorte de Légionnaires faisant son entrée dans le Palais des Sports de Bruxelles, tout auréolés de la gloire de leurs premiers combats (Samara, Gromowaja-Balka, Charkow, Tcherjakov,…).

     

    En fait, l’aversion au rexisme affichée par Hergé ne tient pas tant aux idées, qu’à leur expression dans de grandes manifestations de masse. C’est ce qu’il explique aux journalistes de Humo :

    « – Prendre fait et cause pour une idéologie est à l’opposé de ce que je suis. J’ai vu Degrelle, et les masses qui hurlaient avec enthousiasme. Qu’on ne vienne plus me parler d’idéologie et de grands meneurs de peuples.

    – Vous avez bien connu Degrelle ?

    – Assez bien. Il passait régulièrement au journal pour faire la réclame de Rex. Un homme ambitieux mais par ailleurs fort sympathique. Ce n’est pas pour autant que j’étais rexiste. Je n’aime pas ces grands mouvements populaires. » (Humo, p. 24).

     

    Quand Hergé déclare « Qu’on ne vienne plus me parler d’idéologie et de grands meneurs de peuples », l’expression « Qu’on ne vienne plus me parler… » traduit sa déception face à ce qui a constitué pour lui des évidences lumineuses et des personnages d’importance. Si, aujourd’hui, il ne faut plus lui en parler c’est qu’il leur avait accordé auparavant, au moment de leur crédit populaire, une totale adhésion… qui n’a pu qu’être déçue par leur échec historique et le mépris qui les entoure désormais. Depuis la défaite de 1945, le rexisme est en effet considéré comme un épouvantail et son tribun Léon Degrelle n’est plus qu’un condamné à mort que toute la presse conspue… Hergé doit donc prendre ses distances. Mais il le fait en gardant toujours de la nuance : si Léon Degrelle était « un homme ambitieux », ce qui est somme toute normal pour un politique, il demeurait « par ailleurs assez amusant », ce qui est sans doute le plus important aux yeux du créateur de Tintin, originellement inspiré par le jeune aventurier avec qui il s’était lié au XXe Siècle

     

    Et s’il « n’aime pas ces grands mouvements populaires »« les masses hurlent avec enthousiasme », cela ressortit aussi à son refus de l’embrigadement qui sera sa ligne de conduite dès après la guerre, comme il l’explique à des journalistes néerlandais : « [A propos d’opinions politiques,] je ne pense absolument rien. Je vis dans ce monde, je connais l’histoire, […] Je suis un homme de bonne volonté et je cherche la vérité, mais je ne l’ai pas encore trouvée. Et si, en tant que dessinateur de bandes dessinées, j’ai jamais émis un point de vue politique, comme dans Tintin au pays des Soviets ou Le Lotus bleu, alors je l’ai fait parce qu’à ce moment-là, j’y croyais. Aujourd’hui, je vois bien que j’ai commis des erreurs. Par orgueil peut-être. Maintenant, il me serait fort difficile de devoir prendre position. J’en sais plus et, ça c’est sûr, je ne me laisserai plus jamais embrigader. » (Elsevier, p. 154-155).

     

    Cette prudence venue de l’expérience, cette sagesse circonspecte, cette philosophie égocentrée, culminera, nous le verrons plus loin, dans Tintin et les Picaros

     

    Mais c’est dès la fin de la guerre qu’enrichi par les pénibles expériences qu’il dut vivre, il adoptera cette position au-dessus de la mêlée. Il déclarera ainsi à son ami le dessinateur Pierre Ickx dans une lettre de 1946 : « Quant à moi, j’appartiens au bord de ceux qui pratiquent leur métier avec le plus de conscience possible, et je salue toutes les victimes de la guerre, à quelque bord qu’elles appartiennent. » (Pierre Assouline, Hergé, p. 203).

     

    Léon Degrelle ne s’exprimera pas autrement lorsqu’il dira : « Nous respectons tous les idéalistes qui offrent leur vie pour leurs idées. Il y eut des héros authentiques à la Brigade londonienne Piron. » (De Rex à Hitler, p. 417) et qu’il répétera dans son ultime message à ses derniers « Bourguignons » : « Dans le monde pourri d’aujourd’hui, seules brillent encore les vertus des héros ! Demain, ce sont eux –et les héros d’en face !– qui, réunis dans la gloire, feront le 21e siècle ! » (voir ce blog au 31 mars 2019).

    28 LD+Jamin Jesuitas années 70.jpg

    A la fin des années soixante, Léon Degrelle, obligé d’abandonner sa Carlina (voir ce blog au 17 octobre 2018), put se réfugier dans un petit appartement social de la municipalité madrilène, grâce à l’amitié du comte de Mayalde, maire de la capitale. C’est là qu’il reçoit alors, autour d’une simple et revigorante soupe de lentilles, ail et chorizo, son ami Paul Jamin, alias Jam, venu avec son humour ravageur et son inextinguible bonne humeur lui donner des nouvelles du fidèle Hergé et, bien sûr, lui apporter les nouveaux albums de Tintin.

     

    De toute façon, Hergé entretint un contact indirect constant avec Léon via leur grand ami commun Paul Jamin, servant en quelque sorte d’ « agent de liaison ».

     

    29 Guerre scolaire.jpegLe Jam du rexiste Pays réel et de la Brüsseler Zeitung de l’occupant, était devenu l’incontournable Alidor de Pan et, après sa rupture en 1990 d’avec cet hebdomadaire, de Père Ubu : pour les politiciens belges, être croqués par l’ancien « incivique » condamné à mort marquait la concrétisation de leur notoriété politique, surtout si, parmi les « figurants » les encadrant dans ses féroces dessins, figuraient à la fois Léon Degrelle et Tintin ! Des ministres allaient jusqu’à le payer pour cela (« 7000 francs ! », Le Soir, 30 juillet 2010). Le ministre de la Justice de l’époque, Jean Gol (né Golstein), se précipitera d’ailleurs pour préfacer, en 1990, son recueil Touche pas à mon roi ! C’est également grâce à Paul Jamin que Stéphane Steeman entreprit une belle collection « Léon Degrelle », dont un fleuron est certainement l’exemplaire de La Guerre scolaire signé à la fois –véritable incunable !– par Hergé et Léon Degrelle (Tintin mon copain, p. 26).

     

    Mais les relations entre les deux anciens boy-scouts qui avaient fait leurs premières armes au Vingtième Siècle ne se limitaient pas à des signatures de livres pour collectionneurs. Il s’agissait de véritables relations personnelles où les deux amis se tenaient au courant des aléas de leur situation et entretenaient leur attachement fraternel non seulement par des lettres, mais aussi par des cadeaux, des invitations, des recommandations, d’affectueux conseils…

     

    C’est ce qui ressort clairement de ces quelques lettres de Léon Degrelle à Paul Jamin que nous avons retrouvées (nous n’avons évidemment pas accès aux archives privées de Hergé !)…

     

    « Merci aussi au cher Georges de ses quatre bouquins, merveilleux (comme toute la série).

    Dis-lui que je serais très heureux de le voir se détendre ici. Si ça leur plaît, qu’ils viennent faire un séjour ici, s’inspirer dans une atmosphère très naturelle. Sa femme serait dans un très beau site, nous l’aiderions à se retaper à force d’air pur, de bons plats, et d’affection !

    Dis leur que c’est de tout cœur que je les invite, comme vieux amis, en dehors de tout fatras politique. »

    (Lettre de Léon Degrelle, le 21 septembre 1959).

     

    « J’ai passé deux semaines au lit, avec ma blessure à l’estomac ouverte. Depuis un mois, je vis de jus de citron et de compote de pommes. J’ai maigri de 7 kilos. Bref, je retrouve ma ligne et ne pourrai plus battre Monseigneur sur ce terrain-là si ça continue !

    Mais, en fait, ça paraît cicatrisé et voilà quelques jours que ça ne saigne plus. Je vais retourner pour 15 jours à ma terrasse, si on m’y laisse tranquille.

    Mes affaires en sont toujours au même point. Rien d’arrangé. Et un tas de sales bipèdes acharnés à m’étrangler. Vois un peu si Monsieur Tintin n’a pas besoin d’un beau palais andalou. Il serait à lui à bon compte, et sur-le-champ. »

    (Lettre de Léon Degrelle, le 28 janvier 1961).

     

    « Je t’envoie, en insistant beaucoup là-dessus, une preuve du talent de l’artiste de Lyon dont je t’avais parlé et que je te demande de recommander à notre bon vieil Hergé (un fuerte abrazo !).

    Tu peux le voir, c’est bien dessiné et c’est drôle. J’avais une pile d’épreuves. J’espère que celle-ci suffira pour décider Hergé, au moins à ce que ce garçon soit convoqué par une huile de la maison. A l’intérieur, tu trouveras la fiche d’identité du “candidat” écrite de ma main.

    Il connaît le métier, a un genre à lui, a un âge recommandable. Décide Hergé à lui faire une offre intéressante. Il me ferait grand plaisir. »

    (Lettre de Léon Degrelle, le 3 janvier 1967).

     

    « Je te vois toujours à ta soupente du XXe Siècle, faisant des petits culs-de-lampe près d’Hergé. Je revois Georgette et ses petites pantoufles à pompons près du bureau de l’Abbé Wallez. […] On était quand même sacrément heureux, foutant en l’air un monde grotesque, sûrs de gagner ! […] On a fait sauter dans tous les sens des millions de crétins, épouvanté des milliers de salauds, on a fendu l’espace comme de formidables poulains sauvages. Et par-dessus le marché, on apportait aux hommes une formule de vie autrement saine, puissante, joyeuse que les pataugeages d’eunuques que leur ont offerts nos successeurs ! »

    (Lettre de Léon Degrelle, le 9 avril 1977)

     

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    Mais Paul Jamin n’était pas le seul « agent de liaison » entre Hergé et Léon. Son épouse Germaine Kieckens rendit également visite à son ami Léon dans son exil andalou : « La chère et belle Germaine […] m’apportant le salut ému et les derniers albums de Hergé, son mari ! Quelles retrouvailles ! Pendant quinze jours, tout en lampant joyeusement le vin doré de mes vignes, nous avons revécu les années délurées de notre jeunesse. » (Tintin mon copain, p. 169). Degrelle semble placer cette visite au moment de la tentative de rapt par le Mossad israélien, soit juillet 1961.

     

    A cette époque, Germaine et Hergé étaient séparés depuis un an, bien que l’auteur de Tintin lui rendît tous les lundis une fidèle et affectueuse visite dans sa demeure de Céroux-Mousty. Selon José Luis Jerez Riesco, avocat madrilène, président de l’Asociación Cultural de Amigos de León Degrelle, cette rencontre se situerait plutôt vers 1957, peu avant l’accident de circulation qui coûtera la vie au fils du proscrit (José Luis Jerez Riesco, Degrelle en el exilio, 1945-1994, pp. 244-245).

     

    31 Tél. Germaine.jpgEn tout cas, si on peut croire la confidence de Germaine Kieckens au jeune tintinophile Hervé Springael (auteur, en 1987, d’un Avant Tintin, Dialogue sur Hergé autoédité), selon laquelle Hergé « avait même interdit à Germaine d’assister aux meetings de Léon Degrelle » (anecdote présentée négativement par Philippe Goddin, Hergé, Lignes de vie, p. 262), nous savons (voir ci-avant) que cette défense trouve son origine dans sa phobie des manifestations de masse. De toute façon, manifestement, l’interdiction de Hergé –si elle avait jamais concerné la personne de Léon Degrelle !– a bien été levée pour autoriser les voyages chez l’ami exilé en Espagne !

    Mais qu’importe : quoi que prétendent les pseudo-spécialistes du maître de la « ligne claire », Léon Degrelle fait bien partie des amis qui comptent pour Hergé !

     

    A suivre