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« Les ultimes secrets de Hergé » de Bob Garcia : un aveuglement antidegrellien, malgré des sources originales

VA Tintin Palle Huld.jpegC’est Valeurs Actuelles qui nous l’a appris (c’était le 23 février dernier) : après Paul Remi (le frère de Hergé, ce blog au 1er février 2016), Rouletabille, évoqué par Guillaume Pinson (le fils de la concierge de Tintin lorsqu’il habitait rue du Labrador ?) dans la revue canadienne Etudes françaises (vol. 46, 2010), le motard Robert Sexé (une lubie de Francis Bergeron, ce blog aux 1er février et 4 mai 2016 ; 29 décembre 2021) et Albert Londres (par le faussaire Pierre Assouline, ce blog au 29 décembre 2021), il paraît que « En réalité, il faut regarder vers le Danemark pour y découvrir le prototype de Tintin. […] C’est Palle Huld, un garçon de 15 ans, commis dans un magasin d’accessoires automobiles » !

 

La démonstration, toute de ragots incertains, signée par Philippe Delorme, laisse plutôt pantois : « On dit que l’abbé Norbert Wallez, le directeur du XXe siècle, le journal catholique pour lequel travaillait Hergé, aurait conseillé à ce dernier de créer un héros ressemblant au jeune Danois » ! Nous ignorons si ce Philippe Delorme a quelque chose à voir avec Paul-André Delorme qui signa naguère dans Rivarol un Léon Degrelle, flamboyant fasciste wallon, surprenant de « correctitude politique » (ce blog aux 13, 20 mai et 21 juin 2018), mais nous retrouvons dans son article une identique propension à la gratuité des « informations » non vérifiées…

Nous avons, bien sûr, envoyé un commentaire circonstancié et dument référencé à la revue parisienne qui en a publié l’essentiel. Notre surprise fut plus grande encore de voir à notre suite une autre réponse allant semblablement dans notre sens, signée par… Francis Bergeron !

L’occasion de nous réjouir de la remarquable évolution de l’auteur du malheureux Degrelle, Qui suis-je ? (ce blog à partir du 30 avril 2016) ! Dans sa biographie Georges Remi, dit Hergé (2011), il prétendait que « Tintin est le contraire de Degrelle quant au caractère » ; puis, à propos de son bouquin Hergé, le voyageur immobile (2015), il convenait dans Rivarol que « oui, Tintin, c’est Degrelle. Un peu. » (ce blog au 1er février 2016). Aujourd'hui, il écrit que «  le jeune journaliste du XXe siècle Léon Degrelle, qui portait des culottes de golf, impressionnait [Hergé] par le récit épique de ses reportages et l’a fortement influencé »...

VA Gérard+Bergeron 1.jpeg

 

Rappelons qu’au moment de la création de Tintin (janvier 1929), les « récits épiques » de Léon Degrelle ne pouvaient concerner que le saccage, en janvier 1928, de l’exposition bruxelloise à la gloire des Soviets (ce blog aux 29 septembre 2020 et 29 décembre 2021) : il provoqua un séisme politique qui secoua le monde politique belge, fut énergiquement encouragé par l’abbé Wallez, directeur du XXe Siècle, et favorisa l’engagement du courageux antibolcheviste au quotidien catholique où il devint officiellement le confrère de Hergé (précisons que c’est Valeurs Actuelles qui a mis des guillemets suspicieux à ce mot dans notre texte !). Hergé qui, dès son premier numéro de novembre 1927, prêtait déjà ses dessins à la gazette universitaire L’Avant-Garde de Léon Degrelle (ce blog aux 13 mars 2018, 15 octobre 2020 et 31 mars 2021).

Lorsque donc l’abbé Norbert Wallez commanda à Hergé la création pour la jeunesse d’un nouveau héros qui irait combattre les communistes en Bolchévie, ce ne pouvait qu’être sur le modèle du remuant nouveau confrère Léon Degrelle dont le dessinateur s’inspira au physique comme au moral (ce blog du 21 septembre au 1er décembre 2020).

 

Palle Huld

 

 

Garcia Hergé Ultimes secrets.jpegMais revenons à l’article de Valeurs Actuelles. C’est pour présenter un énième ouvrage sur le créateur de Tintin, Hergé, les ultimes secrets, de Bob Garcia, tintinophile auteur de livres que nous ne connaissons pas, que Philippe Delorme en a repris le principal scoop sur « Le vrai Tintin ». Mais dans le livre, l’affirmation spécieuse (« On dit que… ») n’apparaît pas. L’argumentation n’est cependant pas plus convaincante.

 

Il faut savoir que tout le bouquin prétend –et la plupart du temps de manière pertinente– retrouver des sources d’inspiration de Hergé dans les textes et dessins de Jam (Paul Jamin), Jiv (Jean Vermeire) et d’autres collaborateurs du Petit Vingtième. Mais concernant le jeune Danois ayant « gagné un concours qui lui avait permis d’effectuer un voyage sur les traces du héros de Jules Verne », c’est vraiment pousser le bouchon trop loin que d’oser affirmer que « Le Petit Vingtième révèle rétrospectivement plusieurs sources majeures d’Hergé » (p. 17), car les suppléments jeunesse du quotidien catholique que cite Bob Garcia sont de sept et dix ans postérieurs au début des aventures de Tintin et Milou chez les Soviets.

En effet, jamais Palle Huld et son tour du monde n’ont été évoqués dans Le Petit Vingtième en 1928. Mieux même, alors que le centenaire de la naissance de Jules Verne est évoqué dans Le XXe Siècle (11 janvier et 11 février 1928), il n’y fut jamais question du scout Danois. Même lorsque le quotidien évoqua « Une façon originale de fêter Jules Verne » en signalant l’initiative de journaux scandinaves envoyant « un de leurs rédacteurs » sur les traces de Philéas Fogg, il ne fut jamais question du concours gagné par Palle Huld.

 

XXe Siècle 07.02.1928 Ann. J. Verne.png

Le XXe Siècle du 7 février 1928 évoque l’initiative de journaux scandinaves de tenter de rééditer l’exploit de Philéas Fogg. Mais il ne sera jamais question du concours organisé par le quotidien danois Politiken et gagné par Palle Huld, jeune employé dans un magasin d’accessoires pour automobiles.

 

Prétendre alors que « le boy-scout danois Palle Huld » inspira le personnage de Tintin car « Un an avant Tintin, il portait un manteau à carreaux, posait sur la Place rouge, et son retour était acclamé par une foule en liesse » (p. 17), c’est vraiment le réduire à rien : un manteau à carreaux (voir à ce sujet le commentaire de Francis Bergeron ; ajoutons que le manteau de Tintin n’est nullement à carreaux, au contraire de son costume !), une pose sur la Place rouge (la photo de Valeurs Actuelles montre aussi une pose devant la Porte de Brandebourg, à Berlin) et un retour de voyage sous les acclamations… Mais rien, par exemple, sur le but du voyage : il n’est absolument pas question dans Les Aventures de Tintin reporter du Petit Vingtième au pays des Soviets de quelque tour du monde, mais d’un reportage sur « ce qui se passe […] en Russie soviétique », ce dont il n’est absolument pas question dans le récit de Palle Huld.

Paris-Soir  01.05.1928.pngParis-Soir (1er mai 1928) a interviewé le « globe-trotter » Palle Huld et s’amuse de ce qu’il n’ait pas la moindre anecdote à raconter sur son périple à travers le monde. Même pas, n’en déplaise à Bob Garcia, sur « la Russie rouge » où il aurait dû préfigurer Tintin !...

 

 

 

Ajoutons que les révélations du Petit Vingtième en 1935 et 1938 n’ont rien de « rétrospectif » puisqu’il semble bien que Hergé ne se serait servi de Le Tour du monde en 44 jours de Palle Huld qu’à partir de 1934 pour Le Lotus bleu (mais Bob Garcia n’en donne aucun exemple) et en 1942 pour l’affiche de sa pièce de théâtre (coécrite avec Jacques Van Melkebeke) Mr Boullock a disparu… reprenant l’idée de l’illustration de couverture où l’on voit le jeune Danois effectuer son tour du monde en courant sur un globe terrestre : Tintin, suivi des Dupondt, fait de même, mais en sens inverse.

M.Boullock a disparu Ed. 6ème Art 1.jpg

Dans un commentaire d’introduction fort bien documenté, l’auteur du pastiche Monsieur Boullock a disparu (Editions du 6ème Art), met côte à côte la couverture du livre de Palle Huld et l’affiche de cette pièce qui sera jouée au Théâtre royal des Galeries, à Bruxelles, du 26 décembre 1941 au 8 janvier 1942. Il s’agit de la deuxième pièce de théâtre mettant en scène Tintin, après Tintin aux Indes ou Le Mystère du Diamant Bleu, jouée du 15 avril au 8 mai 1941, toujours au Théâtre des Galeries.

 

Il est clair que pour Bob Garcia, Léon Degrelle n’a rien à voir dans la naissance de Tintin. Et pour n’avoir pas à en parler, rien de tel que le coup du « passez muscade » : « L’abbé Wallez, directeur du Petit Vingtième, demande à Hergé d’utiliser son petit reporter de papier –créé pour l’occasion– pour dénoncer les abus, les dérives et les scandales du régime soviétique. » (p. 15). Sauf que le directeur du XXe Siècle –dont le Petit Vingtième n’était que le supplément jeunesse confié à Hergé, son rédacteur en chef– n’a pas demandé à Hergé « d’utiliser son petit reporter de papier », mais de créer un petit reporter qui serait tout particulièrement « implacable pour tous les pervertis de l’intelligence et du cœur » que sont les bolchévistes (Norbert Wallez, in Le XXe Siècle, 29 janvier 1928), que le pape Pie XI identifierait bientôt comme « intrinsèquement pervers ».

XXe Siècle 13.01.1928 Saccage.png

En première page du XXe Siècle, le 13 janvier 1928, l’article-phare célèbre l’action d’éclat des « patriotes belges » emmenés par Léon Degrelle contre les Soviets !.

 

Le « créé pour l’occasion » de Bob Garcia permet de faire l’impasse sur l’origine exacte du « petit reporter de papier ». Certes, Le XXe Siècle avait rendu compte, le 19 avril 1928, du Moscou sans voiles de l’ancien consul belge en Russie. Mais le héros créé par Hergé pour son supplément Jeunesse n’est évidemment pas à l’image du cinquantenaire Joseph Douillet, mais bien plutôt du jeune Léon Degrelle, pourfendeur tout aussi implacable des bolchévistes comme le chroniqua avec un chaleureux enthousiasme Le XXe Siècle, trois mois plus tôt, le 13 janvier 1928. Tintin devait donc lui ressembler aussi bien au caractère qu’au physique et être un jeune journaliste intrépide et courageux aux fermes convictions spirituelles (l’irréfutable démonstration s’en trouve dans l’introduction Aux origines de Tintin de l’ouvrage posthume de Léon Degrelle, Cristeros, aux éditions de L’Homme Libre, 2020).



Robert du Bois de Vroylande

 

Carnaval de Binche.jpgEst-ce à dire que Léon Degrelle est tout à fait absent du livre de M. Garcia ? Hélas, non… Car Bob Garcia est, n’en doutez pas, politiquement correct et il lui faut donc bien insister sur la fable que Léon Degrelle n’a rien à voir avec son ami Hergé. On relèvera donc cinq occurrences du nom du bouillonnant Bouillonnais dans son livre, toutes absolument négatives. Les trois premières insistent sur l’absence de relations qui se serait installée entre les deux hommes, dégénérant même en véritable aversion :

- « En 1930, Hergé réalise la couverture du livre Le Carnaval de Binche, d’Alfred Labrique, publié aux éditions Rex-Louvain, dirigées par Léon Degrelle… bien avant que les deux hommes ne se brouillent. » (p. 197).

- « Hergé publie encore Premiers sourires du printemps (LPV [Le Petit Vingtième] 13, 2 avril 1936). Une allégorie de la Mort, masque de défense passive sur le visage et faux en main, poursuit un minuscule Flupke terrorisé, tandis que les avions larguent leurs bombes Le mal est inscrit noir sur blanc : il s’agit du parti Rex de Léon Degrelle, qu’Hergé déteste. » (p. 230).

- « Hergé, lui-même ennemi de Degrelle » (p. 271).

 

Bob Garcia nous affirme donc que Hergé et Léon Degrelle sont définitivement brouillés, mais sans rien préciser de l’origine ni des raisons de cette prétendue brouille. Nous supposons donc qu’il s’agit de l’affaire (montée en épingle par les biographes autorisés) de l’affiche destinée au Parti Catholique pour les élections législatives de 1932, conçue par Hergé pour une autre affaire tombée à l'eau, et que Léon Degrelle reçut d’Adelin Van Ypersele de Strihou, ancien compagnon de l’université de Louvain qui avait fondé sa société publicitaire : le litige sera réglé par le versement d’une indemnité compensatoire (voir toutes les explications sur ce blog au 20 octobre 2020).

 

Mais Garcia semble prétendre que depuis la prétendue « brouille », plus jamais Hergé ne travaillera pour Léon Degrelle comme il le fit, « bien avant », avec Le Carnaval de Binche. Voilà qui est extraordinairement grotesque puisque c’est le père de Tintin lui-même qui dessina, en 1936, le titre du nouveau « quotidien de combat de REX », Le Pays réel. Ce sera la machine de guerre de Rex dans son combat contre les banksters catholiques et socialistes, lui assurant un succès triomphal aux élections du 24 mai 1936.

Pays réel 03.05.1936.png

Premier numéro du nouveau quotidien, Le Pays réel, dont se dote le mouvement Rex après sa rupture avec le Parti catholique qu’il a vainement essayé de rénover et assainir. Rex sera désormais un mouvement qui agira sur le terrain politique, présentant son programme et son action à la sanction de l’électeur. Outil essentiel de son combat, son journal prétend représenter le pays réel, le peuple, face aux caciques des partis traditionnels mués en banksters : c’est Hergé qui, séduit, dessinera le titre du quotidien rexiste.

 

Alors, Hergé désigna-t-il « le mal noir sur blanc » dans son épisode de Quick et Flupke d’avril 1936 ? Dénonça-t-il spectaculairement Rex au moment même où il collaborait à son organe de combat ? Lisons plutôt l’analyse que le principal intéressé, Léon Degrelle, en donne dans Tintin mon copain, absolvant volontiers son ami pour sa rosserie-poudre aux yeux de ses employeurs compromis (si Tintin mon copain figure bien dans la bibliographie de Garcia, il n’est jamais cité ; de même, les notes de bas de page renseignent le plus souvent des adresses kilométriques de sites Internet, mais bien sûr jamais celle du « Dernier Carré – Léon Degrelle » !).

« Hergé, cloîtré dans son Vingtième Siècle, n’avait pu, malgré tout, rester de glace à côté de notre brasier. Il usa d’un subterfuge, brossa toute une bande dessinée consacrée à Flupke assistant à une sorte de fin du monde. Des escadres d’avions surgissaient de partout. Des bombes tombaient. Mais, à côté d’une pancarte Antirex (reprise d’un journal d’insultes, histoire de ne pas faire exploser Philips [bankster catholique ayant remplacé l’abbé Wallez à la tête du Vingtième Siècle] se dressait en contrepoids une autre pancarte, victorieuse : Rex vaincra… Sur le premier dessin, un autre énorme REX VAINCRA barrait toute la façade d’un cinéma populaire. C’était exactement le 2 avril 1936. Un mois et demi à l’avance, discrètement, Hergé, via Flupke, nous adressait son salut aimablement rossard ! » (pp. 42-43).

 

Et, en effet, deux mois plus tard, illustrant le poème de Théophile Gautier dont Hergé avait repris le titre et l’idée, l’élection victorieuse des vingt et un députés et huit sénateurs rexistes constitua bien le Premier sourire de printemps de la politique belge…

 

Vroylande Fables.jpgSi Robert du Bois de Vroylande publia de méchants textes sur Rex et Léon Degrelle, rien de sa production littéraire n’est resté à la postérité, si ce n’est son recueil de Fables, et ce, uniquement parce qu’il fut illustré par Hergé… Il faut dire que s’il fut aveuglé par sa haine de Léon Degrelle, Vroylande fut quand même quelque peu lucide sur son talent d’écrivain lorsque, pour persuader Hergé d’illustrer ses Fables, il lui écrivit : « c’est votre très grand talent qui sauvera de l’oubli mes fables » (Benoît Peeters, Hergé fils de Tintin, p. 193).

 

Les deux autres occurrences du nom de Léon Degrelle sont beaucoup plus crapuleuses car il s’agit de présenter l’auteur de Révolution des âmes comme un véritable criminel :

- « Vroylande devient par la suite un de ses plus farouches ennemis. En 1936, il publie Quand Rex était petit, un violent pamphlet visant à démontrer que Degrelle est un futur dictateur doublé d’un incompétent. Ces positions sont probablement une des raisons de son arrestation par la Gestapo le 18 février 1944. » (p. 269).

- « D’abord rexiste, [Robert du Bois de Vroylande] devint dès 1936 un adversaire virulent de Léon Degrelle et publia le livre Léon Degrelle Pourri, dont le titre se passe de commentaire. Cela lui vaudra d’être déporté dans le camp de concentration d’Ellrich –dépendant de Dora-Mittelbau – en Allemagne où il mourut le 16 décembre 1944 à l’âge de 37 ans. » (p. 271).

 

De l’art d’essayer de transformer un immonde ragot en vérité biblique !

 

Vroylande Rex petit.jpegD’où vient ce bobard inepte selon lequel Robert de Vroylande aurait été envoyé dans un camp de concentration allemand sur intervention de Léon Degrelle ? Le pamphlet Quand Rex était petit de 1936, tombé dans les oubliettes de l’histoire, aurait-il mérité une vengeance congelée jusqu’en ce mois de février 1944 tellement singulier ? Veut-on nous faire croire qu’en pleins combats de Tcherkassy, le major SS Léon Degrelle, forçant avec ses hommes le verrou bolchevique, pensa ne fût-ce qu’un seul instant au misérable folliculaire qui avait éructé sa jalousie haineuse dans ce pensum depuis longtemps oublié ? Et ce, au moment même où le chef suprême des armées du Reich, Adolf Hitler, réclamait la présence du Commandeur de la Sturmbrigade Wallonie à ses côtés, dans son quartier général de Rastenburg (ce blog au 12 mai 2016) ?

 

Que représenta, en effet, le pauvre bouquin du correcteur d’épreuves de Soirées et de Rex, son supplément littéraire, qu’était Vroylande avant 1936 ? Est-ce qu’il put jamais « démontrer que Degrelle est un futur dictateur doublé d’un incompétent » ? Dans ce bouquin où la haine le dispute à la jalousie, il ne s’agit pas seulement de déblatérer Léon Degrelle –jamais appelé autrement que « M. Bluff »– sinon d’éreinter tous ses collègues des éditions Rex.

 

Denis Matthys Streel.jpeg

Les « poux d’encrier » Jean Denis et José Streel encadrant le fou d’ « Hitlérie à grand tamtam », Victor Matthys : ils assistent à l’hommage funéraire à un rexiste assassiné, organisé dans sa propre maison car l’Eglise refuse désormais d’accueillir dans ses sanctuaires des proches qui prétendraient « s’approcher de la Sainte Table en se livrant à une manifestation, par exemple en le faisant en uniforme » (directive du cardinal Van Roey du 13 mai 1941). Exposés à un terrorisme au développement exponentiel depuis la rupture du pacte germano-soviétique (opération Barbarossa du 22 juin 1941), les rexistes et autres partisans d’Ordre nouveau avaient certainement d’autres préoccupations et motifs de vengeance qu’un écrit oublié de 1936 (ce blog, entre autres, au 7 juin 2018)…

 

C’est ainsi que José Streel n’est qu’un « pou d’encrier » ; Amand Géradin n’écrit que des « articles qui, laborieusement cogités et péniblement grattés, constituent d’illisibles pensums » ; Victor Matthys qui a bûché « les manuels de Hitlérie […] est fort porté pour les manifestations à grand tamtam, les défilés au pas de l’oie, les insignes variés, la ferblanterie et la politique du coup de gueule accompagné du coup de poing sur la table » ; quant à Jean Denis (ce blog au 15 juin 2022), c’est « le type du raté aigri, fielleux, hargneux, envieux, mauvais coucheur, toujours prêt, Spartacus de la m…, à fomenter dans l’ombre sa petite révolution pour tomber sur le dos des copains […] bavant un peu partout la fiente qui lui tient lieu de style et d’idées » ; sans oublier Raphaël Sindic qui « ne brille pas particulièrement par la lucidité et la froide raison »…

 

Vroylande LEB.jpegRobert du Bois de Vroylande, vu par le caricaturiste Leb (Pierre Lebon, ce blog au 29 décembre 2021), reproduit d’après L’Universitaire catholique, 20 février 1930.

Il semble que personne ne connaisse les raisons de l’arrestation de Robert de Vroylande par les Allemands, le 18 février 1944, et de sa déportation vers le camp de concentration d’Ellrich où il dut probablement travailler aux épuisants travaux d’infrastructure des usines souterraines de production des V1 et V2 (ce blog au 27 octobre 2020). Mais pourquoi en imputer la responsabilité à Léon Degrelle qui ne s’est plus jamais soucié de Vroylande et avait certainement tourné la page des indignes calomnies qu’il lui avait crachées quelque huit ans auparavant ?

 

Depuis la fin de la guerre, on n’a cessé d’imputer à Léon Degrelle des « crimes de guerre » dont aucun ne fut jamais établi (ce blog à partir du 15 août 2022). Cela n’empêche pourtant pas d’étendre désormais la probabilité de n’importe quel crime de guerre ou crime contre l’humanité à tous les Volontaires wallons au Front de l’Est (voir ce blog, entre autres, aux 30 novembre 2019, 23 février 2020, 7 juin 2021, 11 mars 2022,…). Alors pourquoi pas aussi celui de Robert de Vroylande, comme le fait d’ailleurs le Wikipedia flamand : « Il est clair que c’était la colère de Degrelle qui l’avait poursuivi et qui lui avait coûté la vie » !

 

Soir 13.07.1995 Martin Vroylande.jpegIl semblerait que ce soit le petit-fils de Robert du Bois de Vroylande, Martin, qui ait le premier pensé à incriminer Léon Degrelle et le mouvement Rex dans l’arrestation de son grand-père par les Allemands et sa mort en déportation. Il envoya en effet un « courrier des lecteurs » en ce sens au quotidien bruxellois Le Soir qui le publia le 13 septembre 1995, tout en enrobant son accusation d'une précaution oratoire : « C'est d'ailleurs probablement une des raisons qui lui valut d'être arrêté ». Martin ne peut pas vraiment affirmer que Léon Degrelle a quelque chose à voir, tout en ne disant rien non plus des autres « raisons » de l'arrestation de son grand-père. Martin du Bois de Vroylande réagissait au commentaire que le journal avait fait de Les grands mythes de l’histoire de Belgique, de Flandre et de Wallonie (éd. Vie ouvrière, sous la direction d’Anne Morelli, 1995). Le problème est que, pour affermir sa faribole, Martin du Bois de Vroylande avait besoin d’établir la rancune inextinguible des rexistes envers son grand-père, rancune devant ensanglanter huit ans durant la presse du pays. D’où l’affirmation « Une virulente querelle publique opposa pendant des années Degrelle à Robert de Vroylande. » Le problème, c’est que si querelle il y eut, bien nécessairement, elle ne dura au plus que quelques jours (cinq articles entre le 16 et le 28 novembre 1936) et permit surtout au Pays réel de rappeler que l’emploi d’échotier de Vroylande dans la presse rexiste fut perdu par ses tentatives d’extorsion de fonds auprès de collègues et que, victime de son addiction à la boisson et au jeu, il fut placé sous tutelle judiciaire par le conseil de sa propre famille craignant qu’il n’en dilapide le patrimoine. Mais par la suite ?

Pays réel 1941 11 04 d.pngLe Pays réel rendra compte élogieusement de son roman Les Hommes sont ainsi faits (28 décembre 1941) et surtout de Fables, illustré par Hergé, dont nous reproduisons la conclusion (4 novembre 1941) : ce texte élogieux est signé par René Baert dont l'ouvrage L'Epreuve du feu, A la recherche d'une éthique vient d'être réédité aux éditions du Lore (ce blog au 10 mai 2023). Difficile donc de croire toujours à une « vengeance » rexiste, incompréhensible autant qu’inutile et gratuite, trois ans après ces compliments…

 

 

 

Comme si celui qui était devenu Commandeur de la Sturmbrigade Wallonie n’avait pas autre chose en tête à ce moment-là que de se soucier d’un journaliste connu pour sa proximité avec l’Ordre nouveau, qui avait « tenté de rejoindre la presse collaboratrice dès les premiers temps de l’Occupation », demandant en vain « à son ami Pierre Daye, responsable de la rubrique de politique étrangère au Nouveau Journal, d’intervenir. » (Pierre Assouline, Hergé, p. 153), et qui, outre ses Fables illustrées par Hergé en 1941, continuera à travailler dans le monde de l’édition collaboratrice, notamment pour les éditions de la Toison d’Or, jusques et y compris 1944 (ainsi de sa traduction du roman Denise de Gérard Walschap) !

Walschap Denise Page garde.jpeg

Est-ce qu’il aura quand même fini par rejoindre « un réseau de résistance royaliste », s’attirant ainsi les foudres de l’occupant (Maxime Benoît-Jeannin, Les Guerres d’Hergé, p. 143) ? Bob Garcia, quant à lui, n’en a vraiment aucunement cure : dans un premier temps, l’arrestation de Vroylande est « probablement » due à Léon Degrelle ; trois pages plus loin, il ne fait plus aucun doute que sa brochure de 1936 « lui vaudra d’être déporté dans le camp de concentration d’Ellrich » !... C’est ainsi qu’on écrit l’Histoire.

Et pourtant, son livre est loin d’être inintéressant, exploitant un fonds plantureux de sources d’inspiration possibles pour Hergé et d’autant plus malheureusement négligé jusqu’ici qu’il fournit le contexte même de nombreux dessins du créateur de Tintin !

En effet, Bob Garcia montre qu’une source essentielle d’inspiration de Hergé fut « les magazines dans lesquels il publiait ses bandes dessinées », rendant par la même occasion justice à deux de ses principaux collaborateurs, Paul Jamin et Jean Vermeire qui, tous deux, dessinèrent aussi dans Le Petit Vingtième : « Hergé a puisé une quantité impressionnante d’idées dans la rubrique “Ce qui se passe“ [écrite par celui qui signait alors « Jam »]. Après le départ de Paul Jamin, il a encore récupéré quelques idées –mais dans une moindre mesure– chez Jean Vermeire, son remplaçant [qui signait, quant à lui, « Jiv »]. » (p. 293).

 

Dessin de Jam (Paul Jamin) pour la couverture du Petit Vingtième duPetit V. Jam Indien 17.09.1931.jpg 17 septembre 1931. Trois mois plus tard, Hergé donnera à Tintin un appareil photographique semblable pour photographier un indien à l’entrée de sa réserve. Mais ce ne sera pas un sachem impavide sous sa coiffe luxuriante, mais un mendiant patibulaire n’arborant qu’une plume maigrichonne sous une pancarte « N’oubliez pas le peau-rouge » (10 décembre 1931).

 

Là où le bât blesse, c’est lorsque l’auteur cherche à toute force à établir que Le Petit Vingtième est à l’origine de n’importe quelle idée ou opinion de Hergé. Nous l’avons déjà montré à propos de Palle Huld. Mais ne pousse-t-il pas aussi le bouchon trop loin lorsqu’il prétend que Hergé, en dessinant, dans Tintin en Amérique, une « usine qui transforme un bœuf entier en boîtes de conserve », dénonce les machines qui remplacent les hommes et provoquent le chômage ? (p. 33). Ou lorsqu’il relie l’évanouissement de Tintin (toujours dans Tintin en Amérique) victime du « gaz O.X2Z » à un écho sur un livre allemand donnant une recette de gaz de combat à fabriquer chez soi : le problème est que le dessin est publié dans Le Petit Vingtième, le 19 novembre 1931, alors que l’écho ne le fut qu’une semaine plus tard, le 27 novembre (p. 39) ! De même, l’idée de la ville qui pousse comme un champignon, illustrée par Hergé le 3 mars 1932 a difficilement pu s’inspirer d’un écho du Petit Vingtième publié un mois plus tard, le 7 avril (p. 42) !

Toujours à propos de Tintin en Amérique, si Bob Garcia a bien observé que Hergé « entend dénoncer l’Amérique de tous les excès, de toutes les inégalités et de toutes les corruptions, déjà fortement industrialisée et déshumanisée », il cesse inexplicablement d’utiliser, pour ce thème précis, les sources jusqu’ici inexploitées ayant pu servir Hergé, à savoir Le Petit Vingtième et Le XXe Siècle, pour n’évoquer que « le livre Scènes de la vie future de Georges Duhamel » (p. 30). Et c’est bien dommage. Ou plutôt, est-ce probablement intentionnel, car ce sont précisément les reportages de Léon Degrelle en Amérique qui donneront à Hergé les premières informations sur la nature de l’impérialisme américain.

 

Léon Degrelle apprend à Hergé que l’ennemi, c’est l’impérialisme américain

 

Le plus grave, c’est que Garcia n’identifie pas l’antiaméricanisme désormais systématique de Hergé comme un des fils rouges de ses futurs albums comme nous l’avons abondamment documenté dans l’introduction à Cristeros, rassemblant tous les écrits de Léon Degrelle sur la révolution mexicaine des années 1920 (Editions de l’Homme Libre, pp. 70-75). Reproduisons-en l’essentiel.

Les préventions que Léon Degrelle exprime à propos des Etats-Unis et leur « mentalité internationale […] à base de pétrole, de bananes, de conserves, de blés et d’autos en série » (Le Vingtième Siècle, 19 août 1930) seront celles de Tintin en Amérique : la force conquérante des dollars, l’épanouissement du matérialisme établi sur les ruines des anciens peuples, l’avilissement de tout idéal spirituel.

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Tous ces thèmes traités par Léon Degrelle dans ses articles se retrouvent illustrés par Hergé : rappelons-nous la tentative de corruption de Tintin par Bobby Smiles, le gangster rival d’Al Capone (Tintin en Amérique, in le petit “vingtième” du 12 novembre 1931) ; l’expulsion par l’armée américaine des Indiens de leur réserve où Tintin a découvert fortuitement du pétrole –une heure à peine après qu’un magnat de l’industrie leur en eut proposé 25$ !– (3 mars 1932) et, parmi les hommes d’affaires cherchant à exploiter la notoriété de Tintin (dont un juif caricatural), celui qui propose au jeune reporter belge de le « convertir à la nouvelle religion néo-judéo-bouddho-islamo-américaine, dont les dividendes sont les plus élevés “in the world” » (16 juin 1932). Relevons, incidemment, que l’interprétation de cette séquence par Bob Garcia est à nouveau à côté de la plaque : « Hergé dénonce la “monétisation” des religions, mais ne critique aucunement le judaïsme. Au contraire, en l’associant aux autres religions, il en souligne l’aspect sacré, qui ne doit pas être souillé par l’argent. » (p. 266). Sauf que le judaïsme fait bien partie de ce conglomérat aux impressionnants dividendes : la seule religion à ne pas faire partie de cette coterie est le catholicisme !...

Hergé adhérera totalement à l’interprétation degrellienne du rôle cynique de l’Amérique yankee dans les malheurs du monde. Degrelle affirme : « Les archives américaines et mexicaines ont révélé à ce jour les tripotages auxquels se livrèrent Juarez et les Etats-Unis […] : selon la plus pure tradition yankee, la Maison Blanche lui fit tirer les marrons du feu puis les croqua. C’est un petit jeu que nous aussi avons appris à connaître à nos dépens depuis 1918. » (le vingtième siècle, 18 août 1930).

« La politique américaine, dans un décor austère, se distingue par une absence absolue de scrupules. Pour fortifier la nation physiquement, ethniquement, économiquement, elle prend tous les moyens. […] Il n’est point de farce aussi réussie que l’étalage par les Etats-Unis des principes grandiloquents et même pompiers qui doivent à leur avis présider aux relations internationales. Le droit pour les peuples de disposer d’eux-mêmes : quelle comédie, quand on voit la façon dont marche dessus la Maison Blanche ! » (le vingtième siècle, 19 août 1930).

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Après les Soviets, il paraissait évident d’envoyer Tintin en Amérique. Mais « l’abbé a détourné Hergé de l’Amérique, dont il goûte peu les capitalistes “judéo-américains” et le culte de “l’argent”, pour lui imposer d’expédier Tintin en Afrique. » (Philippe Goddin, Hergé, p. 143). Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, Hergé s’exécuta. Qu’importe, puisque désormais les seuls vrais « méchants » des histoires de Tintin seront toujours les Yankees et leurs affidés apatrides, spéculateurs sans scrupules et oppresseurs des peuples. Dans Tintin au Congo, ce sont les gangsters américains qui veulent se débarrasser du reporter pour s’assurer le contrôle de la production de diamant au Congo belge et spolier ses populations, ce qui autorisera Tintin à aller enfin en Amérique pour régler ses comptes !

 

Dans les deux aventures suivantes, Les Cigares du Pharaon et Le Lotus bleu, c’est le « grec levantin […] apatride » Rastapopoulos (Benoît Peeters, Hergé, fils de Tintin, p. 105), directeur de la puissante compagnie cinématographique américaine Cosmos Pictures, qui cache derrière cette entreprise écran, sa société secrète du Pharaon Kih-Oskh et son trafic international d’armes et de stupéfiants.

 

Dans L’Oreille cassée, nous voyons comment les Américains suscitent les guerres en Amérique latine pour leurs intérêts économiques : R.W. Chicklett, de la General American Oil soudoie le dictateur de la république sud-américaine du San Theodoros, le général Alcazar, pour qu’il déclare la guerre au Nuevo Rico afin d’exploiter les champs pétrolifères du Gran Chapo, à cheval sur les deux pays, avant que Basil Mazaroff, de la Vicking Arms Company Ltd, n’aille vendre ses engins de mort les plus modernes aux deux régimes.

 

Si l’allusion aux responsabilités des multinationales pétrolières américaines dans la cruelle Guerre du Chaco (1932-1935) est évidente, nous constatons également la parfaite cohérence avec les dénonciations de Léon Degrelle du rôle des Etats-Unis dans la situation désastreuse du Mexique du dictateur Calles !

 

« Partout où [les Etats-Unis] ont voulu des bananes ou du pétrole ou des débouchés commerciaux ou des postes militaires, ils ont exercé leur hégémonie sans se soucier des habitants autrement que pour leur envoyer, à l’occasion, des pruneaux. […] Au Mexique aussi. Avec une régularité automatique, les exigences américaines règlent le sort des gouvernements. Depuis 1914, tous les dictateurs ont été instaurés avec l’appui de New-York et, dès la moindre ruade, ont été déboulonnés et nettoyés sans merci. […] Et que soutenaient-ils ? D’abominables bandits, des voleurs, des assassins, des débauchés genre Obregon et Calles, pourris par les doctrines bolchévistes ! C’est ce qui est incroyable dans cette aventure mexicaine : le gouvernement le plus capitaliste, le plus réactionnaire, le plus franchement rebelle aux Soviets a largement encouragé à ses portes un énorme foyer révolutionnaire ! Et on doit bien reconnaître que, liés aux Etats-Unis par leurs dettes fabuleuses, leurs emprunts continuels, la mainmise progressive des ingénieurs et des capitaux américains sur leurs exploitations ruinées par cette anarchie, sur leurs chemins de fer, sur leur énergie électrique, les révolutionnaires mexicains sont à présent des jouets dans la main du gouvernement de la Maison Blanche. » (le vingtième siècle, 19 août 1930).

 

LD Gratte-ciel USA.jpegRésolument opposé à l’impérialisme américain, Léon Degrelle reconnaît néanmoins la grandeur des réalisations de l’Amérique moderne : « Il est au Mexique des richesses imposantes et de superbes cités. Mais qu’est-ce, toutefois, à côté de la force énorme des métropoles américaines ! C’est à vous donner le vertige. Ah ! quel admirable et émouvant spectacle, ces ateliers géants, ces brasiers immenses, ces rues fabuleuses plantées de buildings merveilleux de simplicité et de lumière et qui sont un des plus beaux chants de gloire de l’esprit humain. Puissance et beauté. Solidité de la matière et de l’intelligence qui la domine. Au moins, on sent l’immense palpitation de la vie avec son audace magnifique et sa raison. C’est le jeune sang d’un monde neuf – et triomphant – qui bout là-bas. » (le vingtième siècle, 18 août 1930 ».

 

L’anti-américanisme constant de Hergé (dont une des plus belles manifestations reste le récit L’Etoile mystérieuse, dessiné en pleine Seconde Guerre mondiale), se manifestera jusque dans Tintin et les Picaros, la dernière histoire achevée de Tintin, qui se déroule une nouvelle fois au San Theodoros, en Amérique latine. Rappelons simplement que la guérilla du général Alcazar –affligé d’une mégère américaine– est cette fois soutenue par l’International Banana Company, situation suffisamment claire pour faire comprendre que la pseudo-révolution des « Picaros » n’aboutira qu’à une république bananière manipulée par les Etats-Unis… Les multinationales apatrides gouvernent désormais le monde et Tintin, se rendant à l’évidence, n’a maintenant plus d’autre but que de préserver ses proches.

Hergé reconnaîtra d’ailleurs explicitement sa dette envers son ami qui lui envoyait, en même temps que ses articles, les journaux et bandes dessinées américains : « Léon Degrelle, en effet, était parti comme journaliste au Mexique et il envoyait au Vingtième Siècle, non seulement des chroniques personnelles, mais aussi des journaux locaux (pour situer l’atmosphère) dans lesquels paraissaient des bandes dessinées américaines. J’ai découvert ainsi mes premiers comics. » (La Libre Belgique, 30 décembre 1975).

 

« La vérité sur Hergé » ? Pas si on évacue Léon Degrelle !

 

Ce sont en fait ses propres opinions que Garcia attribue, –impose plutôt–, à Hergé, dès qu’il prétend sortir du seul plan documentaire. Ainsi de la dernière section de son livre, présomptueusement intitulée La vérité sur Hergé (tout comme est d’ailleurs pour le moins outrancier le sous-titre du livre « Les ultimes secrets », comme si, après Bob Garcia, tout était dit, définitivement !).

 

Cinq chapitres sont ainsi censés démontrer que Hergé n’est pas raciste, n’est pas antisémite, n’est pas anti-musulman, n’est pas misogyne et sexiste et, enfin et surtout, n’est pas fasciste.

 

Il s’agit là, bien évidemment, de truismes que nous partageons entièrement, dans la mesure où les blagues juives n’induisent pas l’approbation des pogroms, que les procès en sorcellerie faits aujourd’hui à Hergé pour des dessins parodiant prétendument de manière méchante Africains ou Indiens, relèvent de l’imbécillité et de l’inculture, et que la sympathie de Hergé pour l’Ordre Nouveau n’a jamais signifié quelque adhésion à l’obligatoire caricature outrancière de ce que furent vraiment le fascisme et le national-socialisme.

 

Mais il nous est difficile de toujours suivre ou comprendre les raisonnements de l’auteur.

 

Ainsi, pour prouver que Hergé ne nourrissait aucun racisme anti-Noirs, explique-t-il que Le Petit Vingtième dénonça, dans une histoire d’amitié entre un petit Blanc et un jeune Africain, les surnoms insultants qui « tombèrent dru comme grêle sur le Négrillon », parmi lesquels « Boule-de-Neige » (p. 239). Quelques pages plus loin, on constate pourtant que, dans Tintin au Congo, ce patronyme est donné par un Congolais à son fils : « Ti vois, Boule di Neige, ça y’en a “Thysville” », corrigé dans les éditions modernes en « Ti vois ce grand bateau, Boule de neige ? » Il n’est plus alors question d’insultes pour Bob Garcia, mais du français tel que le parle la majorité des Congolais : « Le langage “petit-nègre” de Tintin au Congo est donc une réalité historique dénuée de connotation péjorative » (p. 243).

 

Plus loin, lorsque Garcia expliquera que plutôt que de parler d’autocensure de Hergé quand celui-ci remplace des Noirs par des Blancs dans Tintin en Amérique et Le Crabe aux pinces d’or, il vaut mieux mettre en cause les exigences des éditeurs (p. 246), se rend-il compte qu’il reprend très précisément le raisonnement de Léon Degrelle qu’il voue aux gémonies ?

 

L’ami fidèle de Hergé explique effet, dans Tintin mon copain : « Il fallut ainsi, au fur et à mesure des caprices des censeurs et des éditeurs –les Anglais notamment – réadapter certains dessins sacrilèges. […] Hergé, bon gré, mal gré, s’il voulait survivre, eut à se plier à ces prétentions insensées. […] Ainsi Tintin put renaître ! Sur des béquilles, sans doute. Mais au génie, les béquilles importent peu. Bientôt, les albums de Hergé allaient, malgré tout, faire le tour du monde. » (p. 159).

Alors, « Hergé était-il, comme on l’a prétendu, un “raciste” ? Un raciste, maintenant, après cinquante ans de bourrage de crâne délirant, c’est, aux yeux du grand nombre, un molosse hurleur plantant ses crocs dans les cuisses tremblantes des gens de couleur ! […] Notre racisme, c’était la santé. La santé de notre peuple. Non le rejet fanatique des peuples extra-européens. Nous désirions, tout au contraire, que les autres peuples réalisassent chez eux une révolution raciale semblable à la nôtre ! » (p. 153).

 

Mais cela, Bob Garcia ne veut ni le voir, ni le comprendre (il n’est en effet pire aveugle…). Aussi se perd-il en finasseries compliquées pour nier de simples évidences.

 

Hergé antisémite ? L’essentiel tourne autour du fameux dessin de L’Etoile mystérieuse montrant deux juifs se réjouissant de la fin du monde (Le Soir, 10 novembre 1941, gag supprimé de l’album). Garcia contextualise : « Le Petit Vingtième publie plus de 30 plaisanteries “juives”, et ceci dès les premiers numéros, la première datant de novembre 1928 » (p. 252).

 

C’est là que le raisonnement de Garcia vaut son pesant de falafels : « La caricature porte essentiellement sur l’avarice supposée des Juifs. C’est donc moins le Juif qui est visé que l’avare. En toute logique, on devrait donc trouver dans les pages du Petit Vingtième des gags portant aussi sur les Ecossais, également supposés très économes. […] il y a tout autant de blagues écossaises sur l’avarice » (p. 255). Sans doute, mais il n’y a aucun dessin de Hergé mettant en scène quelque Ecossais avaricieux, même pas dans L’Île noire, histoire se déroulant pourtant en Ecosse (publiée dans Le Petit Vingtième d’avril 1937 à juin 1938)…

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C
onclusion de l’auteur : « Ces caricatures n’avaient alors aucune connotation antisémite, mais étaient conformes aux représentations de leur époque » (p. 273). Ça, on le savait sans devoir chercher d’alibi chez les Ecossais…

 

C’est d’ailleurs à peu près la même phrase que Garcia ressort pour expliquer chaque dessin qui fut reproché comme « antisémite » à Hergé. Le Juif du Blé qui lève (4 octobre 1925) ?« La représentation du Juif est peu flatteuse, mais elle est tristement conforme aux caricatures de l’époque. » (p. 265). Le fripier juif de Tintin chez les Soviets (Le Petit Vingtième, 28 février 1929) ? « La représentation est tristement conforme aux caricatures de juifs de l’époque. » (p. 265). Quant aux dessins illustrant Les deux juifs et leur pari, des Fables de Robert de Vroylande (1941), c’est bien simple : « Hergé se contente là de réaliser un travail de commande. Il n’y a aucune connotation négative ni antisémite dans ses dessins » ! (p. 271).

 

Il faut donc replacer ces dessins dans leur contexte qui est celui du supplément Jeunesse du Vingtième Siècle. Et ce contexte, c’est essentiellement Paul Jamin (« Jam ») qui le fournit. Garcia va donc examiner son dossier, pour conclure : « Nous l’avons vu, Jamin est persuadé que le “grand commerce international est surtout dans les mains des Juifs” et que toutes les “affaires” sont dues à des Juifs malhonnêtes et prêts à tout pour s’enrichir. En revanche, il ne cautionne ni l’idéologie ni les méthodes des nazis. Et prend la défense des Juifs “du peuple” quand ils font l’objet de persécutions. » (p. 264). Et d’ajouter : « Hergé n’ignore rien de ces prises de position de son collègue et ami », comme si Jam et Hergé ne faisaient qu’un.

 

C’est la même méthode d’analyse qu’il va utiliser pour établir que Hergé n’est aucunement « fasciste » ou « nazi », ce thème étant d’ailleurs déjà, inévitablement, présent dans le chapitre « Hergé antisémite ? ».

 

Jam sera donc à nouveau abondamment mis à contribution, pour ses commentaires essentiellement. Par exemple : « Allemagne. – Un monsieur peu sympathique, c’est Adolf Hitler, grand chef du parti national socialiste. » (p. 284, Le Petit Vingtième, 10 décembre 1931). Et même Jiv (Jean Vermeire), qui avait surtout été utilisé pour établir l’origine de nombreux gags dans la première partie du livre Inspirations d’Hergé pour les Aventures de Tintin, est mis à contribution pour établir que personne au Vingtième Siècle n’a été sympathisant des nazis : « le rire n’a pas voix au chapitre des dirigeants du Reich » (p. 287, Le Petit Vingtième, 19 janvier 1939).

 

Mais pourquoi diable, Garcia ne met-il pas également en exergue Léon Degrelle qui, le 20 juillet 1934, consacrait un « reportage hallucinant » dans son hebdomadaire Soirées sur La terreur hitlérienne.

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Car c’est également dans le quotidien de Léon Degrelle, Le Pays réel, que Jam publiera ses dessins violemment anti-hitlériens à la veille de l’invasion de la Belgique (ci-après, à gauche, dessin publié le 18 mars 1939) : décidément, oui, toute l’ancienne bande d’amis du Vingtième Siècle, unis dans le même patriotisme, ne nourrissait alors guère de sympathie pour l’Allemagne nationale-socialiste (à droite, la Une du Pays réel, le 11 mai 1940).

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Tout cela pour dire que la démonstration de Bob Garcia ne peut convaincre que lui-même : en quoi les publications de Jam et de Jiv des années 1930 peuvent-elles en effet exonérer celles de Hergé des années 1940 ? Au moment où le père de Tintin les publie, Jam est le dessinateur vedette, outre du Pays réel rexiste, de la Brüsseler Zeitung, quotidien national-socialiste bruxellois de langue allemande, et Jiv, lieutenant de la Wehrmacht, puis de la SS. Et Léon Degrelle, engagé comme simple soldat dans la Légion des Volontaires belges au Front de l’Est, en deviendra le Commandeur, obtenant finalement le grade de colonel pour bravoure au combat. Tous connaîtront la prison et paieront d’une condamnation à mort leur engagement pour l’Ordre Nouveau. Seul Hergé parviendra à échapper à son statut de « traître » qui lui fut décerné par la « résistance » communiste (Jam y figurait également, de même que la plupart des journalistes du Soir).

 

Mais, pour Garcia, le parcours de Hergé pendant la guerre relève de l’opportunisme (« En collaborant au Soir, Hergé sait qu’il touchera un public bien plus important », p. 288), d’une naïveté de « pacifiste convaincu » (p. 288) et de l’obstination à vouloir collaborer avec l’ennemi (« Même si l’Allemagne choisissait de nous réduire en esclavage, j’aurais au moins la conscience tranquille, […] je n’aurais rien fait pour empêcher cette collaboration de se réaliser » (p. 289).

 

Cela constitue un parfait contresens car cela revient à faire de Hergé le traître qu’il n’a jamais été. Et pour sortir de cette impasse à laquelle il vient d’aboutir, Garcia doit conclure par un paradoxe pour le moins spécieux : « Hergé aura donc été passablement opportuniste et lâche, mais à aucun moment il n’a adhéré à l’idéologie fasciste. » (p. 292).

 

Et pourtant, Garcia publie dans son ouvrage tous les textes (mais en les détournant, comme nous allons le voir) permettant d’établir que Hergé a suivi exactement la même route que ses amis Léon Degrelle, Paul Jamin et Jean Vermeire. En toute cohérence.

Galerie des traîtres 1.pngDans sa lettre à Charles Lesne du 6 septembre 1943 que cite Garcia, Hergé sait qu’il n’a rien à attendre des vainqueurs démocrates et qu’il risque désormais la mort : « je suis déjà catalogué parmi les “traitres” pour avoir publié mes dessins dans Le Soir […]. Le pire qui puisse donc m’arriver, c’est que, ayant été fusillé (ou pendu) pour ma collaboration au Soir, je sois refusillé (ou rependu) pour ma collaboration au Laatste Nieuws » (p. 289). Charles Lesne mettait en effet son ami en garde contre les « réactions » que la publication de ses dessins dans ce journal collaborationniste flamand pourrait provoquer, alors qu’on n’était « peut-être plus tellement éloignés de la fin des hostilités » (p. 289). Dans sa réponse désabusée (à « l’humour noir », selon Garcia), s’il fait allusion au « plus grand public » qu’il va pouvoir toucher in extremis, Hergé ne pense évidemment pas à ses gains financiers, mais à l’influence qu’il va pouvoir étendre sur des lecteurs menacés dans l’après-guerre qui s’annonce par le rouleau compresseur culturel américain : « C’est le moment ou jamais de prendre pied dans le plus grand nombre de journaux possible, même si ces journaux devaient disparaître ou changer de direction après la guerre. De toute manière, j’aurai touché un plus grand public. Et c’est là un excellent résultat si l’on songe qu’après tout cela, les dessins américains feront leur réapparition, appuyés par la propagande du dessin animé. » (p. 289).

Cette attitude courageuse est parfaitement cohérente avec l’engagement qu’il prit de défendre son idéal d’Ordre nouveau, idéal qu’il précisa dès 1941, dans les éditoriaux du Soir Jeunesse écrits d’ailleurs en collaboration avec son ami Jam : « cette guerre […] exprime un formidable effort de l’Europe qui veut se délivrer de l’égoïsme de certaines nations et remplacer par de nouvelles formules de vie, toutes sortes de théories qui ne sont plus en rapport avec la civilisation moderne… C’est cela qu’on appelle : l’ordre nouveau ! » (18 juin 1941, p. 290). « Je t’ai parlé, l’autre jour, de l’ordre nouveau. Avoir de l’ordre, tu sais ce que ça veut dire : mettre chaque chose à sa place, être soigneux envers soi-même, envers les choses dont on se sert. […] Ceci dit, ce sont les mêmes principes que l’on entend par la formule “ordre nouveau”, mais étendus à toute la Belgique et à toute l’Europe même. Un pays, c’est une grande famille ; et pour que tout le monde soit aussi heureux que possible, il faut que l’ordre y règne. Chacun à sa place et chaque chose à sa place. Ceux qui travaillent doivent avoir de bons outils, les lois doivent être faites le mieux possible afin que la justice soit établie. » (2 juillet 1941, p. 291).

Et il n’est nul besoin d’inventer une naïveté de pacifiste prêt à « tout compromis avec l’ennemi [pourvu que soit évitée] la guerre » (p. 288). Pour établir cette théorie parfaitement imbécile (Hergé est un vrai patriote et nous sommes en guerre depuis plus d’un an !), Garcia ira jusqu’à trafiquer les textes pour faire dire à Hergé qu’il préférerait l’esclavage allemand plutôt que de faire quoi que ce soit empêchant la collaboration avec l’occupant !

Hergé aurait écrit cela dans une lettre du 5 juillet 1941 à Philippe Gérard (que Hergé, exaspéré par ses effrayantes prédictions, caricaturera trois mois plus tard en Philippulus dans L’Etoile mystérieuse) en réponse à un courrier où ce prophète de malheur lui reprochait de s’être « rangé du côté de ceux qui font, sous le couvert de révolution et d’ordre, une sale besogne ».

Mais cette lettre de Hergé, que cite fallacieusement Garcia, dit précisément le contraire. Et Garcia le sait car il affirme tirer son texte de la biographie Hergé de Pierre Assouline, avec renvoi aux pages 313-314 ! Sauf que cette référence est fausse : Philippe Gérard n’est même jamais cité dans ce livre ! La lettre –ou plutôt son brouillon retrouvé dans les archives du dessinateur– se trouve dans Hergé, Lignes de vie, de Philippe Goddin (pp. 275 sv. Pour notre avis sur les « compétences » d’Assouline, voir nos trois articles sur ce blog, du 27 décembre 2021 au 5 janvier 2022).

Garcia ne cite en fait, et ce très précisément (y compris avec l'erreur de transcription « je n'aurais rien fait » pour « je n'aurai rien fait pour empêcher cette collaboration de se réaliser »), que l’extrait utilisé par un certain Arnaud Gonzague, pisse-copie de l’hebdomadaire français L’Obs qui y commit, le 5 octobre 2016, un Hergé a-t-il, ou non, été facho ? bien orienté (ce blog au 24 octobre 2016). Et si Garcia cite son compère faussaire, c’est pour adopter son point de vue sur Hergé : il n’y a « pas de doute sur son engagement » ! Voilà d’où vient la diffamation de la conclusion de son livre prétendant révéler Les ultimes secrets de Hergé : puisqu’il faut toujours affirmer envers et contre tout qu’ « à aucun moment il n’a adhéré à l’idéologie fasciste », c’est que « Hergé aura donc été passablement opportuniste et lâche » !...

Pour le texte précis de Hergé et son commentaire, nous renvoyons nos lecteurs à notre analyse publiée sur ce blog, le 24 octobre 2016. Ils y constateront que Hergé essayait de donner à son (ex) ami une leçon de réalisme, de loyauté et d’honnêteté… qui tomba sans doute bien à plat : les deux hommes rompirent, Hergé apprenant que « Philippulus » aurait « fait fortune sous l’Occupation de manière assez douteuse : “Comme quoi Dieu récompense les justes !”, [commenta] énigmatiquement Hergé dans une lettre à Paul Jamin. » (Benoît Peeters, Hergé, Fils de Tintin, p. 259).

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Caricatures dénonçant le marché noir, dans Le Pays réel (23 janvier 1941 et 18 juin 1943).

 

Oui mais, au terme de son ouvrage, Garcia fait état des regrets de Hergé d’avoir cru en l’Ordre nouveau : « Je reconnais que moi aussi j’ai cru que l’avenir de l’Occident pouvait dépendre de l’Ordre nouveau. Pour beaucoup, la démocratie s’était montrée décevante et l’Ordre nouveau apportait un nouvel espoir. C’est surtout dans les cercles catholiques que ces opinions étaient le plus largement exprimées. Après tout ce qui s’est passé, ce fut naturellement une grave erreur d’avoir placé quelque espoir dans l’Ordre nouveau. » (Haagse Post, 31 mars 1973, p. 44). A nouveau, nous regretterons que Bob Garcia n’applique pas ici sa méthode de mise en contexte. Il aurait pu comprendre qu’à cette époque, la sacralisation (aujourd’hui encore plus absolue) de la vérité officielle sur le Troisième Reich ne permettait guère de dire autre chose.

 

Léon Degrelle lui-même émit de semblables réserves à la même époque, notamment en parlant de Heinrich Himmler et des camps de concentration (ce blog au 25 janvier 2016). La trajectoire idéologique de Hergé fut bien parallèle à celle de son ami Léon Degrelle, et tout aussi rectiligne. Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter à notre série Degrelle-Hergé même combat ! (huit articles sur ce blog, du 21 septembre au 1er décembre 2020).

 

Même si, –à l’instar de ses amis–, il put mettre en doute a posteriori la capacité de l’Allemagne à permettre la réalisation de l’Ordre nouveau en Europe, Hergé –tout comme ses amis – demeura toujours fidèle à son idéal d’ordre politique et de justice sociale. Voilà pourquoi, miraculeusement épargné par l’ « épuration », il demeura, ainsi que le salua Robert Poulet (Rivarol, 18 mars 1983), « la providence des” inciviques” » pour tous ceux qui consumèrent leur vie pour l’Ordre nouveau, que ce soit par la plume (Jacques Van Melkebeke ou Robert Poulet), le dessin (Paul Jamin ou Ralph Soupault) ou les armes (Jean Vermeire et Léon Degrelle).

 

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Dès son engagement au Soir (15 octobre 1940) où écrivaient et dessinaient la plupart de ses amis, Hergé détailla dans Le Soir Jeunesse son idéal d’Ordre nouveau (voir ci-avant) et n’y dérogera plus : sa décision de travailler pour la presse flamande de collaboration, alors que d’aucuns pressentant la défaite de l’Axe, le lui déconseillaient avec force, ressemble furieusement à l’engagement tardif de ces jeunes Belges qui, bien que tout semblât perdu, vinrent renforcer la Légion Wallonie et essayer de corriger le destin de l’Europe d’Ordre nouveau (défilé des Volontaires de janvier 1944, fleuris par leur famille et la population, traversant le canal, place Sainctelette à Bruxelles, vers la basilique de Koekelberg)…

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