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Joris van Severen et Léon Degrelle

Léon Degrelle s’engagea au Front de l’Est.

Joris van Severen aurait-il franchi ce pas ?

 

Suite à un article paru dans le courrier trimestriel du Centre d’Etudes Joris van Severen (« Un camarade de tranchée de Joris van Severen sur le front de l’Yser, officier sur le Front de l’Est ? »), nous nous sommes intéressé à l’histoire du colonel Jules Frankignoul, officier de l’armée belge prisonnier à l’Oflag de Prenzlau, qui, en 1944, se porta volontaire pour rejoindre la Division Wallonie au Front de l’Est avant d’y renoncer sur pression de son entourage (voir ce blog au 23 janvier 2019).

 

Nous avions écrit que nous ne pouvions « souscrire à la conclusion de Maurits Cailliau, sentant par trop son politiquement correct contemporain » car nous avions interprété qu’il se réjouissait que l’ami de Joris van Severen ne se soit pas compromis au Front de l’Est.

 

Nous posant la question de savoir en quoi la qualité d’ami de Joris van Severen eût pu paraître incompatible avec un engagement au Front de l’Est, nous ajoutions : « Il n’est évidemment pas question pour nous d’imaginer ce que l’histoire du Verdinaso, du mouvement flamand et de la collaboration fût devenue si Joris van Severen n’avait pas été assassiné le 20 mai 1940. Mais peut-on exclure qu’il eût pu entrevoir de nouvelles possibilités pour le Dietschland après la victoire allemande ? qu’il eût d’ailleurs pu s’y voir encouragé par l’entourage royal ? qu’à l’instar de Léon Degrelle, il se fût engagé contre le communisme, aussi patriotiquement que tant d’autres Flamands ? qu’il eût pu se montrer fier de l’engagement de son ami Frankignoul dans les rangs de ceux qui voulaient bâtir une nouvelle Europe libérée des banksters, authentiquement nationale et sociale ? »

 

Joris vitrail.jpegC’est à cela qu’entend répondre M. Maurits Cailliau dans le nouveau courrier (2e trimestre 2019, pp. 19-20) du Studiecentrum Joris van Severen.

 

Entretemps, il nous est prêté, en tant que rédacteur de notre Courrier, un excès de « political correctness » –accusation que, par ailleurs, nous rejetons avec force. Elle se fonde sur le soupçon que nous aurions voulu innocenter celui qui fut l’ami de Joris van Severen au temps du Front de l’Yser d’un possible engagement au Front de l’Est. Nous savons tous en effet que nombre de disciples de Joris van Severen –et sûrement pas parmi les plus modestes d’entre eux – ont résolument franchi ce pas.

En ce qui nous concerne, nous nous garderons bien d’écrire l’histoire avec des « et si… » à propos de ce que Joris van Severen aurait pu faire s’il n’avait pas été assassiné à Abbeville en mai 1940. Toutefois, et après avoir étudié de nombreux documents allemands ainsi que les notes du journal de Joris van Severen lui-même, nous avons bien peur de devoir penser qu’il aurait plutôt partagé le sort d’un Paul Hoornaert, le chef de la Légion Nationale, qui mourut dans un camp de concentration allemand [certains parlent de Sonnenburg, aujourd’hui en Pologne, sur l’Oder, réservé à des opposants politiques des pays occupés ; d’autres du Fort de Breendonk, près d’Anvers] (nous avons rassemblé nos conclusions dans un essai intitulé « Les soupçons légitimes des Allemands sur le Verdinaso » qui sera publié dans le 23e Annuaire Joris van Severen qui paraîtra en mai prochain).

 

Nous regrettons d’avoir heurté M. Cailliau à propos de ce que nous avons compris à tort comme une tentation de « politiquement correct » et nous ne polémiquerons pas sur le fait de savoir qui écrit le plus d’histoire-fiction en évoquant la possibilité de réaliser le rêve thiois au sein du IIIe Reich ou celle d’aller mourir dans un de ses camps de concentration puisque, malheureusement, Joris van Severen n’a eu la possibilité d’effectuer aucun de ces choix après son assassinat à Abbeville, le 24 mai 1940.

 

 

Nous lirons avec beaucoup d’intérêt son prochain article sur ce que pensaient les Allemands du Verdinaso et de son Leider Joris van Severen et nul doute que ce jugement ne fut guère positif (F. Van Berckel, un pionnier dans la documentation des derniers jours du chef du Verdinaso, s’était déjà livré, en 1960, à l’examen de l’hypothèse d’un Joris van Severen « sympathisant des Allemands » et avait conclu à son impossibilité radicale dans son ouvrage De tragische dood van Joris van Severen en Jan Rijckoort – La Mort tragique de Joris van Severen et Jan Rijckoort, p. 150 sv.), mais nous pourrions citer nombre de rapports tout aussi négatifs des services allemands de la Militärverwaltung à propos de Léon Degrelle, le considérant tout au long de la guerre comme « versatile », « influençable », « impulsif », « inconstant », « opportuniste dépourvu de principes » et même « profiteur », ce qui n’empêcha pas le Führer en personne d’encourager sa politique de restauration bourguignonne ni de le couvrir de gloire en son Quartier-Général de la Wolfschanze !... (voir ce blog aux 28 juin 2017 et 21 juin 2018).

 

En fait, sans être, évidemment, spécialiste de Joris van Severen (M. Cailliau nous dira si nous nous trompons gravement dans ce que nous nous allons avancer), il nous semble bien que les parcours de Léon Degrelle et de Joris van Severen apparaissent parallèles, et ce, de manière particulièrement impressionnante.

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Néanmoins, nous ne disposons guère de documents sur les relations entre les deux hommes.

 

Pierre Daye évoque bien, dans ses Mémoires, des déjeuners où Gustave Sap (député catholique, informateur de Léon Degrelle sur les turpitudes financières de certains dirigeants de son parti) aurait rencontré chez lui, entre autres personnalités, le chef de Rex et celui du Verdinaso (sans préciser si c’était ensemble ou séparément). Quoi qu’il ait pu en être de la présence simultanée des deux chefs politiques chez Pierre Daye, il n’en reste pas moins qu’aux élections législatives du 24 mai 1936, à la grande fureur des responsables du VNV et, sans doute au déplaisir également de Léon Degrelle, Joris van Severen enjoignit à ses membres de voter blanc, soupçonnant explicitement Rex de participer à l’établissement d’un « ordre nouveau qui ne soit rien d’autre que l’immonde marécage de la versatilité stupide de la masse électorale » (Arthur De Bruyne, Joris van Severen, Droom en Daad, « Joris van Severen, Rêve et Action », p. 267)…

 

Plus intéressante sans doute est cette information communiquée par Emiel Thiers (cofondateur –avec Joris van Severen et Wies Moens– du Verdinaso), participant, en août 1936, à une réunion de responsables catholiques chez Prosper Thuisbaert (professeur à l’Université Catholique de Louvain) : « Que veut Rex ? Personne ne le sait, mais voici quelques jours à Bruges, Degrelle a parlé incidemment de l’Empire Thiois et il n’est pas impossible que Rex emprunte cette direction. » (Ibidem, p. 208).

 

Cette évocation par Léon Degrelle, à Bruges, du Dietschland s’est-elle faite au domicile de Joris van Severen ? Nous n’en savons rien. Mais, un peu plus tard, Carl Doutreligne (condisciple de Léon Degrelle à l’Université Catholique de Louvain qui, en juin 1940, partit à sa recherche en compagnie de Pierre Daye pour le libérer de ses prisons françaises : voir ce blog au 30 avril 2017 ; Carl Doutreligne fut condamné en 1948 à 20 ans de travaux forcés pour collaboration économique et fut déchu de la nationalité belge) écrit, le 17 août 1936, à Frantz Van Dorpe (responsable du Verdinaso pour Bruxelles et le Brabant, qui démissionna en 1939 et rejoignit la résistance en 1941) : « Je viens d’écrire à Pierre Daye que M. Van Severen, tout en souhaitant et en voyant l’intérêt d’une rencontre avec M. Degrelle, aimerait que celle-ci soit discrète et que peu de personnes y assistent ». (Patricia Janssens, Les Dinasos Wallons, 1936-1941, p. 160).

 

Nous ignorons si cette rencontre eut bien lieu et quelles en furent les conséquences. Mais on peut probablement regretter que ce projet n’ait pas débouché sur une belle amitié, car, juste après l’élection partielle du 11 avril 1937 (où Léon Degrelle dut affronter le premier ministre Van Zeeland, candidat-surprise unique de tous les autres partis : voir ce blog aux 6 mai 2016 et 14 avril 2017), le chef du Verdinaso ne manqua pas d’étriller à nouveau Léon Degrelle dans son discours du 16 avril à l’Hippodrome d’Anvers, en prenant spectaculairement la défense d’August Borms (activiste flamand condamné à mort après la Première Guerre mondiale), en pleine controverse sur la loi d’amnistie à laquelle Rex était violemment opposé et qui sera adoptée le 11 juin 1937…

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On trouve néanmoins trace d’une « vraie » rencontre entre Léon Degrelle et Joris van Severen, mais qui ne semble pas non plus avoir porté de fruits appétissants. C’est Arthur De Bruyne qui la relate dans son livre dont nous avons déjà parlé, mais sans préciser de date (probablement peu après les élections de 1939) :

« Au cours d’un entretien à Courtrai au domicile d’un rexiste, on a pu voir une nouvelle fois combien la méthode de bluff de Degrelle différait du travail en profondeur de Van Severen, empreint de calme, sans discours de kermesse ni recherche de succès de façade. A un moment donné, Léon se vanta :

Des militants ? J’en ai cinq mille !”

Ne le prenez pas mal, mais vous n’en avez pas un seul !” répondit Van Severen.

En effet, quand on considère la différence entre le D.M.O. [Dinaso Militanten-Orde, qui remplaça la Dinaso Militie, après l’adoption, en 1934, de la loi interdisant les milices privées] et n’importe quelle garde ou brigade de n’importe quelle organisation politique de ce pays, ce que van Severen affirmait n’était que trop vrai.

On parla également de la possibilité d’une révolution (rouge) en Belgique.

Une simple demande à Hitler et l’affaire est réglée : une centaine de chars allemands suffiront”, asséna Degrelle.

Agacé, van Severen répondit :

Réfléchissez-y quand même, car cela ne constituerait rien de moins qu’un casus belli ! Vous voulez donc précipiter votre peuple dans une nouvelle guerre ? Car c’est sans aucun doute ce qui se produirait puisqu’aussi bien la France que l’Angleterre interviendraient immédiatement ! Et alors ?”

Van Severen et Degrelle n’avaient dès lors plus rien à se dire. » (p. 274)

 

Nous ignorons bien sûr si cette relation est bien exacte, de même que nous n’en connaissons ni l’auteur ni sa fiabilité : les faits rapportés (surtout par rapport à l’époque où ils auraient été tenus) sont en effet difficilement conciliables avec ce que nous connaissons de l’attitude des deux chefs politiques par rapport à la politique officielle de neutralité de la Belgique (voir ce blog au 20 mai 2018) ni à celle qu’ils adoptèrent au moment de la déclaration de guerre, quelques mois plus tard (voir ci-après) : ils correspondent par contre tout à fait aux sentiments que ses ennemis du régime lui prêtaient dans la presse de l’époque : être un admirateur inconditionnel, sinon un intime, d’Adolf Hitler… C’est d’ailleurs ce cliché à la vie dure que M. Cailliau rappelle dans le bulletin du Studiecentrum Joris van Severen lorsqu’il cite cette « Analyse du Dossier Abbeville » publiée en 1977 par un certain Maurice Huré dans le Bulletin de la Société d’Emulation historique et littéraire d’Abbeville : « Il y avait aussi des Rexistes, c’est-à-dire les membres de l’important et très actif parti dont le titre était “Rex”, la devise “Rex vaincra”, parti wallon, mais cependant très sympathisant du national-socialisme, dont le chef était Léon Degrelle, lequel ne cachait pas son attachement à l’Allemagne d’Hitler » ! (p. 15).

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Ce qui est certain par contre, concernant les relations entre les deux hommes, c’est que Léon Degrelle n’évoqua pratiquement jamais Joris van Severen, sauf lors de l’émouvante commémoration du premier anniversaire du massacre (voir en fin d’article) où le rexiste René Wéry fut également particulièrement honoré. Mais autrement, c’est le silence (nous n’avons rien trouvé avant son interview par Jean-Michel Charlier en 1976 : voir Léon Degrelle : persiste et signe, p. 219), alors qu’il connaissait, dès le départ, la présence de Joris van Severen dans l’autocar qui l’emmenait de la prison de Bruges en France. Il déclare ainsi dans la plainte qu’il dépose le 21 août 1940 : « Le 15 mai de grand matin, après m’avoir passé les menottes, on me joignit à une colonne de prisonniers parmi lesquels je reconnus Monsieur Van Severen et Monsieur Wéry [René Wéry, 60 ans, agent de change, militant rexiste de Bruxelles, qui figure parmi les victimes d’Abbeville]. » (Carlos Vlaemynck, Dossier Abbeville, p. 331).

 

En 1941, il n’en parlera cependant pas dans La Guerre en prison autrement qu’allusivement en écrivant « Nous constituions une troupe très disparate : hommes politiques, étrangers, dont certains étaient extrêmement distingués, vieux clochards hirsutes. » (p. 91)

 

Faut-il déduire de cette absence de mention du nom du chef du Verdinaso dans les récits de Léon Degrelle une secrète inimitié entre les deux visionnaires du futur de nos provinces ? Pourrait-on d’ailleurs en trouver une trace dans le commentaire que Léon Degrelle apporta à la description du départ en autocar des prisonniers de Bruges effectuée par Saint-Loup dans Les SS de la Toison d’Or ? Ce dernier, tout en romançant les faits, avait peut-être percé une partie du secret de leur relation :

« Les deux hommes éprouvent une grande estime l’un pour l’autre mais ne s’aiment pas. Bien que passant outre à la querelle linguistique, tenue pour secondaire, chacun se veut le rassembleur des XVII provinces de la Grande Néderland éclatée. Van Severen recherche les Flamands égarés en pays wallon. Degrelle prétend s’implanter en pays flamand et, pouvant difficilement y diriger Rex, il en a confié la mission à Paul de Mont.

Malgré la consigne de silence en vigueur depuis Bruges, Joris van Severen dit à Degrelle :

J’ai l’impression que les Français vont nous faire un mauvais parti !

Les journaux français n’ont jamais parlé de vous. On ne vous connaît pas ! La haine de ces pauvres gens affolés retombe sur moi, malgré tout ce que j’ai fait pour empêcher cette guerre ! » (p. 27)

 

Dans son exemplaire du livre de Saint-Loup, Léon Degrelle a souligné le verbe de la proposition « Joris van Severen dit à Degrelle » et noté dans la marge « Non ! Pas un mot ! »

 

joris van severen,léon degrelle,abbeville,centre d’etudes joris van severen,maurits cailliauEn fait, Léon Degrelle n’a de cesse d’insister sur ce point car au début du récit de la déportation, Saint-Loup avait déjà écrit : « Degrelle comprend que les puissances occultes vont le déporter en France sans mandat d’arrêt ni chef d’inculpation. Il fait part de ses craintes à Joris van Severen ». Là aussi, dans la marge, il avait noté : « Nous ne nous sommes pas dit un mot ! » (p. 21)

 

Effectivement, ils ne se parlèrent pas, alors que –et nous revenons là à l’extraordinaire parallélisme entre les destins des deux hommes– tous deux présentaient un projet politique s’inspirant des glorieuses XVII Provinces et du Cercle de Bourgogne, devant aboutir, chez Joris van Severen, au Dietschland (englobant le Benelux actuel ainsi que la Flandre française) et, chez Léon Degrelle, à une renaissance de l’ancien Duché de Bourgogne (comportant les mêmes territoires, plus quelques autres territoires français dont, bien sûr, la Bourgogne : voir la carte annotée par Léon Degrelle en fin d’article). Pour tous deux cependant, ces nouveaux états ne signifiaient pas la disparition de la Belgique mais, au contraire, à ce moment, sa régénération sous l’autorité renforcée du roi Léopold III.

 

Avant-guerre, tous deux également ont ardemment défendu la politique neutraliste affichée par le roi Léopold et tous deux, lorsque la guerre fut déclarée, se conduisirent en ardents patriotes belges.

 

joris van severen,léon degrelle,abbeville,centre d’etudes joris van severen,maurits cailliauAinsi, à la fin de la campagne électorale d’avril 1939, Léon Degrelle écrivait déjà dans Le Pays réel du 18 mars : « Si vous votez pour eux [les partis du régime], vous ouvrirez le pays aux appétits de l’Empire Allemand. Voudriez-vous être une nouvelle Tchécoslovaquie ? Ne vous suicidez pas le 2 avril. Votez pour Rex. » Et dès la déclaration de guerre de la Grande-Bretagne et de la France au Reich allemand, il défendit bec et ongles une stricte neutralité telle qu’affirmée encore par le discours radiodiffusé de Léopold III souhaitant clarifier la politique belge à l’intention des Etats-Unis, discours immédiatement relayé en une dans Le Pays réel du 28 octobre 1939 et commenté sous le titre Consignes Royales (voir ce blog au 20 mai 2018).

 

Pareille attitude est difficilement compatible avec l’uniforme hitlérien que la presse du régime entend lui imposer : « Mes prises de position anti-allemandes dans Le Pays réel avaient même provoqué à plusieurs reprises l’interdiction de vente de notre journal en Allemagne » pourra rappeler Léon Degrelle à Jacques de Launay (Histoires secrètes de la Belgique, p. 211).

 

C’est ainsi aussi que Léon Degrelle demanda immédiatement son incorporation dans une unité combattante : « Personnellement, dès les premières menaces de guerre, j’avais écrit au ministre de la Défense Nationale pour m’engager à l’aviation. Ayant reçu, comme député, la formule à remplir qui me dispenserait de toute obligation militaire, je l’avais repoussée, demandant à faire mon devoir comme n’importe quel citoyen. » (La Guerre en prison, p. 69).

 

joris van severen,léon degrelle,abbeville,centre d’etudes joris van severen,maurits cailliauPour sa part, Joris van Severen ne fut pas avare non plus de déclarations de loyauté patriotique en ces temps menaçants. Dès le 28 septembre 1938, à la veille des accords de Munich, il télégraphiait au ministre des Affaires étrangères Paul-Henri Spaak : « En ces heures angoissantes, le Verdinaso-Belgique, en totales loyauté et discipline derrière le roi Léopold, se met inconditionnellement au service du peuple et de la Patrie. »

 

Après la déclaration de guerre anglo-française du 3 septembre 1939, il enjoignit à ses membres engagés dans l’armée : « Il va de soi que j’attends de vous qui constituez le corps d’élite du Verdinaso, plus encore que des membres ordinaires de notre Mouvement, qu’en tout, vous soyez l’exemple rayonnant de la discipline et de la correction. […] Continuez ainsi ! Car pendant que vous obéissez ainsi sans réserve et parfaitement aux ordres éclairés de notre Roi, vous servez également, avec l’incomparable éloquence de cette action, notre magnifique Mouvement. » (Message aux Hommes du Dietse Militanten-Orde se trouvant actuellement sous les armes, 12 septembre 1939).

 

Et, défendant tout aussi inconditionnellement que Léon Degrelle la neutralité proclamée par Léopold III (voir ce blog aux 4 juin 2016, 28 juin 2017 et 20 mai 2018), il comptera parmi les fondateurs du Verbond voor Nationale Zelfstandigheid (« Union pour l’Indépendance Nationale ») aux côtés de la fine fleur de la noblesse belge et du corps académique de toutes les universités, signant un manifeste appelant à consacrer les territoires du Dietschland (Pays-Bas, Belgique et Luxembourg) en « foyer de civilisation qui rayonnera sur l’Occident et l’Europe, dans le futur davantage encore que par le passé, pour le salut de l’humanité, et qui aidera les peuples de cette partie du monde à retrouver une conscience communautaire et à reconstruire un monde ordonné. […] C’est pourquoi nous voulons renforcer la politique d’indépendance et de liberté incarnée par le Roi et l’Armée, et la faire rayonner à l’extérieur. »

 

C’est dans la même logique que Joris van Severen enverra, le 7 avril 1940, un télégramme au roi où il affirme que « le Verdinaso se fait un honneur de se considérer comme un Groupe d’hommes qui veulent être et qui sont, avec une profonde et véritable reconnaissance et un orgueil noble et viril, parmi tous, Vos fidèles les plus fidèles. » Et d’ajouter avant sa signature : « Autour de Vous, le Mouvement est rassemblé, lié par un serment à la vie à la mort » (ces quatre références sont extraites de F. van Berckel, De tragische dood van Joris van Severen en Jan Rijckoort. Abbeville, 20 mei 1940, « La Mort tragique de Joris van Severen et Jan Rijckoort », p. 23-26).

 

Léopold III lui fit répondre fort aimablement quelques jours plus tard. Mais après quelques semaines, c’est une autre réponse, tout inattendue, qui lui parvint, en même temps d’ailleurs qu’à Léon Degrelle.

 

En effet, parallèlement à cet ardent échange de télégrammes patriotiques entre le chef du Verdinaso et le souverain, le ministre de la Justice, le franc-maçon libéral Paul-Emile Janson, réunissait son « Comité de coordination » afin d’établir les listes de Belges « soupçonnés d’entretenir des relations avec une puissance étrangère ou dont la présence sur le territoire national pourrait entraver les opérations militaires ». Il en sortit notamment une liste de cinquante et une personnalités politiques –dont Léon Degrelle et Joris van Severen– que Walter Ganshof van der Meersch, auditeur général auprès de la cour militaire, s’empressa d’envoyer aux procureurs généraux leur donnant ordre de « prendre toutes dispositions utiles en vue évacuation des sujets internés » (Carlos Vlaemynck, Dossier Abbeville, p. 371).

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C’est ainsi que les deux partisans d’une « Grande-Belgique » se retrouvèrent en transit à la prison de Bruges, attendant leur transfert en France (voir ce blog aux 30 avril et 6 mai 2017).

 

Croyant sincèrement à une erreur administrative, la famille et les proches des deux emprisonnés se mobilisèrent immédiatement pour faire intervenir les personnes les plus haut placées qu’elles pouvaient connaître.

 

Ainsi Marie-Paule Degrelle-Lemay ne pouvait-elle s’adresser à plus haute personnalité connue de son mari que le souverain lui-même : « Apprenant l’arrestation de son mari, Mme Degrelle téléphona au cabinet du roi et demanda à parler au souverain. Celui-ci vint à l’appareil, puis raccrocha. » (Jacques de Launay, Histoires secrètes de la Belgique, p. 164). Libéré, Léon Degrelle s’en plaindra auprès du secrétaire du roi, le comte Robert Capelle : « J’ai été le meilleur défenseur de la politique du Roi avant la guerre –le Roi lui-même me l’a dit– et malgré cela, j’ai été arrêté par l’autorité belge dès le 10 mai et je suis resté leur prisonnier pendant 10 jours ; il m’a été fort pénible de ne pas avoir été libéré par ordre du Roi. » (Recueil de Documents établi par le Secrétariat du Roi concernant la période 1936-1949, Addenda, p. 82).

 

Du côté de Joris van Severen, la multiplication des interventions, la qualité des intercesseurs et l’inanité de leurs efforts démontrent également la puissante malfaisance de ceux qui donnèrent les ordres d’incarcération.

 

Le premier à intervenir fut le gouverneur de Flandre occidentale, Henri Baels, père de Lilian, future épouse de Léopold III. En vain, comme fut vaine également l’intervention du bourgmestre catholique de Bruges.

 

Plus déterminants semblèrent les efforts du baron Pierre Nothomb, sénateur du parti catholique, ancien président des « Jeunesses nationales » qui participèrent, aux côtés de Léon Degrelle, au saccage de l’exposition soviétique en mai 1928 (voir ce blog au 7 février 2019 et Léon Degrelle, Cristeros, Editions de l’Homme Libre, pp. 39 sv.).

 

Mis au courant de l’arrestation de nombreux militants du Verdinaso le vendredi 10 mai, il arrache immédiatement au Premier ministre Hubert Pierlot la promesse de leur libération. Mais, le dimanche 12, c’est l’arrestation du chef du Verdinaso lui-même qu’il apprend. Aussi renvoie-t-il immédiatement au Premier ministre une note réclamant sa libération qui lui est aussitôt promise. Il en reçoit confirmation, le soir même, par des collègues sénateurs catholiques sortant du bureau du ministre de la Justice Paul-Emile Janson.

 

joris van severen,léon degrelle,abbeville,centre d’etudes joris van severen,maurits cailliau,verdinaso,pays réel,léopold iii,dietschlandC’est ainsi qu’il se réjouit d’envoyer à son ami Joris van Severen l’heureuse nouvelle de sa libération… qui devait s’avérer prématurée, et même fausse ! Pierre Nothomb se rendit par la suite à Bruges pour intervenir à nouveau, en vain, auprès de la cour militaire, du procureur du roi et même du cabinet de Ganshof van der Meersch…

 

Inquiet à juste titre du sort de son ami, il partit encore à sa recherche en France, mais ne put qu’apprendre, par un article du Soir, son « exécution » à Abbeville. C’est en rentrant chez lui, fin juillet, qu’il trouva la réponse dilatoire du Premier ministre Hubert Pierlot, datée du 13 mai 1940, que nous citerons ci-après.

 

Entretemps, ayant rencontré les ministres belges réfugiés à Vichy, il avait dû s’entendre dire par Paul-Emile Janson que la tragédie de la mort de Joris Van Severen s’était produite hors de toute responsabilité du gouvernement ! (F. Van Bercker, De tragische dood van Joris van Severen…, p. 77). Ce qui constitue un mensonge éhonté au vu des pièces de l’instruction judiciaire qui fut ouverte fin 1940 pour établir les responsabilités concernant les arrestations et les exécutions de mai 1940. On doit de pouvoir consulter ces rares documents à Carlos Vlaemynck qui les a rassemblés dans son indispensable Dossier Abbeville (Davidsfonds, Louvain, 1977).

 

C’est ainsi que le sénateur du Vlaams Nationaal Blok Hendrik Borginon, avocat de Joris van Severen, déclare : « Le dimanche 12 mai, vers 9h, je fus appelé au téléphone par M. P.E. Janson, alors ministre de la Justice, qui souhaitait me rencontrer. […] Il me demanda de but en blanc :Dites, Borginon, Van Severen, faut-il le lâcher ?Je fus stupéfait d’apprendre que Georges Van Severen avait été arrêté et fit valoir au ministre le caractère incompréhensible et même insensé de cette mesure. […] Je n’ai pas dû insister, le ministre déclara : Oui, Nothomb me l’a déjà dit, mais je voulais avoir votre avis ! C’est entendu, je vais le faire libérer.” […] Pour moi, le cas Van Severen était réglé, et dans le bon sens. Mais en fait, il n’a jamais été question de sa remise en liberté. Comme on me l’a assuré plus tard –et de bonne source–, le Premier ministre Pierlot s’y était opposé. » (pp. 343-344).

 

Nous sommes là au cœur d’un jeu de dupes où tous les ministres éludent leur responsabilité dans le sort du chef du Verdinaso, tout en feignant d’ignorer où elle se trouve.

 

C’est ainsi que le lendemain de la visite de Borginon au ministre Janson –qui affirma mensongèrement au sénateur avoir reçu la visite de Pierre Nothomb intercédant en faveur de Joris van Severen–, le Premier ministre Pierlot, seul à avoir été approché en ce sens par Nothomb le 12 mai, écrit à ce dernier le 13 mai : « La question dont tu m’as parlé a été examinée de près. Les avis sont si partagés que, ne connaissant pas personnellement d’assez près l’intéressé, je n’ai pas cru pouvoir insister actuellement pour l’élargissement de celui-ci. Tous mes regrets de ne pouvoir te donner de meilleures nouvelles de cette affaire. » (p. 340).

 

Ce qui veut dire que Pierlot retire sa promesse faite à Nothomb de libérer Joris van Severen, le 12 mai après-midi, prétendument après « examen » du gouvernement dont « les avis sont si partagés » qu’ils empêchent une décision favorable. Qui d’autre que Janson eût pu avoir un avis « partagé », c’est-à-dire négatif après avoir reçu l’avis de Borginon qu’il convoque également le 12 mai ? Nous croyons donc que Pierlot, immédiatement après la visite de Nothomb, a rapporté cette visite à Janson en lui demandant conseil. Ce dernier n’a rien trouvé de mieux que de demander l’avis du nationaliste Borginon qui ne pouvait être pour lui qu’un flamingant de la pire espèce à la Ward Hermans (voir ci-après) qui, en exprimant un avis en tous points semblable à celui de Nothomb ne pouvait que discréditer celui-ci… tout en laissant entendre à Borginon que son avis avait d’autant plus de valeur qu’il rejoignait celui de Nothomb !

 

Il ne lui restait plus qu’à faire croire à Borginon que sa décision annoncée d’élargir Joris van Severen avait été contrecarrée par l’opposition du Premier ministre Pierlot. Tandis que ce même Premier ministre envoyait une lettre à Pierre Nothomb pour lui faire croire que sa décision annoncée d’élargir Joris van Severen avait été contrecarrée par l’opposition d’autres ministres (dont sans aucun doute Janson)…

 

Entendu le 2 avril 1941 dans le cadre de la même procédure concernant les arrestations de mai 1940, Walter Ganshof van der Meersch n’aura aucun scrupule à rappeler l’implication du ministre Janson : « En ce qui concerne le cas Van Severen, je ne sais absolument rien, vu qu’il a été arrêté par Monsieur le Procureur du Roi de Bruges sur ordre du ministre de la Justice [Paul-Emile Janson] » ! (p.349).

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Au même moment, l’ancien chef du groupe parlementaire rexiste, Pierre Daye, qui vient d’avoir confirmation par l’ambassadeur du Reich à Paris, Otto Abetz, que Léon Degrelle est vivant et sans doute emprisonné quelque part en France, se précipite à Vichy. En attendant le résultat des recherches du Ministère de l’Intérieur français dans toutes les préfectures, Pierre Daye rencontre, le 20 juillet, les ministres belges qui lui offrent la même lamentable pantomime de leur totale ignorance concernant les arrestations de Joris van Severen et de Léon Degrelle, Janson allant jusqu’à en rejeter toute responsabilité sur un Ganshof van der Meersch qui « se serait arrogé une autorité dictatoriale et aurait méconnu gravement ses intentions » (Jacques Crokaert, Les Routes de l’exode, p 298).

 

Une nouvelle fois, c’est le Dossier Abbeville établi par Carlos Vlaemynck qui pourra établir sans conteste ce misérable mensonge. En effet, Jean-Camille Pholien, procureur-général près la cour d’appel de Bruxelles et par ailleurs membre du Comité de coordination chargé d’établir les listes de suspects à arrêter, témoigne éloquemment du souci de Janson de s'assurer du caractère effectif de l'incarcération de Léon Degrelle : « Ces instructions [de procéder aux arrestations], l’état de siège étant proclamé, je les ai reçues par une autre communication téléphonique de Monsieur l’Auditeur Général [Ganshof van der Meersch] agissant, m’a-t-il dit, au nom du Ministre de la Justice [Paul-Emile Janson]. Enfin, le Ministre de la Justice lui-même m’a téléphoné pour m’enjoindre de faire procéder aux arrestations. […] Pendant la journée du 10 mai, j’ai reçu du Ministre de la Justice un nombre considérable de coups de téléphone pour s’informer si telle ou telle personne était mise à sa disposition. Je me souviens d’avoir reçu notamment des demandes du Ministre au sujet de Messieurs Degrelle, Colin, Staf Declercq et plusieurs fois à propos de Monsieur Ward Hermans [nationaliste flamand qui, n’acceptant pas la nouvelle orientation du mouvement, quittera le Verdinaso pour le VNV et affichera ouvertement ses sympathies nationales-socialistes]. » (pp. 352-353).

 

Nous sommes donc convaincu que c’est sciemment que les ministres belges ont précipité et Joris van Severen et Léon Degrelle dans cette aventure carcérale de tous les dangers. Afin, sinon de les éliminer, du moins de se venger de leur opposition idéologique qui était la condamnation sans appel de leur régime.

 

joris van severen,léon degrelle,abbeville,centre d’etudes joris van severen,maurits cailliau,verdinaso,pays réel,léopold iii,dietschlandSi la mort de Joris van Severen relève peut-être d’un enchaînement de circonstances dramatiques et imprévisibles dans leur détail –mais pas incertaines dans le contexte chaotique de la déroute de 1940–, le sort de Léon Degrelle avait été, quant à lui, minutieusement planifié afin qu’il n’échappe pas à une mort certaine dont les Français auraient dû, seuls, supporter la responsabilité.

 

Telle était en effet la mission d’Adolphe Delierneux, « fonctionnaire socialiste de l’administration des prisons » (Jules Gérard-Libois et José Gotovitch, L’An 40, p. 250). C’est à ce titre qu’il reçut ordre de livrer les « prisonniers politiques » de la prison de Bruges aux autorités françaises. C’est lui qui s’occupa personnellement du « détenu Degrelle », ordonnant –contre tout usage– qu’on lui liât les mains dans le dos, l’insultant ignominieusement et le menaçant de mort. Arrivé à Dunkerque, c’est lui qui excita les militaires français contre les détenus. C’est lui aussi qui sépara Léon Degrelle de ses codétenus et le livra au sous-préfet de Dunkerque, le mal nommé Alphonse Le Gentil, afin d’être exécuté. Léon Degrelle ne dut son salut qu’à l’approche des troupes allemandes, ce qui lui valut d’être conduit en hâte à la prison de Rouen où Delierneux vint vérifier… qu’il était encore vivant. Après bien des sévices, Léon Degrelle fut transféré à la prison d’Evreux où Delierneux le visita une ultime fois avant de s’enfuir vers l’Angleterre avec le dernier bateau d’officiels belges, le Léopold II (voir ce blog au 6 mai 2017).

 

Pour lever toute ambiguïté sur le rôle particulier et l’implication criminelle du ministre de la Justice Janson dans le sort des prisonniers expatriés, citons encore ce témoignage de Ganshof van der Meersch : « Vers le 12 juin, j’ai rencontré par hasard à Poitiers M. Delierneux, directeur de l’Administration centrale des Prisons au Ministère de la Justice, après qu’il eut, selon ses dires, eu un entretien avec le Ministre de la Justice. Ce fonctionnaire m’a alors expliqué qu’il avait reçu dans ses compétences la direction et l’organisation des camps d’internement, qu’il avait accompagné en France divers groupes de Belges arrêtés pour des raisons de sécurité et qu’il avait organisé des services belges dans les prisons et les centres d’internement français. » (Carlos Vlaemynck, Dossier Abbeville, p. 365).

 

Néanmoins, pour Janson et les ministres belges en déroute à Vichy, le cas de Léon Degrelle miraculé se révélait finalement plus intéressant que celui de Joris van Severen fusillé : puisque le bougre était toujours vivant, il pouvait donc toujours se révéler utile.

 

C’est ainsi que le ministre de l’Agriculture, Charles-Albert d’Aspremont-Lynden (dont le fils faisait partie de l'Association Belgique-Pays-Bas-Luxembourg  n'hésitant pas à sympathiser avec le Verdinaso de Joris van Severen) évoque la possibilité d’une réconciliation avec les rexistes et Léon Degrelle. Ce que s’empresse de confirmer le ministre de la Justice Paul-Emile Janson : « Vous devriez partir sur l’heure à la rencontre de Léon Degrelle, lui parler en notre faveur, lui dire nos regrets et notre désir. Convainquez-le et vous préparerez la réconciliation de tous les Belges. » (Jacques Crokaert, Les routes de l’exode, p. 298).

 

Mais il faudra encore bien des tribulations avant que Léon Degrelle ne soit rejoint et sauvé par son ami Pierre Daye.

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À ce stade de notre examen comparatif du sort des deux chefs grand-belges, il nous faut encore évoquer ce fait singulier, révélateur une nouvelle fois de leur communauté providentielle de destin.

 

Lorsqu’il apprit la tragédie d’Abbeville, Adolf Hitler ne put s’empêcher d’évoquer la malheureuse fortune de Léon Degrelle devant l’ambassadeur d’Italie venu lui annoncer, le 31 mai, que Mussolini déclarerait la guerre à la France et à la Grande-Bretagne le 5 juin 1940. Ce faisant, Adolf Hitler confirmait spectaculairement l’impression vive et durable qu’imprima dans son souvenir Léon Degrelle lors de leur rencontre impromptue du 26 septembre 1936 à Berlin (voir ce blog au 12 mai 2016).

 

Mais en donnant tous les détails qu’il connaissait des massacres d’Abbeville dont il croyait Léon Degrelle victime, le Führer, sans s’en rendre compte, faisait un récit assez précis de l’assassinat de Joris van Severen et de ses compagnons, même s’il confondait les militants du Verdinaso avec des « nationalistes hollandais » et van Severen avec le frère d’Anton Mussert, le chef du Mouvement national-socialiste aux Pays-Bas (également partisan de la réunion de la Flandre aux Pays-Bas) : « Abordant les dernières nouvelles, le Führer déclara que ce qu’il avait appris au sujet de l’exécution de Degrelle avait été confirmé par un Danois qui avait assisté à cette exécution [l’ingénieur Paul Winter, arrêté, sans qu’on lui connaisse la moindre activité politique, par la police de Bruxelles, le 10 mai 1940]. D’après les dires de ce témoin, un groupe de soixante-treize personnes au total, pour la plupart des nationalistes hollandais et des rexistes belges, mais également d’autres étrangers, comme par exemple des Allemands et des Danois, avait été traité absolument comme du bétail. Il y avait eu des femmes parmi les condamnés à mort. En adoptant une politique de violence, on avait tout d’abord conduit ces victimes à Lille, puis lorsque cette ville n’avait plus été sûre, vers Abbeville. On avait commencé par les rassembler, puis ils s’étaient présentés quatre par quatre et avaient alors décliné leur identité un à un ; et c’est justement là que le témoin danois avait entendu aussi le nom du chef rexiste belge. Puis, toujours quatre par quatre, on les avait fusillés. Mais, pendant que se déroulait cette tragédie, un Stuka allemand était apparu au-dessus de la ville et chacun avait aussitôt cherché un abri. Le Danois lui-même s’était réfugié dans une caisse et c’est là qu’il avait été trouvé par les Allemands. Par contre, Mussert, ajoutait le Führer, n’a pas été tué, mais son frère. Ces chefs nationalistes et rexistes étaient, du reste, non seulement des têtes bien faites, mais aussi des patriotes possédant un cœur et un esprit. Eux anéantis, les démocraties humanistes perdaient leur meilleur sang et couraient elles-mêmes à leur propre perte d’une manière barbare. » (Andreas Hillgruber, Les Entretiens secrets de Hitler, p. 134).

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Voilà où nous en sommes dans notre parallélisme entre les destins de Léon Degrelle et de Joris van Severen : tous deux fervents patriotes, ardents partisans du roi Léopold III et de sa politique de neutralité, c’est-à-dire d’indépendance nationale, tous deux ayant fermement et sans la moindre équivoque condamné l’attaque allemande du 10 mai, tous deux arrêtés arbitrairement aux premières heures de l’offensive des troupes du Reich au titre de suspects d’appartenir à une hypothétique « cinquième colonne » allemande, tous deux emprisonnés, déportés en France et remis sans autre forme de procès aux autorités françaises. Au terme de ce périple assassin, l’un –Joris van Severen– sera passé par les armes sans jugement, l’autre –Léon Degrelle– sera libéré après avoir été torturé dans dix-sept prisons (voir ce blog au 30 avril 2017). Mais pour ces deux destins, les ministres du gouvernement feindront une surprise consternée et en rejetteront l’entière responsabilité sur l’appareil judiciaire et plus particulièrement sur l’auditeur général Walter Ganshof van der Meersch.

 

Si nous ne sommes pas spécialiste de Joris van Severen, nous le sommes moins encore de Paul Hoornaert, le chef de la Légion nationale. La seule chose qui nous importe est que Maurits Cailliau nous le présente comme celui dont le destin aurait plus vraisemblablement été suivi par Joris van Severen, c’est-à-dire entrée immédiate dans la résistance, arrestation par les Allemands et mort dans un camp de concentration.

 

Malgré tout, comme le souligne M. Cailliau, Joris van Severen ayant été assassiné dans les premiers jours de la guerre, nous ne savons quand même rien de ce qui aurait vraiment pu se produire. Mais si l’ « option Hoornaert » n’est pas à exclure puisque tant de membres du Verdinaso sont effectivement passés à la résistance, suivant, par exemple, un Jef Van Bilsen, ancien dirigeant du Verdinaso, à l’Armée Secrète (dont faisait partie la Légion belge rejointe par Hoornaert), cela veut-il dire que Joris van Severen aurait suivi ses amis dans ce mouvement de résistance qui ne prenait ses ordres qu’auprès du gouvernement belge de Londres (cf. L’Armée secrète, ses origines, sa mission, pp. 3-4) ? C’est-à-dire auprès des Spaak et Pierlot qui avaient, sinon fomenté son arrestation, en avaient du moins été complices, et qui furent rejoints en juin 1943 par l’infâme Ganshof qui, pour l’occasion, devint « Haut Commissaire à la sécurité de l’Etat », en charge de la coordination des mouvements de résistance en Belgique et de l’organisation de l’ « épuration » sur les mêmes bases que les arrestations arbitraires de mai 1940 ?

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Tout est possible, mais nous nous permettrons d’en douter, à moins de postuler chez nos victimes quelque vocation de masochiste assoiffé de béatitude christique. C’est ainsi que Léon Degrelle refusa également toute relation avec ses persécuteurs et rejeta la proposition de Janson évoquée plus haut : « Sous l’égide de Léon Degrelle, le Gouvernement Belge, ne sachant vraiment pas à quel saint se vouer, espérait rentrer en Belgique. […] Malheureusement, Daye, en dépit de ses efforts, échoua dans sa mission. […] Degrelle avait été cruellement traité au cours de sa déportation en France et n’était nullement disposé à pardonner […]. Aussi toutes les objurgations furent-elles vaines. Ce n’était pas sur Degrelle que Pierlot, Paul-Emile Janson et leurs épigones pouvaient compter pour rentrer en Belgique. » (Jacques Crokaert, Les Routes de l’exode, p. 299).

 

Ce qui ne veut pas dire non plus que nous pensions que Joris van Severen aurait suivi l’autre tendance du Verdinaso dans une collaboration aveugle s’intégrant au VNV, à DeVlag ou à la SS-Vlaanderen

 

Sans doute d’ailleurs les documents que nous annonce Maurits Cailliau nous confirmeront-ils qu’il est fort peu vraisemblable que le chef du Verdinaso aurait jamais rien voulu à voir avec ces derniers. Mais aurait-il pour autant suivi Hoornaert ?

 

Ne peut-on envisager qu’il se serait plutôt efforcé de connaître le sentiment du roi, seul recours des citoyens et seul habilité en ces temps troublés, –comme il l’a laissé entendre (tout comme d’ailleurs Léon Degrelle)–, à donner des directives pour le futur ?

 

C’est en effet ce que firent la plupart des « léopoldistes » comme Léon Degrelle (qui, évacuant tout ressentiment, prit même conseil auprès du cardinal Van Roey !) ou Robert Poulet, ou Pierre Daye, ou Raymond De Becker, ou Lucien Lippert, etc. qui se pressèrent dans le bureau du comte Capelle, secrétaire particulier du roi, ou dans celui du général Van Overstraeten, qui en était le conseiller militaire.

 

C’est ce que ne fit jamais Paul Hoornaert. Sans doute n’en avait-il pas besoin puisqu’il avait fantasmé et exalté son roi, prisonnier d’un régime honni, mais pouvant compter indéfectiblement sur sa Légion nationale, qu’il affichait comme « la garde prétorienne de la monarchie »…

 

Et si la position officielle du roi se considérant prisonnier des Allemands à l’instar des membres de son armée, était de ne s’autoriser aucune activité politique, le comte Capelle savait bien qu’insulté par ses anciens ministres lors de la capitulation du 28 mai 1940, le souverain écrasait de son mépris le gouvernement de Londres et ne voulait plus en aucun cas avoir affaire avec ses représentants (« Je ne veux plus jamais avoir de rapports avec Pierlot, Spaak et les autres gens de Limoges et de Londres […] : les déclarations du Roi n’ont jamais varié, [basées] sur le souvenir d’un affront inoubliable. » Henri De Man, Notes sur mes rapports avec le Roi Léopold, p. 32-33). Aussi les réponses données par le secrétaire du roi ne purent-elles qu’encourager tous ceux qui le consultèrent dans la voie de la collaboration, ce qui fut effectivement toujours le cas. Et ce, d’autant plus que, quoi qu’il ait pu raconter dans ses mémoires, Au Service du Roi, plaidoyer pro domo et pro Léopold publié en 1949, soit en pleine « Question royale », « Capelle, seul ou à peu près seul [dans l’entourage royal revenu à Laeken avec le roi prisonnier] misait sur l’autre tableau [non pro-londonien, c’est-à-dire allemand] ou sur les deux » ! (Henri De Man, Notes sur mes rapports avec le Roi Léopold, p. 31).

 

joris van severen,léon degrelle,abbeville,centre d’etudes joris van severen,maurits cailliau,verdinaso,pays réel,léopold iii,dietschland,pierre daye, pierre nothomb, Et comment le souverain n’aurait-il pas privilégié cette option, même si cela apparut parfois de manière irrésolue, puisque dès la capitulation, Léopold III vit enfin l’occasion de se libérer « du régime parlementaire et de la ploutocratie capitaliste dans les soi-disant démocraties », comme le saluait son proche conseiller Henri De Man dans son Manifeste aux membres du Parti où il pressait ceux-ci, dès le 28 juin 1940, de s’engager dans « un mouvement de résurrection nationale » englobant « toutes les forces vives de la nation […] dans un parti unique, celui du peuple belge, uni par sa fidélité à son Roi et par sa volonté de réaliser la Souveraineté du Travail. » Ce manifeste quasi national-socialiste fut lu, annoté et approuvé par le souverain lui-même ! (Henri De Man, Notes sur mes rapports avec le Roi Léopold, p. 35).

 

Cette sympathie agissante pour l’Ordre nouveau s’est également manifestée de manière on ne peut plus probante dans la réaction du roi au rapport que lui fit le comte Capelle sur les propos que Léon Degrelle lui tint le 21 août 1940 : « Il est évident que c’est Hitler qui décidera du sort de notre Pays ; il tranchera dans le vif et une fois qu’il aura décidé, il n’y aura plus rien à faire. Aussi faut-il prendre les devants et lui faire parvenir un petit dossier des désirs belges, compatibles avec la situation actuelle et la “révolution” qui s’est opérée. Ce dossier, je suis prêt à aller le lui porter moi-même. […] Ce dossier serait basé sur l’histoire de Belgique. La période bourguignonne a été la plus glorieuse pour nous : elle a été le début de notre unité. A cette époque, nos princes avaient une autorité directe et quasi autonome sur nos provinces. Théoriquement, ils dépendaient de l’Empire germanique. Je verrais parfaitement pour l’avenir une situation analogue. » (Recueil de Documents établi par le Secrétariat du Roi concernant la période 1936-1949, Addenda, p. 82).

 

joris van severen,léon degrelle,abbeville,centre d’etudes joris van severen,maurits cailliau,verdinaso,pays réel,léopold iii,dietschland,pierre daye,pierre nothomb,henri de manQuelques jours plus tard, Léopold III –qui avait chargé son secrétaire de recevoir à sa place Léon Degrelle et de l’écouter afin de connaître ses intentions (Comte Capelle, Au Service du roi, t. II, p. 78)–, embraya sur l’histoire rappelée par le chef de Rex de nos principautés vassales de l’Empire germanique, faisant cette remarque à Henri De Man : « Le Roi me demanda si je croyais que dans une Europe fédérée sous l’hégémonie allemande, il pourrait, en tant que Roi, prêter à Hitler un serment comportant une certaine allégeance comme dans le Reich d’antan, les monarques à l’Empereur. » (Henri De Man, Notes sur mes rapports avec le Roi Léopold, p. 33).

 

C’est assez dire si Léopold III, au lendemain de la victoire allemande, pensait bien celle-ci définitive et que son seul souci était de voir dans quelle mesure le pays pourrait conserver son indépendance et quel y serait désormais le rôle de la dynastie.

 

Et si Joris van Severen avait eu l’occasion de lui demander conseil, directement ou par l’intermédiaire de proches comme le comte Capelle, il n’aurait certainement pas reçu d’autre réponse que celle que reçurent tous les autres.

 

Et tous ces autres qui voulurent aussi bien faire se trouvèrent encouragés –comme, à n’en point douter, l’eût été aussi Joris van Severen– à s’engager de bonne foi dans une collaboration constructive avec l’Allemagne nationale-socialiste afin de bâtir une Europe où, selon le vœu du roi Léopold III, eût prévalu l’esprit de communauté et où le travail eût été la seule source de la dignité et du pouvoir… (sur les rapports entre Léopold III et Adolf Hitler, voir ce blog au 28 juin 2017).

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Pour l’heure, nous laisserons Léon Degrelle conclure, soulignant la communauté de destin qui l’unissait au chef du Verdinaso dans le discours d’hommage qu’il lui rendit, ainsi qu’à tous ses compagnons d’infortune et d’idéal, le 20 mai 1941 (moment où –rappelons-le– le chef de Rex avait mis son mouvement en retrait de toute activité politique) :

 

« Il y a un an, jour pour jour, vingt et un cadavres, recroquevillés, gisaient au pied de la muraille funèbre : vingt et un hommes, durant dix jours, s’étaient avancés, victimes innocentes d’une brutalité bestiale, abreuvés d’insultes, ayant la douloureuse certitude que leur trépas serait profané.

 

Ces êtres-là, pourtant, ont pu regarder la mort en face, et leurs regards ne reflétaient que la sérénité du juste ; ils sont arrivés à l’ultime seconde de leur vie avec le maximum de spiritualité qui se puisse concevoir.

 

Voilà pourquoi nous avons tant besoin, aujourd’hui, de célébrer la mémoire de ces êtres d’élection. On pourra frémir devant toute la bassesse humaine déchaînée : resteront plus purs que quiconque, ceux qui sont tombés pour avoir défendu malgré tout, contre le nombre, cette vérité incarnée pour eux par la grande révolution qui montait.

 

Plus que jamais, au cours des siècles, les peuples ont eu besoin de souffrances pures endurées dans un monde d’égoïsme, de cupidité et de bassesse. La guerre, avec son cortège sanglant de tous les désespoirs, eût été une chose horrible si de toutes parts n’avaient pas surgi ces âmes d’élite, vivants holocaustes.

 

Quand des milliers d’hommes fuyaient, abdiquant leur dignité, vingt et un martyrs venaient à notre rencontre, porteurs d’éclatantes lumières, comme désignés par le destin pour un rôle sublime.

 

À l’heure du sacrifice, deux croisés se sont rencontrés : Joris van Severen, venu des plaines de Flandre, René Wéry, descendu des collines de Wallonie, tous deux ayant la même sérénité, tous deux fils d’une même terre et d’un même peuple que rien ne pourra plus séparer.

 

Tombés sur le même coin de sol : à l’extrême limite de ces terres sacrées qui nous furent arrachées par la violence, et qui nous sont redevenues un foyer sanctifié où nous nous souviendrons des siècles de gloire revivifiés par ce drame.

 

Tout est providentiel ici : ces Wallons, ces Flamands, ces Allemands, ces Italiens, héros unis par une même immolation, héros dont le souvenir et l’œuvre sont devenus impérissables.

 

Que ces morts ne soient pas morts en vain ! Les peuples marchent, sans lumière, dans une immense confusion : les guides sont là, sur la colline d’Abbeville !

 

Ayons la force de ces morts, l’espérance qui les animait, la force qui les soulevait !

 

C’est la jeunesse qui, la première, a compris, la jeunesse avec son immense besoin de pureté, de dureté, de noblesse : cette jeunesse est allée vers eux, cherchant leur haut exemple, rêvant de transmettre à notre peuple les vertus de ces paladins de l’Idéal.

 

Ces hommes sont morts parce que haïs : retournons vers ceux qui les haïssaient, répondons à l’exécration par la générosité. Fils et héritiers de ces martyrs, retournons vers leurs bourreaux pour sauver les âmes de ces bourreaux !  »

 

(Le Pays réel, 21 mai 1941)

 

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Centre d’études Joris van Severen.

Site internet: www.jorisvanseveren.org

Abonnement annuel à la revue (en néerlandais) paraissant quatre fois par an : 35 € à verser au compte BE71 0001 7058 1469.

La cérémonie du 78e hommage à Joris van Severen se tiendra, comme chaque année, au cimetière d’Abbeville le dimanche 19 mai 2019 : rendez-vous à l’entrée du cimetière à 11h30.

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