Mon honneur s'appelle fidélité
Voilà déjà quatre jours que Fernand nous a quittés. Ses sobres funérailles seront célébrées demain midi. Sans l'apparat de l'institution catholique (qu'il avait définitivement associée à la plus vile hypocrisie), mais avec le cérémonial –drapeaux et chants– qu'il avait souhaité pour rappeler son indéfectible fidélité à l'idéal de grandeur et de justice qu'il avait choisi de servir dans l'honneur.
Cet idéal solaire se fracassa face à la brutalité des forces matérielles des coalisés capitalistes et communistes qui surent briser les hommes en anéantissant leurs patries en même temps que leurs familles. Mais cet idéal se maintint toujours dans le cœur des survivants et de tous ceux qui purent les connaître et les apprécier, en recherche de vérité historique comme de justice sociale.
Voici comment Fernand Kaisergruber raconta les derniers moments de sa vie militaire, qui, à l'époque comme aujourd'hui, a été et est toujours considérée sans appel possible comme un crime inexpiable...
Dans une clairière, nous découvrons une maison de garde-barrière en bordure d'une petite voie ferrée et décidons d'y passer la nuit. Elle est habitée et déjà une bonne demi-douzaine d'autres soldats y ont trouvé refuge aussi.
L'habitant des lieux est un homme âgé, commis à la garde des voies. Ancien combattant de 14-18, il y a perdu une jambe. Nous avons pris place parmi les autres soldats et cassons la croûte, assis à même le sol, en attendant la nuit. Pendant ce temps-là, l'hôte nous parle de la guerre, de celle-ci mais aussi de l'autre, lorsque la radio lance un communiqué.
C'est l'annonce de la mort d'Hitler, la capitulation de Berlin et, je crois me souvenir, aussi le message très digne du Grand-Amiral Dönitz, successeur d'Hitler.
Les larmes qui coulent doucement sur le visage ridé de notre hôte et le contenu du message nous bouleversent autant les uns que les autres ! L'homme a éteint le poste et s'est assis parmi nous. Il s'efforce de contenir discrètement les sanglots qui le secouent. Tout le monde s'est tu, personne n'a le goût de parler. Le silence est lourd. [...]
Tant d'années d'efforts, de peines, de sang... Un bilan impossible, car ce ne peut être simplement un assemblage de colonnes de chiffres, des statistiques avec autant de morts, de disparus, de blessés et infirmes ! On ne peut chiffrer toutes les souffrances individuelles, jour après jour et heure par heure.
Je songe à tant de blessés qui n'ont pu être secourus et sont morts tout seuls. Ce sont toutes ces souffrances et détresses vécues dans la solitude souvent qu'il y a lieu de multiplier par autant de millions. Il y a ceux qui ont été blessés deux fois, trois fois ou davantage, ce qui implique qu'à chaque fois, ils sont retournés au front. Il faut faire la somme de toutes les souffrances de chaque individu en particulier pour comprendre l'ampleur des sacrifices de toute une jeunesse, mais aussi des plus vieux dans les derniers mois de la guerre, car tous furent mis à contribution à ce moment-là. Et c'est vrai de part et d'autre, car pas plus chez l'adversaire, ce ne sont pas ceux qui font les guerres qui les déclarent.
Et je ne dis pas cela pour moi, pour nous qui étions volontaires et qui l'assumions en toute connaissance de cause, non pour le plaisir de faire la guerre, qui me répugne comme à tout le monde, mais parce que nous avions estimé qu'en étant arrivé là, il n'était pas possible d'attendre paisiblement la fin, plus ou moins à l'abri, sans avoir le courage d'aller défendre là où il y avait lieu, les valeurs qui étaient les nôtres et nous étaient précieuses.
Nous n'irons pas à Touapse. Du Donetz au Caucase. De Tcherkassy à l'Oder, p. 288 (édition à compte d'auteur, 1991. Cette édition est épuisée : une réédition est prévue. Une édition en anglais est disponible aux Editions Helion & Company).