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marie de vivier

  • Georges Suarez et Léon Degrelle

     

    Une amitié qui a tourné au vinaigre...

     

    Le portrait sympathique que Georges Suarez (1890-1944) offrit à Léon Degrelle dans son reportage sur La Belgique vivante (ce blog au 15 juin 2025) ne constitua en réalité qu'une louange tout à fait ponctuelle et opportuniste.

     

     

     

    Georges Suarez à LD Echos 1933.01.08.png

    « À Léon Degrelle en hommage affectueux à sa jeunesse chaude et irrésistible, Georges Suarez ». Lorsqu'ils nouèrent des liens dont la vive amitié s'exprima dans La Belgique vivante, le célèbre journaliste parisien offrit au jeune chef de Rex, de quinze ans son cadet, sa photo à la dédicace cordiale : elle sera publiée par l'hebdomadaire Échos, le 8 janvier 1933.

     

     

    En écrivant son article consacré à l'Association catholique de la jeunesse belge et à son aumônier général, Mgr Picard (L'Écho de Paris, 3 novembre 1931), Suarez ne pouvait pas ne pas rencontrer Léon Degrelle puisqu'en 1930, le prélat se l'était adjoint comme directeur des Editions Rex (établies au domicile de Mgr Picard, 52 rue Vital Decoster, où habitait également le jeune homme jusqu'à son mariage en mars 1932).

     

    Manifestement, le courant était magnifiquement passé puisque l'auteur mania tout de go l'hyperbole chaleureusement enthousiaste pour décrire en «  mon ami Léon Degrelle, [...] le plus prodigieux mélange de mysticisme, d'ingénuité, de malice, de calcul, de spontanéité et de goût à la vie ». Saluant ses multiples talents : « Il écrit des livres pleins de verve ; il rime avec bonheur. Il a le génie de l'épigramme gaie » et célébrant particulièrement aussi son « beau courage d'apôtre » : « Pendant les persécutions contre les catholiques au Mexique, il partit un beau jour, un petit sac à la main, fit le voyage dans la cale d'un paquebot, et débarqua à Mexico, sous un nom d'emprunt, malgré la police qui le recherchait ; traqué par les agents du gouvernement, il fit cependant une enquête complète qui a paru récemment aux Éditions Rex ».

     

    Six ans plus tard, il ne reste plus rien de cette admiration amicale. Le portrait de Léon Degrelle que dresse, en 1937, Georges Suarez prend l'exact contre-pied de son article tout empreint de sympathie de 1931.

     

    C'est dans la perspective de la fameuse élection partielle bruxelloise de 1937, biaisée par le ralliement paniqué de tous les partis à la candidature unique du Premier ministre Paul Van Zeeland, que, brûlant ce qu'il a adoré, Georges Suarez claironnera son soutien fervent au bankster-champion de la particratie. Et ce, non pas dans l'une des grandes publications parisiennes habituées à recevoir sa signature, tels L'Écho de Paris, Le Temps ou Gringoire, mais dans l'éphémère revue Demain présentée par Le Pays réel comme « un petit hebdomadaire de droite », probablement la publication de Jacques La Brède (1900- ?, président d'une Confédération générale des classes moyennes), se présentant pompeusement comme « le grand hebdomadaire des énergies françaises et des actualités mondiales » et qui vivotera dix mois, jusqu'à la première semaine d'octobre 1937.

     

    Soir 1937.03.31 Suarez Blog.pngIl faut croire qu'un service de presse diligent fut assuré aux journaux belges, mais seuls trois quotidiens s'en firent l'écho, de concert, le 31 mars 1937 (Le Vingtième Siècle, La Wallonie, Le Soir). En voici le texte reconstitué à partir de la version publiée par Le Soir (voir ci-contre, le début), complétée (en gras) par une partie censurée car trop évidemment erronée, mais reproduite par Le Pays réel pour en souligner la vaine méchanceté.

     

    « Je ne sais pas quel destin est réservé à M. Léon Degrelle. Dans une période troublée comme celle que nous traversons, tout est possible, même ce qui ne l'est pas.

     

    Nous avons vu, dans un département de France, un demi-fou, M. Archer, succéder dans l'exercice du mandat législatif à un autre demi-fou, Philibert Besson.

     

    Il ne faut donc pas s'étonner de l'importance démesurée qu'a pu prendre soudainement dans la politique belge, dans un pays de réalistes et d'hommes d'affaires, le truculent et clownesque Léon Degrelle. J'ai connu personnellement Degrelle quand il était encore à tirer les cordons de sonnette de ses ennemis personnels dans la bonne et studieuse ville de Louvain. Ce joyeux luron, qui était le principal auxiliaire de Mgr Picard... avait imaginé tout d'abord de régénérer l'humanité et de la réconcilier dans l'amour du Christ-Roi. Ce sentiment, quoique pas très nouveau, n'eût naturellement pas manqué de noblesse s'il ne s'était pas associé assez vilainement à des entreprises commerciales d'un but moins élevé et à un bluff effronté. C'est ainsi qu'une certaine histoire de voyage au Mexique au moment des persécutions des catholiques dans ce pays fut l'objet de certaines contestations où Léon Degrelle ne semble pas avoir eu le dernier mot. La maison d'éditions “Rex”, qu'il avait fondée à Louvain, avec l'argent des dévots, ce qui le dispensait d'attendre vainement l'impression de ses livres chez un éditeur, publia sous sa signature un récit effarant des atrocités dont il affirmait avoir été le témoin à Mexico. Mis en demeure de prouver s'il avait été réellement au Mexique, il ne le put pas, et aujourd'hui, pour quantité de Belges qui aiment encore la “zwanze”, Léon Degrelle est devenu le roi des farceurs.

     

    Degrelle est, en même temps, poète et père de famille. Ses vers ne se distinguent guère de ses divers genres d'activités que par l'incognito qui les couvre, tandis que nul n'ignore sur cette planète que Léon Degrelle porte avec un désespoir sans discrétion le poids d'un veuvage prématuré, et avec un bonheur qui ne connaît point de silence, la fierté d'être père. Toutes ces choses respectables, vénérables, que chacun garde pour soi, dans une intimité pudique, M. Léon Degrelle les a hurlées entre quelques grasses injures à ses adversaires dans toutes les réunions publiques de la Wallonie et des Flandres. Il attendrissait les foules sur son propre cas, les faisait gémir avec lui sur ses malheurs, ou partager ses joies familiales. C'est avec des trucs aussi gros que Léon Degrelle a pu se tailler une place dans ce petit pays de Belgique où, pourtant, les gens serrent les coudes et ne cèdent pas volontiers leur place à un autre.

     

    PR 1937.04.01 Suarez Blog.png

     

    Étant sans scrupules, est-il aussi sans idées ? La médiocrité de son programme convient merveilleusement au camelot en plein vent qui fait le fond de son personnage. Sans culture, sans doctrines, mais pourvu d'un inimitable bagout, il est un signe des temps, le témoignage de ce que peut produire une démocratie quand l'affaissement du niveau moral et intellectuel le livre aux entreprises du plus audacieux.

     

    Au moins, l'Italie s'est donnée à un homme qui avait derrière lui la féconde expérience de l'école révolutionnaire et marxiste. L'Allemagne en a choisi un autre qui, pour être moins brillant que le Duce, a pendant vingt ans fait ses preuves comme conspirateur et chef de bandes. Rien de tout cela chez Degrelle. Les cordons de sonnette de Louvain, les voyages postiches à Mexico, l'amour du Christ, richement nourri de bonne bière et de gueuletons, c'est tout le passé de Degrelle. On est un peu effaré de penser que la vaillante Belgique peut avoir demain pour chef cet obscur galopin.

     

    Que ce garçon sans envergure puisse être comparé, ne fût-ce qu'un instant, à un homme tel que M. van Zeeland, c'est vraiment une chose incroyable ! Il est vrai que, sur un plan plus réduit, nous voyons cela journellement dans les congrès des partis. Un obscur militant devient soudainement célèbre pour avoir donné la réplique à un Léon Blum ou à un Édouard Herriot. Il y a quelques années, M. Herriot ne pouvait affronter les congrès de son parti sans essuyer les lourdes et véhémentes attaques d'un de nos bons confrères, de qui le cerveau n'était pas à la hauteur de sa facilité verbale. À force de combattre son président, il était devenu presque aussi célèbre que lui ; mais il commit la faute, un jour, de quitter le parti radical. Ainsi il se priva de la publicité que M. Herriot ne manquait pas de lui faire partager en lui répondant. Depuis, nul ne sait ce qu'est devenu notre critique. Le duel van Zeeland-Degrelle ressemble un peu à celui de M. Herriot. Si Degrelle n'avait pas devant lui un van Zeeland, personne ne connaîtrait son nom. C'est la rançon des démocraties. »

     

    Commentaire malicieux publié dès le lendemain par Le Pays réel (portant en titre la manchette de l'hebdomadaire, « Informer sans déformer » !) : « Les petits Belges apprendront avec curiosité que Léon Degrelle est veuf ; et la plus étonnée sera sans doute Madame Degrelle, dont la santé est heureusement excellente en tout point. Par ailleurs, les rexistes tiendront à faire connaître à ce gratte-papier, plein de suffisance très parisienne que s'ils sont venus à Rex en grandes masses, ce n'est pas à cause des affaires familiales du chef de Rex mais pour de bonnes et solides raisons.

    L'article en question est reproduit pieusement par la presse domestiquée. Le Soir notamment le transcrit intégralement à l'exception du passage vraiment trop ridicule que nous reproduisons.

    Les lecteurs de ce petit pays qu'est la Belgique ne sont pas tout a fait aussi jobards que ceux du grand pays sur lequel règne Léon Blum et qu'endoctrinent des journalistes du type de Suarez. »

     

     

    Peuple 1937.04.01.png   DH 1937.04.07 p.1.png

     

    L'élection législative du 11 avril 1937 à Bruxelles permit aux caricaturistes de s'en donner à cœur joie contre Léon Degrelle, poison hitlérien (à gauche, Le Peuple, 1er avril 1937 ; à droite, La Dernière Heure, 7 avril 1937).

     

     

    Il ne fait guère de doute que cet article répond à une commande : il a manifestement été demandé à Georges Suarez de rédiger rapidement un persiflage brocardant Léon Degrelle à l'occasion de l'élection du 11 avril 1937 à Bruxelles. Mais comme, depuis son reportage de 1931, il n'a plus mis les pieds en Belgique et ne s'est plus intéressé à l'histoire de Rex et de son chef, Suarez en est réduit à retravailler dans un sens on ne peut plus négatif la seule chose qu'il connaisse de Léon Degrelle : le portrait élogieux qu'il en avait lui-même tracé dans La Belgique vivante ! Le tout saupoudré d'infos reçues pour la circonstance.

     

    Il reprendra donc les éléments de son article originel, les déformant et les resituant dans un contexte négatif, transformant ainsi « le plus prodigieux mélange de mysticisme, d'ingénuité, de malice, de calcul, de spontanéité et de goût à la vie » de 1931 en un « truculent et clownesque Léon Degrelle ».

     

    Et donc, terminées les farces qui faisaient « à Louvain la joie des veillées trop longues, dans les brumes de l'hiver » ; dénigrée « cette collaboration sentimentale et intellectuelle » avec Mgr Picard, et même nié le « beau courage d'apôtre » de Léon Degrelle partant au Mexique « pendant les persécutions contre les catholiques, [...] traqué par les agents du gouvernement »...

     

    C'est tout le portrait de La Belgique vivante qui est réécrit à l'envers !... Mais d'où peut bien venir l'initiative de cette refonte saugrenue ?

     

    La baliverne du faux voyage au Mexique reprise par Suarez pourrait bien nous indiquer l'origine, sinon de son commanditaire, du moins de son informateur.

     

     

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    Anti-degrellien professionnel, c'est-à-dire lamentable concierge fouille-poubelles, Frédéric Denis bénéficia d'un service de presse privilégié lui offrant la primeur, pour Le Peuple du 30 mars 1937 (à gauche), de la mauvaise action de Georges Suarez. Il compléta son article en même temps que les autres quotidiens le lendemain, dans l'autre journal socialiste La Wallonie (à droite).

     

    Léon Degrelle lui régla son compte dans le chapitre consacré à la presse collaborationniste de son premier livre publié après-guerre, le présentant comme « un énergumène, toujours aviné, de la presse socialiste, le nommé Denis Frédéric, rédacteur du Peuple d'avant la guerre et... d'après la guerre [« Une allusion laisse penser que F. Denis est décédé suite à des problèmes d'alcoolisme », Daphné de Marneffe, Entre modernisme et avant-garde, thèse de doctorat, Université de Liège, 2007, p. 157].

    Jusqu'au 10 mai 1940, cet éboueur avait déversé chaque jour des tombereaux d'ordures sur Hitler et sur le national-socialisme. D'une bêtise asine, l'ostrogoth courut se jeter aux pieds des Allemands vainqueurs, les bassinant, leur rompant la cervelle, espérant obtenir d'eux de pouvoir rééditer un Peuple cuisiné à la sauce nationale-socialiste. La Propaganda Staffel l'envoya faire lanlaire.

    C'est le même collaborationniste rembarré –à son grand désespoir alors– qui écrivit d'une plume vengeresse, en 1945, un livre intitulé La Presse au Service de l'Hitlérisme ! Il ne manque à ce livre qu'un chapitre autobiographique. » (La Cohue de 1940, p. 251-252 ; si nous n'avons pas trouvé trace de ce livre, Denis ne mâchait pas ses mots dans sa gazette pour dénoncer les « collaboches », « le traître Poulet » ou justifier l'emprisonnement dans les « camps d'internement des inciviques », de « tout jeunes gens dont on se demande s'ils avaient bien quatorze ou quinze ans lorsque les Allemands occupèrent le pays » car « après tout, ces jeunes gens-là ne sont peut-être pas les moins contaminés par l'idéologie nazie, prêts à recommencer si l'occasion s'en présentait » ! ).

     

    Si les efforts collaborationnistes de Frédéric Denis en 1940 furent vains, ce ne fut pas le cas de la fille de celle qui fut un temps sa compagne, la poétesse Marie de Vivier (voir l'hommage du quotidien Le Soir, le 23 janvier 1980 à l'occasion de la mort de sa chroniqueuse, le 17 janvier précédent). Marguerite Mathieu fut en effet « employée au service de la censure de la Gestapo à Bruxelles » (Benoît Peeters, Hergé, fils de Tintin, p. 426). Son fils (le petit-fils de Marie de Vivier), éternel candidat pour rire de l'Académie française, Olivier Mathieu, accueillera, quant à lui, pour le meilleur de ses livres, Abel Bonnard, une aventure inachevée, une belle Postface de Léon Degrelle !

     

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    Le jeune Olivier Mathieu eut l'occasion de partir, en compagnie du photographe Jacques de Schutter, sur les traces de Léon Degrelle au Mexique, en février 1989, grâce aux relations que le défenseur des Cristeros y avait gardées. Ils y découvrirent une édition mexicaine fantaisiste de l'hebdomadaire ¡Hola! y présentant une interview de Léon Degrelle à un journaliste anglais à qui il aurait annoncé son retour à Bruxelles pour le mois de juin : une nouvelle plaisante mystification...

     

     

    Ne pourrait-il pas s'agir de Frédéric Denis (1892-1952), le plus haineux chroniqueur anti-degrellien de la presse socialiste, quotidiennement dans Le Peuple, régulièrement dans La Wallonie ? Pour documenter ses dénigrements, Frédéric Denis n'hésitait jamais à ramasser n'importe quel ragot de ruisseau, ou à reprendre même des accusations condamnées par les tribunaux. Ainsi de la fable de la collaboration avec les Allemands lors de la Première Guerre mondiale, du père de Léon, Édouard Degrelle, pourtant décoré de la Légion d'Honneur pour, entre autres, avoir aidé à la victoire de Verdun par ses renseignements sur les mouvements de troupes allemandes (ce blog aux 30 avril 2016 et 26 mars 2017 ; précisons que, le 1er juin 1926, le tribunal de Neufchâteau condamna à ce propos l'injurieux Fernand Hubert [1889-1947], avocat franc-maçon qui inventa ce bobard) !

     

    Au cours de l'année 1936, Denis écrivit donc pour son journal un véritable feuilleton quotidien, chef-d’œuvre de diffamation de Léon Degrelle, reprenant cette fable de la collaboration de son père avec les Allemands, mais aussi brocardant ses études universitaires inachevées, sa prétendue hypocrisie religieuse, ses supposées magouilles financières, et surtout son voyage au Mexique proclamé fictif (dans une dizaine d'articles à partir du 24 février 1936). Tous thèmes, amplifiés dans le méprisable pamphlet Rex est mort (juillet 1937) et dont on peut retrouver un écho dans l'article de Suarez de mars 1937.

     

     

     

    Mexique Rex illustré 18 03 36.jpg

    Pour répondre à l'imbécile campagne de Frédéric Denis sur le faux voyage de Léon Degrelle au Mexique, l'hebdomadaire Rex illustré (18 mars 1936) se contenta de publier quelques clichés du défenseur des Cristeros photographié sur place.

     

    Ci-dessous, début d'une lettre de quatre pages envoyée de Mexico par Léon Degrelle à ses parents, le 17 décembre 1929.

     

    LD lt Mexique.17.12.1929 a Blog.jpeg

     

     

     

    Ce qui pourrait également nous orienter vers Frédéric Denis, c'est qu'à l'inverse de tous les journaux qui n'ont pu rendre compte de l'article de Suarez que le 31 mars, Le Peuple semble avoir reçu une priorité lui permettant, seul, d'en parler dès le 30. Mais la complicité de Denis n'est certes pas évidente dans la mesure où l'un de ses chevaux de bataille –la collaboration d'Édouard Degrelle– n'est pas reprise par Suarez qui fait par contre ses choux gras du prétendu veuvage de Léon, dont il n'est évidemment jamais question chez Frédéric Denis.

     

    Une telle bourde –qui ruinerait la réputation de tout journaliste d'investigation, mais est opportunément passée sous silence par les journaux belges afin de présenter de manière crédible la diatribe d'un journaliste français connu– devrait sans doute nous orienter vers une source orale plutôt qu'écrite (n'excluant donc pas non plus Frédéric Denis), et sans doute suffisamment sommaire pour que l'ancien ami de Léon Degrelle s'emmêle les pinceaux dans sa précipitation à vouloir régler ses comptes.

     

    Wallonie Chantal 1936.10.28 Blog.pngPeut-être lui a-t-il été signalé que Léon Degrelle suscita l'émotion des rexistes face au tragique accident qui mit en péril la vie de sa fille Chantal (ce blog au 2 septembre 2023) ? Mais Frédéric Denis était encore plus ignoble, dans son reportage (La Wallonie, 28 octobre 1936) sur la manifestation interdite des « 250,000 », reprochant à Léon Degrelle et à son épouse de « quitter le chevet de [leur] fille Chantal », qui pour le meeting, qui pour du shopping).

     

    S'agissant d'un drame familial, Suarez aurait-il compris qu'il s'agissait de la mort de l'épouse du chef de Rex ? Et que cette catastrophe eût pu être mise à profit par la propagande rexiste ?

     

    Toujours est-il que se pose toujours la question de la raison de l'animosité inattendue de Georges Suarez vis-à-vis de celui qu'il appelait « mon ami Léon Degrelle ». Pourquoi injurie-t-il celui en qui il voyait se rejoindre « des soucis égaux de plaire à Dieu en se plaisant à la vie », en brocardant maintenant son « amour du Christ, richement nourri de bonne bière et de gueuletons » ?...

     

    Peut-être pouvons-nous trouver certain élément de réponse dans Le Vingtième Siècle, rendant compte de la philippique écrite par l'auteur de La Belgique vivante publié cinq ans auparavant par les éditions Rex.

     

    Dans l'introduction de son article, l'ancien quotidien de l'abbé Wallez qui engagea quasi simultanément Léon Degrelle et Hergé, écrit en effet : « M. Georges Suarez est le premier écrivain français dont M. Degrelle ait publié les œuvres. On se souvient du battage effréné fait par Rex autour du bouquin de son poulain. Aujourd'hui, M. Suarez publie dans la revue Demain un portrait terrible du candidat rexiste. Venant d'un homme qui a vu à l’œuvre le chef rexiste, ces lignes sont doublement instructives. »

     

    Rex Suarez Pub 1932.jpg

     

    Or nous n'avons absolument rien retrouvé du « battage effréné fait par Rex autour du bouquin » de Georges Suarez ! C'est tout juste si un bas de page a signalé la publication de La Belgique vivante en 1932...

     

    Rex Tardieu 1.jpg

     

    Mieux même, lorsque le livre sortit de presse, c'est la préface d'André Tardieu qui fut mise en avant, reprise d'ailleurs intégralement en première page de l'hebdomadaire, célébrant cet « Article inédit » de l'ancien Premier ministre français.

     

    Rex Tardieu 3.jpg

     

    La seule présentation importante, illustrée qui plus est par la belle photo de l'auteur dédicacée au chef de Rex, ne fut même pas publiée dans la presse rexiste, mais... dans Échos, la gazette confidentielle des Chanoines Prémontrés de l'abbaye d'Averbode ! Il s'agissait certainement d'un échange de bons procédés car les Pères Norbertins allaient, trois mois plus tard, se charger de la publication des revues rexistes (Soirées va d'ailleurs absorber Échos en juillet 1933)...

     

    Cette absence de tout « battage effréné » causa-t-elle la déception, voire un sentiment de trahison, chez Georges Suarez ? Fut-elle à l'origine du « contre-article » de 1937, qui aurait alors fonctionné comme une froide vengeance ?

     

    Nous ne savons donc rien avec certitude concernant le pourquoi de ce malheureux renversement des relations entre Georges Suarez et Léon Degrelle. Mais cette attaque personnelle gratuite blessera profondément et durablement ce dernier. C'est d'ailleurs tout ce qu'il retiendra de l'auteur de La Belgique vivante : « On publia sur Degrelle des attaques inouïes. [...] Un chroniqueur important comme Georges Suarez le décrivit comme portant avec ostentation le poids d'un veuvage prématuré alors que sa jeune femme était dans un état de santé florissant et allait lui donner encore un fils et trois filles ! » (Duchesse de Valence, Degrelle m'a dit..., 1961, p. 312).

     

    Le journaliste parisien évoluera néanmoins dans un sens résolument national-socialiste, célébrant par exemple dans son quotidien pétainiste Aujourd'hui, le discours prophétique qu'Adolf Hitler prononça au Sportpalast de Berlin le 30 septembre 1942. Le Pays réel, qui a alors tourné la page de l'acrimonie, rapporte : « Le Fuehrer, écrit Georges Suarez dans Aujourd'hui”, a procédé à une rigoureuse revision, non seulement des événements militaires et politiques mais aussi des positions idéologiques réciproques. Et il a constaté que les ennemis promettent au monde, pour l'avenir, à peu près ce que nous avons déjà donné au peuple allemand et pour quoi ils nous ont fait la guerre”. Et le journaliste de remarquer : Si l'on se résigne aujourd'hui, en Angleterre et aux États-Unis, à faire la part du peuple qui, lui, n'a pas voulu cette guerre, mais sera seul à la payer, c'est qu'on a besoin de lui pour durer et pour tenir. Sans cette guerre, le mineur gallois serait demeuré un paria et le manœuvre d'Amérique un ilote. Les armées allemandes sont sur la Volga et sur l'Atlantique. Mais le national-socialisme a déjà franchi l'Atlantique et conquis le Nouveau Monde. Il émancipe les travailleurs comme il libère les peuples. » (Le Pays réel, 7 octobre 1942).

     

    Des paroles que ne pardonna pas l'épuration démocratique : Georges Suarez sera le tout premier écrivain à être passé par les armes de la haine institutionnalisée, le 9 novembre 1944. Et ce, malgré l'intervention de son ami Joseph Kessel, juif, résistant, gaulliste, coauteur du Chant des Partisans. Suarez ne sera pas le dernier écrivain sacrifié : cet « honneur » sera réservé à Robert Brasillach, le 6 février 1945, malgré aussi tous les efforts de François Mauriac pour obtenir sa grâce. 

     

     

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    La presse vengeresse des nouveaux maîtres de la France célèbre la condamnation à mort de Georges Suarez. À gauche, Ce soir, le quotidien communiste de Louis Aragon (qui cessera de paraître en 1953), le 25 octobre 1944 ; à droite, France libre (originellement sous-titré « Organe de Ceux de la Libération-Vengeance », publié entre 1944 et 1948), le 24 octobre 1944.