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De Gaulle a lu Hitler qui a lu De Gaulle

Pas sûr ! Méfions-nous des récits apologétiques...

 

A la suite de notre article qui moquait le SoirMag présentant de manière rigolote la réédition de Mein Kampf remis au goût du jour (ce blog au 22 juin 2021), une lectrice nous a exprimé son étonnement d’apprendre que l’œuvre fondatrice du national-socialisme soit diffusée en français, sans discontinuer depuis l’accession au pouvoir du chancelier Adolf Hitler : « Comment se fait-il qu’un éditeur français nazi ait pu et puisse encore diffuser en toute impunité l’œuvre maudite par excellence alors qu’il est impossible de trouver un seul livre de Léon Degrelle dans une librairie dite normale ? »

Mein Kampf Sorlot.jpgRappelons, tout d’abord, que si le politiquement correct aggravé par la « Cancel Culture » empêche de se procurer normalement les livres de Léon Degrelle (et de bien d’autres !), on peut se procurer ses plus récentes publications aux Editions de l'Homme Libre ou quelques éditions originales sur le site de la Boutique Nationaliste.

 

 

Lire Mein Kampf en français

De plus, les Nouvelles Editions Latines ne représentent en aucun cas une officine nazie ! L’édition française de Mein Kampf constituait même une action patriotique censée permettre aux Français de connaître au plus intime la pensée du Führer, pensée que celui-ci n’aurait pas voulu permettre aux Français de connaître…

Mais laissons le journaliste-historien Eric Branca –qui publia naguère Les Entretiens oubliés d’Hitler, 1923-1940 (ce blog au 28 février 2019)–, nous le présenter dans son nouvel opus, De Gaulle et les grands (février 2020) :

« C’est […] un éditeur proche de l’Action française, Fernand Sorlot, propriétaire des Nouvelles Editions latines, qui décida de son propre chef de passer outre au veto de Hitler et de publier une traduction intégrale du texte de Mein Kampf. L’initiative fut soutenue par la LICA (la Ligue internationale contre l’antisémitisme, ancêtre de la LICRA), pourtant bien opposée aux idées de Maurras mais qui […] versa 50.000 francs à Sorlot pour aider à la diffusion de l’ouvrage. Dès la première page y figurait cette injonction du maréchal Lyautey : “Tout Français doit lire ce livre”. Exactement ce que Hitler ne voulait pas… De fait, à peine l’ouvrage sorti des presses, l’éditeur allemand de Hitler, Max Aman, attaqua Sorlot devant le tribunal de la Seine en faisant valoir qu’il ne lui avait jamais cédé le moindre droit d’exploitation. Ce qui provoqua, le 18 juin 1934, la condamnation de Sorlot et le retrait du commerce de tous les exemplaires du Mein Kampf déjà en place. » (p. 81).

Cahiers Institut allemand Sorlot.jpg
On peut toutefois ajouter que la germanophobie de Fernand Sorlot s’adoucira quelque peu durant l’Occupation, grâce sans doute à l’entregent francophile de l’ambassadeur du Reich à Paris, Otto Abetz, marié à une Française et créateur des fameux Cahiers franco-allemands – Deutsch-Französische Monatshefte. Il fonda également l’Institut allemand de Paris favorisant une meilleure connaissance du patrimoine littéraire et culturel allemand en France. C’est ainsi que se multiplièrent les traductions d’ouvrages allemands et leur publication, notamment par Fernand Sorlot, qui était également l’éditeur des Cahiers de l’Institut allemand. Ce qui lui valut une sévère condamnation, le 15 mai 1948, à vingt ans d’indignité nationale et une amende de deux millions de francs !...

Eric Branca aurait quand même pu ajouter que si Adolf Hitler ne voulait pas diffuser son livre en France tel qu’il l’avait écrit en 1924, dans sa prison de Landsberg, c’est qu’il estimait que ses considérations belliqueuses concernant la France avaient perdu toute pertinence, ainsi qu’il l’expliqua dans une interview à un journaliste français que le chroniqueur avait pourtant reprise dans son récent ouvrage que nous venons d’évoquer, Entretiens oubliés (au surtitre éloquent, signé Adolf Hitler : « On m’insulte en répétant que je veux faire la guerre ») :

« J’étais en prison quand j’ai écrit ce livre. Les troupes françaises occupaient la Ruhr. C’était le moment de la plus grande tension entre nos deux pays. Oui, nous étions ennemis ! […] Mais aujourd’hui, il n’y a plus de raison de conflit. Vous voulez que je fasse des corrections dans mon livre, comme un écrivain qui prépare une nouvelle édition de ses œuvres ? Je ne suis pas un écrivain, je suis un homme politique. Ma rectification ? Je l’apporte tous les jours dans ma politique extérieure toute tendue vers l’amitié avec la France ! Si je réussis le rapprochement franco-allemand comme je le veux, ça, ce sera une rectification digne de moi ! Ma rectification, je l’écrirai dans le grand livre de l’Histoire ! » (pp. 201-202, interview d’Adolf Hitler accordée à Bertrand de Jouvenel, publiée dans le quotidien Paris-Midi, le 28 février 1936).

 

Paris-Midi 1936 02 28.JPEG


Albert Speer, ancien ministre de l’Armement (à ce titre, responsable du formidable effort de guerre de l’Allemagne nazie dans les derniers mois du conflit, mais qui sauva sa tête en crachant allègrement dans la soupe devant le Tribunal de Nuremberg), le confirme dans ses mémoires (même si c’est d’une manière suspecte, lui permettant d’affirmer n’avoir jamais pu lire le livre maudit) : « La politique, pour Hitler, était une question d’opportunité. Même sa profession de foi, Mein Kampf, n’échappait pas à ce critère. Il prétendait, en effet, que bien des parties de son livre n’étaient plus valables, qu’il n’aurait jamais dû fixer si tôt ses pensées par écrit, remarque qui me fit abandonner mes tentatives, vaines jusqu’alors, de lire ce livre. » (Au cœur du Troisième Reich, p. 174).

Voilà pour l’édition « princeps » de Mein Kampf en français (encore qu’il soit parfaitement possible de se procurer ce texte sans débourser les 100 euros de la « mise à jour » au bénéfice de la Fondation Auschwitz, ou les 36 euros du « Sorlot 1934 », en le téléchargeant, gratuitement et en toute légalité, sur le site québécois de textes appartenant au domaine public La Bibliothèque électronique du Québec, dans la Collection Polémique et Propagande).

 

 

Hitler a-t-il vraiment lu De Gaulle ?

Mais revenons au nouveau bouquin d’Eric Branca De Gaulle et les grands que nous nous sommes procuré car, avions-nous appris grâce à l’hebdomadaire de l’opposition nationale et européenne, Rivarol, il y était précisé que le Führer avait lu avec grande attention un des premiers ouvrages militaires de Charles De Gaulle, Vers l’armée de métier (1934)…

Aurions-nous ainsi une nouvelle preuve de la bonne connaissance de la langue française par Adolf Hitler, connaissance et pratique désormais bien établies (ce blog aux 5 janvier 2018 et 25 mai 2021) ?

Eric Branca commence par affirmer que « Le futur chef de la France libre a lu, relu, médité [Mein Kampf], bien que son auteur en ait fait interdire la traduction intégrale en français, ce qui signe le caractère délétère de ses intentions », souligne-t-il « oubliant » ses Entretiens oubliés d’Hitler (voir ci-dessus), ou rangeant désormais ceux-ci au rayon des purs mensonges ! Et d’ajouter : « On peut même avancer sans grand risque de se tromper que la publication de Vers l’armée de métier fut sa réponse de militaire au programme clairement énoncé par le livre-programme du dictateur : en finir avec la France. » (p. 81). Or ce serait justement de cette œuvre-là qu’Adolf Hitler aurait fait quasiment son « livre de chevet ». 

Vers l'armée de métier FR.jpg
L'ancien rédacteur en chef de l’hebdomadaire Valeurs Actuelles croit en effet tenir « la preuve formelle » que « le Führer lui-même, grand dévoreur de livres, et spécialement de stratégie, avait lu De Gaulle ». C’est « le futur général de Boissieu », alors « jeune capitaine dans la 2e DB [entrant] en vainqueur dans Berchtesgaden aux côtés de Leclerc puis, de là au Berghof, la résidence de Hitler dans les Alpes bavaroises » qui la rapporte dans ses Souvenirs et que reprend texto Branca :

« Le 6 mai [1945], retournant dans les souterrains qui servaient à la protection du personnel du Führer, je pénétrai, avec l’autorisation des Américains qui en assumaient la garde depuis le matin, 0 heure, dans une pièce où se trouvait une partie de la bibliothèque privée de Hitler ; compulsant quelques livres, j’eus la satisfaction de trouver un lot de volumes sur la tactique, la stratégie, l’emploi des armes et tout à coup, je vis une couverture que je connaissais bien : celle du livre du colonel de Gaulle, Vers l’armée de métier, traduit en allemand. Je parcourais fiévreusement les pages et j’y découvrais avec étonnement des annotations qui étaient incontestablement de la main de Hitler, puis une note sur l’auteur, en allemand, que je mis dans ma poche.

Comme il nous avait été dit qu’aucun objet ne devait plus quitter le Berghof, je dissimulai ce livre dans mon blouson pendant la visite. Parvenu devant les soldats de garde américains de la sortie, je jouai celui que ne savait pas et montrant carrément le livre je demandai de l’emporter. Aussitôt, un sous-officier s’avança et, prenant le livre, le jeta sur un brasier qui servait à réchauffer la garde.

La rage me saisit, je me précipitai vers le brasero, mais un des gardes me menaçant de sa carabine je dus reculer après lui avoir fait comprendre vertement qu’il était stupide.

Je mis plusieurs mois avant d’oser raconter la scène au général de Gaulle. Lorsque je m’en ouvris à lui, il se contenta de me demander : “Aviez-vous au moins retenu quelques annotations ?” Je répondis par l’affirmative en signalant qu’il y avait beaucoup de “Ganz gut”, “Ganz richtig”. Le général sourit et pardonna ce geste incongru d’un Américain inconscient. Je ne lui dis pas que j’avais conservé la note sur l’auteur […]. » (pp. 82-83).

La première conclusion que nous tirerons de ce récit est qu’il ne nous sera d’aucune utilité pour nous confirmer la bonne compréhension de la langue française qu’avait Adolf Hitler, puisque l’ouvrage en question qui aurait figuré dans sa bibliothèque personnelle, le « livre du colonel de Gaulle, Vers l’armée de métier, [était en fait] traduit en allemand »…

 

Butin Boissieu.jpegSi le capitaine Boissieu n’a pas réussi à ramener au général De Gaulle l’exemplaire de son livre annoté par Adolf Hitler, il lui ramena d’autres trophées, dont une de ses fameuses Mercedes-Benz 770 blindées, la Pulmann Limousine de la série W150, immatriculée Z 96-501. En voici l’histoire, telle que racontée par Alain de Boissieu dans ses Souvenirs : « [Le général Leclerc] m’annonça qu’il allait me confier une mission, celle de ramener au général de Gaulle la Mercédès blindée d’Hitler, qui serait conduite par un sous-officier du Train, le M.D.L. [Maréchal des Logis] Levêque. Certes il savait que le chef du gouvernement ne la garderait pas pour lui… Mais c’était une prise de guerre qui méritait une place dans un musée national. […] Je rentrai donc le 7 mai à Paris avec la voiture blindée d’Hitler. Le moteur ne tirant pas très bien je m’arrêtai à Munich dans une succursale Mercédès afin de la faire régler. Un premier mécanicien ayant écouté le moteur nous informa, le conducteur et moi, que l’allumage avait été saboté. L’ayant prié, sur un ton énergique, de bien vouloir remettre cette voiture en état, celui-ci s’exécuta aussitôt, mais pendant que l’équipe de vieux mécaniciens allemands travaillait, un Polonais s’approchait de moi pour me dire qu’il avait l’impression que la pression des pneus venait d’être modifiée systématiquement. Je fis faire aussitôt un test, aucun pneumatique n’était plus en effet à la même pression et personne ne savait à combien de kilos il fallait gonfler les pneus d’une voiture de cinq à six tonnes de ce type. Nous reprîmes la route vers Strasbourg et comme je le craignais, malgré une vitesse raisonnable, deux pneumatiques éclatèrent. Heureusement la Mercédès d’Hitler était pourvue de deux roues de secours qui n’avaient pas été sabotées ; nous parvînmes ainsi à Strasbourg, où le concessionnaire de la marque remit en état tout ce qui était déréglé. Il était émerveillé que nous ayons pu faire cinq cents kilomètres avec un véhicule hors-série, tellement trafiqué pour le rendre inutilisable.

Le lendemain 9 mai, la voiture d’Hitler était présentée par moi au Général et à Madame de Gaulle dans les jardins de leur résidence du bois de Boulogne. Geneviève de Gaulle, leur nièce, rentrant de déportation en Allemagne, ne résista pas à la sollicitation de son oncle de s’asseoir là où Hitler s’était tenu, tandis que sa cousine Elisabeth et son chien “Fluffy” ne voulaient pas être en reste. […] Le général de Gaulle […] me demanda de remercier le général Leclerc de cette prise de guerre symbolique, il me donna des instructions pour que cette voiture soit remise désormais à la disposition de l’Association naissante des Anciens de la 2e D.B. pour être visitée afin qu’elle puisse gagner ainsi des ressources en faveur de l’aide aux blessés. Malheureusement, pour éponger certaines dettes de l’Association, dont le paiement d’impôts pour la Kermesse aux Etoiles, cette voiture fut vendue quelques années plus tard à un collectionneur qui agissait, je crois, au profit d’un pays étranger. Cette voiture serait désormais en Allemagne Fédérale que cela ne m’étonnerait pas du tout… » (Pour combattre avec de Gaulle, Souvenirs 1940-1946, pp. 317 sv.)

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La Mercedes ramenée par Boissieu pose au Trocadéro, face à la tour Eiffel : François Levêque est en uniforme militaire.

En 2014, la sœur du Maréchal des Logis François Levêque, décédé trois ans plus tôt, eut l’occasion de donner la version de son frère au quotidien Ouest-France : « Un fait marquant dans l'histoire de ce soldat décédé en 2011. “Mon frère François a ramené une Mercedes d'Hitler en France, pour l'offrir au général de Gaulle”. Document à l'appui, sa sœur montre l'ordre de mission du général Leclerc, datée du 8 mai 1945 : “Conduire la voiture Mercedes Benz Z 96-501 au Général de Gaulle, laquelle est offerte par le général Leclerc”. [La voiture] a bien été ramenée à Paris. Jeanne Lévêque conserve encore une photo montrant son frère au Trocadéro avec la grosse berline. “Après une étape dans un garage, pour la laver et la remettre en état, mon frère nous a emmenés faire un tour dedans avec mes parents”. Présentée au général de Gaulle, celui-ci ne l'aurait pas gardée pour la confier au musée de l'armée. Qu'est-elle devenue ensuite ? Mystère. » (Ouest-France, 11 mars 2014)

Sur le destin de cette voiture, on visitera avec intérêt le forum de La 2ème Division Blindée de Leclerc.
On y apprendra qu’un enjoliveur et un drapeau de voiture sont exposés au Musée du général Leclerc à Paris…

Mercedes AH Musée Leclerc.png

 

Mais il ne s’agit-là que d’une première désillusion car ce récit nous en réserve nombre d’autres ! A vrai dire, ce récit est même à la limite de l’apocryphe…

 

Le récit de Boissieu, un conte à dormir debout ?

La première invraisemblance concerne la manière dont le capitaine Alain de Boissieu aurait découvert l’ouvrage : « tout à coup, je vis une couverture que je connaissais bien : celle du livre du colonel de Gaulle, Vers l’armée de métier » : mais comment le jeune capitaine de la « Division Leclerc » pouvait-il si bien connaître la couverture de ce livre dans sa traduction allemande (Frankreichs Stossarmee, 1935), dont l’apparence n’a strictement rien à voir avec celle de l’édition française ? Cette incongruité n’a sans doute pas échappé à l’éditeur, car l’auteur a dû expliquer dans une note de bas de page, aussi laconique que salvatrice : « Je l’avais vu en captivité » !... (Général de Boissieu, Pour combattre avec de Gaulle, Souvenirs 1940-1946, p. 316).

Vers l'armée de métier D.jpgEnfin, le récit regorge de détails saugrenus : les Américains –seuls responsables, depuis quelques heures de l’endroit occupé jusque-là par les Français– auraient désormais interdit de prendre quoi que ce soit dans le Berghof. Mais Boissieu choisit ce moment pour retourner à la bibliothèque privée de Hitler, s’emparer du livre de De Gaulle (il comportait « des annotations qui étaient incontestablement de la main de Hitler ») et provoquer les Américains en faisant semblant d’ignorer cette interdiction. La réaction de ceux-ci est encore plus inattendue puisque le sous-officier américain reprend le livre à l’officier français, non pour le sauver du pillage mais pour le jeter au feu ! Pire : un soldat américain le met en joue lorsqu’il fait mine de vouloir le sauver des flammes.

Le capitaine Boissieu capitule alors… non sans « avoir fait comprendre vertement [au sous-officier] qu’il était stupide » ! Mais comment s’y prit-il pour « faire comprendre » à son interlocuteur –c’est-à-dire sans parler sa langue– qu’il est stupide, et ce « vertement » –c’est-à-dire de manière crue, ne s’embarrassant d’aucune convenance ? Et cette nouvelle et rude insolence ne se serait plus attiré aucune autre réaction ? Que n’a-t-il plutôt essayé d’expliquer la valeur insigne de cet ouvrage ?...

La suite est tout aussi rocambolesque : ayant fini par raconter son histoire à De Gaulle, celui-ci se serait inquiété de connaître au moins certaines annotations. Et lorsqu’il apprend les appréciations élogieuses d’Adolf  Hitler, ce n’est pas à Boissieu qu’il pardonne de n’avoir su garder ce volume, mais au militaire américain d’avoir eu le « geste incongru » de le détruire…

Cette histoire extravagante se déroulant dans un climat d’agressivité menaçante entre alliés vainqueurs semblerait aujourd’hui invraisemblable, sauf à se remémorer l’attitude littéralement indigne, et même criminelle, des troupes françaises de la 2e Division blindée du général Leclerc. Ce dernier montra d’ailleurs l’exemple de la justice expéditivement assassine de la future épuration en ordonnant l’exécution par fusillade, sans le moindre jugement, après la reddition sans condition du Reich national-socialiste (7 mai 1945), de douze Volontaires français de la Division Charlemagne : ils lui avaient été remis la veille à son QG de Bad Reichenhall par les Américains auxquels ils s’étaient rendus. Les corps furent abandonnés dans une clairière de Kugelbach près du village de Karlstein où se déroula l’exécution, le 8 mai, avant d’être enterrés par les Américains. Ils reposent aujourd’hui au cimetière de Bad Reichenhall, près du monument aux morts allemands de la Première Guerre mondiale (voir : Eric Lefèvre et Olivier Pigoreau, Bad Reichenhall, 8 mai 1945, Un épisode tragique, 2010).

Cimetière Sankt Zeno.jpegCette photo de la tombe des martyrs de la « Division Charlemagne » assassinés par leurs compatriotes de la « Division Leclerc » est extraite de l’indispensable manuel de voyage de Paul Durand, Guide dissident de l’Allemagne et de l’Autriche (Editions Facta, 2014). Le commentaire de l’auteur est on ne peut plus éloquent : « Leclerc couvre de son autorité l’ordre de faire fusiller les douze Français [faits prisonniers après avoir combattu dans les rangs de la Division Charlemagne de la Waffen SS]. Leurs corps seront enterrés sur place trois jours plus tard (l’endroit sera béni par Mgr Jean Mayol de Luppé, aumônier général de la Division Charlemagne), puis transférés au cimetière catholique Sankt-Zeno, Salzburgerstrasse à Bad Reichenhall, où leur tombe est toujours visible, au sud-est du cimetière, le long du mur d’enceinte [en fait, un mur intérieur], à côté du monument aux morts de 1914-1918. […] A Kugelbach même se trouvait, jusqu’à ce que les autorités régionales ne décident en 2007 de raser ce témoin de pierre gênant, un petit monument commémoratif […]. Le monument, qui voyait le passage de très nombreux Français recueillis, était bien connu et respecté localement. Pas de procès, exécution après la fin officielle des combats : pour certains, les éléments constitutifs de l’infraction de crime de guerre sont réunis. Nous laissons cette appréciation à la sagacité de nos lecteurs. Les hagiographes de Leclerc sont en tout cas silencieux sur ce point. » (pp. 49-50).

 

Le « libérateur » Philippe Leclerc de Hautecloque

Les troupes françaises de Leclerc, dont un détachement avait déjà atteint le Berghof le 4 mai 1945, eurent tout loisir de se faire détester de la population locale comme de leurs alliés américains. La célèbre photographe américaine Elisabeth (Lee) Miller témoignera dans ses reportages de Vogue comment les troupes blindées françaises, arrivées à Berchtesgaden quelques heures après les Américains, semèrent la terreur parmi la population par le pillage et les viols, dont plusieurs collectifs commis sur des adolescentes dans la région de l’Ammersee (voir Lee Miller, Der Krieg ist aus. Deutschland 1945, 1995). Un cas parmi les plus célèbres d’ivrognerie criminelle des Français est le meurtre gratuit de l’Ing. Georg Grethlein, directeur de la plus importante entreprise de construction de l’Obersalzberg et dont la tombe au cimetière de Berchtesgaden est toujours l’objet d’une vénération populaire : « Le 5 mai 1945, Josef Lohr, chauffeur honnête fut mortellement blessé par des coups de feu tirés par un soldat ivre des troupes d’occupation. Georg Grethlein qui, la veille de cet incident, avait été désigné par le gouvernement militaire pour veiller au maintien de l’ordre et du calme à l’Obersalzberg, voulut se porter au secours de Lohr et montrer clairement à ce soldat quel acte fou il avait commis envers un simple ouvrier bien inoffensif. Pour toute réponse, il reçut une rafale de coups de feu, mortels eux aussi. » (Josef Geiss, Obersalzberg, Histoire d’une montagne, de Judith Platter jusqu’à Hitler, s.d., p. 193). A la suite de ce crime, la population allemande n’eut d’autre ressource que d’implorer les Américains d’intervenir, ce qu’ils durent faire en utilisant la menace de leurs armes !

Berchtesgaden Leclerc.JPG

Le site multilingue Obersalzberg de Claude de Puistory, réalisé en collaboration avec feu Volker Dahm, directeur scientifique du Dokumentation Obersalzberg, publie cette photo au milieu de la relation des exactions françaises dans la région de Berchtesgaden. Elle montre la cérémonie patriotique du salut au drapeau hissé sur le Berghof, unissant Américains (dirigés par le colonel John Heintges) et Français (commandés par le colonel Jacques de Guillebon). Mais cette photo dissimule aussi l’irréductible animosité opposant les deux chefs et la nouvelle humiliation que les Français imposèrent aux Américains à cette occasion. Témoignage du major Lloyd B. Ramsey (au milieu du groupe américain sur la photo) : « Alors que nous nous préparions à hisser les couleurs, les Français s’y opposèrent fermement. Alors le colonel Heintges négocia avec les Français la possibilité de cette cérémonie. Finalement, le drapeau put être hissé à mi-hauteur seulement, d’abord parce que le mât était brisé mais surtout à cause de l’opposition française [dont l’immense drapeau pendait de la terrasse du Berghof, comme le montre une célèbre photo de Lee Miller ; voir aussi le récit du capitaine Laurent Touyeras]. Heintges proposa : faisons comme si nous hissions le drapeau, ce qui fut finalement accepté. C’est ainsi que la photo cadre précisément l’endroit le plus haut que le drapeau put atteindre ! » (Florian M. Beierl, Inside Hitler’s Mountain, 2015, p. 152).

 

Ainsi pouvons-nous mieux comprendre l’aigreur des Américains dans leurs relations avec les Français (de multiples autres exemples figurent dans le Bad Reichenhall déjà cité d’Eric Lefèvre et Olivier Pigoreau) et sans doute le capitaine Boissieu eut-il à la supporter. Cela veut-il dire pour autant qu’une occasion en fut le livre du général De Gaulle ? On ne peut l’exclure a priori car on sait qu’Adolf Hitler était passionné par la stratégie militaire et les développements de l’arme blindée ainsi qu’en témoigne sa bibliothèque privée : « Hitler éprouvait une véritable passion pour les “almanachs” d’équipement militaire […] ; certains sont des acquisitions ultérieures, comme cet exemplaire de 1935 du Manuel des tanks de Heigl qui fournit une analyse détaillée de l’origine des véhicules blindés ainsi qu’un guide d’identification » (Timothy W. Ryback, Dans la bibliothèque privée d’Hitler, 2009, p. 259).

Tanks.jpegPourtant, la traduction allemande de Vers l’armée de métier ne figure pas dans cet ouvrage sur la bibliothèque de Hitler, – contrairement au livre de Walther Nehring que De Gaulle pensait avoir pu inspirer (voir plus loin). Cela pourrait-il s’expliquer par sa destruction par un militaire américain préférant le jeter au feu plutôt que de le laisser à un officier français ? Nous allons voir que cela est loin d’être certain.

En effet, emporté par son récit qu’il veut rendre le plus crédible possible, Boissieu donne la précision –péremptoire mais totalement gratuite– des « annotations qui étaient incontestablement de la main de Hitler […] “Ganz gut”, “Ganz richtig” ». Or la lecture de l’étude de Ryback révèle qu’aucun des livres de la bibliothèque ne comporte d’annotations écrites : ce que l’exégète appelle « annotations » constituent en fait des soulignements, des traits dans la marge ou des encadrements de paragraphes. Plus rarement des signes de ponctuation (points d’exclamation ou d’interrogation). Ryback insiste d’ailleurs sur « l’absence de commentaires manuscrits qui permettraient une identification définitive » (p. 223). C’est ainsi que l’examen des volumes de la bibliothèque ayant été lus permet de dégager la méthode d’Adolf Hitler pour retenir ce qu’il lui semble important : « Dans le volume de Lagarde, on peut observer la technique de lecture d’Hitler dans toute son intensité, en devinant le stylo qui oscille au bord du livre comme l’œil scanne la page à la recherche de toute information “utile”, puis, tournant la page, qui souligne tel ou tel passage, telle ou telle phrase isolée de particulière importance. Çà et là, un point d’exclamation, quelquefois un point d’interrogation, mais surtout ces traits sporadiques indiquant le pillage du volume » (p. 183)

Traits dans marge.jpeg

La seule photographie dans l’ouvrage de Timothy W. Ryback d’un exemple d’annotation de la main d’Adolf Hitler : trois traits au crayon dans la marge. Ils se trouvent dans la biographie par Hugo Rochs (1921) du général von Schlieffen, auteur du plan d’invasion de la France contournant les armées françaises par le nord, et soulignent le danger d’une guerre sur deux fronts (p. 276).

 

Parfois même, pour savoir si un livre de la bibliothèque a bien été lu, même partiellement, Ryback vérifiera l’état du brochage : « Ce volume ne recèle aucune note marginale, bien que les seize premières pages s’ouvrent facilement, indice probable d’une lecture attentive. » (p. 215 ; voir aussi p. 136 ou 175).

Le bibliographe ne recense qu’un seul ouvrage comportant des commentaires manuscrits, mais justement non pertinents car d’une main autre que celle d’Adolf Hitler : « les œuvres de Fichte sont les seuls ouvrages de philosophie notables parmi les livres d’Hitler. Bien qu’ils comportent plus de cent pages de notes marginales, un examen de ces nombreuses annotations, plus particulièrement des mots “sehr gut” griffonnés à la page 594 du tome quatre, suggère un autre commentateur qu’Hitler lui-même. » (p. 171).

 

Le Berghof pillé de fond en comble

On le voit, les raisons ne manquent pas de mettre en doute le récit du capitaine Boissieu, surtout en considérant que l’interdiction américaine d’emporter quoi que ce soit du Berghof n’est jamais mentionnée dans aucun autre ouvrage sur le sujet. Bien au contraire : trois exemples au hasard.

« Les Français voulurent visiter le Bunker de Hitler dans la nuit du 5 mai. […] Les Français transformèrent la salle d’opération du médecin personnel de Hitler, Theodor Morell, en véritable stand de tir. […] Les soldats de la brigade française, essentiellement des Marocains et des exilés espagnols laissèrent libre cours à leurs pulsions de destruction […]. Jonchant le sol, il y avait aussi de nombreux ouvrages consacrés à l’architecture, la stratégie militaire, la politique et même une traduction allemande des œuvres de Shakespeare. » (Florian M. Beierl Inside Hitler’s Mountain, p. 148).

« Le lendemain matin [6 mai 1945], les pillards étaient à l’œuvre. […] Mais la grande surprise était à l’intérieur de la montagne : des kilomètres de bibliothèques […]. Les livres étaient jetés n’importe où s’ils ne présentaient pas d’inscriptions, de dédicaces ou quelque chose de personnel. Tout le monde était à la recherche de souvenirs de la vie de Hitler et fouillaient les habitations et le sous-sol. » (Lee Miller, Der Krieg ist aus, p. 83)

« Au cours des semaines qui suivirent [le 5 mai 1945], la collection du Berghof fut démantelée livre par livre. Vers le 25 mai, quand une délégation de sénateurs américains arriva sur l’Obersalzberg, ils durent se contenter des disques d’Hitler. Plus un seul livre ne traînait » (Timothy W. Ryback, Dans la bibliothèque d’Hitler, p. 333).

Ne pourrait-on penser que toute cette histoire fut en réalité inspirée à Boissieu par Albert Speer publiant en 1969 son autobiographie, traduite en français en 1970 sous le titre Au cœur du Troisième Reich ? Il y écrit en effet : « Hitler revendiquait pour lui le succès de cette campagne à l’ouest, affirmant que le plan était de lui : “J’ai lu à plusieurs reprises, assurait-il à l’occasion, le livre du colonel de Gaulle, sur les possibilités qu’offrent dans les combats modernes des unités entièrement motorisées, et j’ai beaucoup appris.” » (p. 243).

 

Hitler eut-il besoin de De Gaulle ?

Le récit de Speer est publié un an avant le décès, en 1970, du général De Gaulle. Onze ans plus tard, en 1981, celui qui était devenu son gendre, Alain de Boissieu –entre-temps général et démissionnaire de son poste de grand chancelier de l’Ordre de la Légion d’Honneur pour ne pas devoir décorer le nouveau président de la république, François Mitterrand, élu cette année– reprend dans ses propres Souvenirs l’histoire de Hitler lecteur de De Gaulle, mais en s’y réservant la place de choix d’être celui qui a appris ce détail au chef de la France libre. Et d’affirmer « avoir mis plusieurs mois avant d’oser raconter la scène au général de Gaulle », c’est-à-dire, sinon encore en 1945, en 1946.

Pourtant le général ne se servit pas du récit de Boissieu dans ses Mémoires de guerre, publiés en 1954. C’eût pourtant été l’occasion de mettre en avant ce témoignage de première main établissant que le Führer avait lu attentivement son ouvrage, l’annotant et le méditant, faisant siennes les idées gaulliennes refusées par l’état-major français, mais lui ayant finalement permis d’emporter la victoire.

Car les Mémoires de guerre commencent effectivement par un long exposé complet de ses thèses et ne manquent justement pas de souligner qu’elles auraient suscité l’intérêt de Hitler, mais de manière indirecte et anonyme : strictement rien à voir donc avec le pseudo-compte rendu de la visite-fiasco de Boissieu au Berghof ! Une manière de dire quand même que c’est lui qui avait eu raison, même et surtout au prix de la défaite.

« Tant que Vers l’armée de métier parut n’être qu’un livre remuant des idées dont la hiérarchie userait à son gré, on voulut bien y voir une originale théorie. Il ne venait à l’esprit de personne que notre organisation militaire pût en être modifiée. […] Mais Hitler, lui, n’attendait pas. Dès octobre 1935, il rompait avec la Société des Nations […]. Les renseignés, d’ailleurs, n’ignoraient pas que le Führer entendait imprimer sa marque à la nouvelle armée allemande ; qu’il écoutait volontiers les officiers naguère groupés autour du général von Seeckt, tels Keitel, Rundstedt, Guderian, partisans de la manœuvre, de la vitesse, de la qualité et, de ce fait, orientés vers les forces mécaniques ; qu’enfin, adoptant les théories de Goering, il voulait une aviation dont l’action pût être directement  liée à la bataille terrestre. Je fus, bientôt, avisé que lui-même s’était fait lire mon livre, dont ses conseillers faisaient cas. En novembre 1934, on apprit que le Reich créait les trois premières Panzerdivisions. Un ouvrage publié à cette époque par le colonel Nehring, de l’état-major de la Wehrmacht, spécifiait qu’elles auraient une composition pour ainsi dire identique à celle que je proposais pour nos future divisions cuirassées » (Mémoires de guerre, t. I, pp. 11-12).

Nehring.pngC’est comme si De Gaulle n’avait jamais entendu le récit de Boissieu ou ne lui avait accordé aucun crédit : pour lui, Hitler n’a pas lu personnellement son livre, mais se le serait fait lire –lui, le bibliophage !– par des « conseillers » (une traduction allemande existait dès l’année suivant sa parution française). De plus, ses idées se seraient retrouvées dans un ouvrage d’un « colonel Nehring » publié au même moment (ce qui ferait penser davantage à une convergence d’idées plutôt qu’à une influence du Français sur l’Allemand). Il s’agit de l’Oberstleutnant Walther Nehring, qui publia Heere von morgen, Ein Beitrag zur Frage der Heeresmotorisierung des Auslandes (« L’Armée de demain, Contribution à la question de la motorisation de l’armée à l’étranger »), publié la même année (1935) et par la même maison d’édition que la traduction allemande de Vers l’armée de métier. Le livre du colonel français pouvait d’autant moins avoir influencé celui du lieutenant-colonel allemand qu’il fut publié après lui : « L’éditeur de Potsdam, Ludwig Voggenreiter, publiait [le livre de De Gaulle, réduit à 89 pages au lieu des 211 de l’original] un peu après les travaux de l’Allemand Walther Nehring ». (Jacques Binoche, L’Allemagne et le général De Gaulle, 1975, p. 24). En fait, comme on peut le lire dans le même ouvrage (p. 22), toutes les précisions donnés par Charles De Gaulle sur la réception de son livre dans l’Allemagne de 1934 se retrouvent dans l’hagiographie publiée par Philippe Barrès à New York et à Londres en 1941 (Charles De Gaulle, Brentano’s ; Hachette –The Continental Publishers and Distributors Ltd).

Revenons aussi sur l’affirmation de Speer : si Hitler « assurait à l’occasion » qu’il s’était inspiré du livre de De Gaulle, c’est qu’il l’aurait répété à plusieurs reprises. Or aucun des recueils de conversations du Führer n’évoque jamais cette confidence, ni les Libres propos sur la guerre et la paix sténographiés sur l’ordre de Martin Bormann (2 vol. 1952), ni les « Propos de table de Hitler recueillis par le Dr Henry Picker au Quartier général », Hitler, cet inconnu (1969), ni Les Entretiens secrets de Hitler publiés par Andreas Hillgruber (1969)…

Pire même : la seule et unique fois où De Gaulle est évoqué par Hitler, c’est pour le comparer –défavorablement– au général Henri Giraud qui venait de s’évader de manière rocambolesque de la forteresse de Königstein (Libres propos, 25 avril 1942). Loufoquerie supplémentaire : c’est en commentant cette évasion que l’historien Marc Ferro (décédé le 21 avril dernier, rare historien à avoir mis en garde contre le danger des « lois mémorielles » –antirévisionnistes– entravant le travail des historiens : cf. Audition à l'Assemblée nationale du 29 avril 2008) donne cette précision dans sa biographie Pétain (1987) : « De fait, le Chancelier portait en bonne estime Giraud, puisqu’il était persuadé, par erreur, qu’il s’agissait de l’auteur de Vers l’armée de métier… » (p. 396 : regrettons qu’aucune référence n’appuie l’anecdote).

 

Malgré Speer et Boissieu, Hitler ignorait totalement De Gaulle !

Ne pourrait-on penser qu’en précisant ce détail dans son autobiographie où il ne manque jamais d’égratigner Adolf Hitler, Speer ait voulu rabaisser une fois de plus le « génie militaire » du Führer en donnant le mérite de la victoire allemande à De Gaulle, le vrai « génie militaire » ? Et que l’idée ait pu lui venir tout simplement à la lecture des Mémoires de guerre du général français (la version allemande date de 1955), lui permettant de flatter à bon compte son orgueil en accréditant sa faribole  ?

Dans le récit de sa visite au Berghof, Boissieu prétend également avoir découvert dans l’exemplaire allemand de Vers l’armée de métier, non pas l’ex-libris du Führer auquel on aurait pu s’attendre (ce blog au 21 février 2021), mais « une note sur l’auteur, en allemand » qu’il mit en poche sans la montrer aux Américains. Cette note, il ne la montra pas non plus à De Gaulle, mais il la reproduit dans ses Souvenirs et la traduit : « Général de Gaulle, 51 ans. Condamné à mort par contumace par le gouvernement français, ainsi qu’à la dégradation et à la confiscation de ses biens. Comme écrivain militaire, il indiqua de bonne heure l’importance de l’arme blindée dans l’Armée et préconisa l’armée de métier. Beaucoup de personnalité mais son tempérament emporté lui interdit d’être un véritable chef. Ambition démesurée dont les Anglais comprirent le profit qu’ils pouvaient en tirer. Peu aimé dans l’armée en raison de son caractère. En 1940 commandait une division blindée puis fut sous-secrétaire d’état au ministère de la guerre. » (p. 317).

Note sur De Gaulle.jpeg

Cette note rédigée par on ne sait quel service de renseignement date manifestement de 1941 (De Gaulle a 51 ans) et fait le point sur ce qui est connu de la situation du général après le jugement du tribunal militaire de Clermont-Ferrand du 2 août 1940 le condamnant à la peine de mort, à la dégradation et à la confiscation de ses biens : on sait alors qu’il commanda la 4e Division Cuirassée, fut sous-secrétaire d’état à la Guerre, chargé de la coordination avec la Grande-Bretagne pour la poursuite de la guerre à partir de l’Afrique du nord, et qu’il se mit au service de Churchill après la démission du gouvernement Reynaud (16 juin 1940) et malgré l’attaque scélérate de Mers-el-Kebir (3 juillet 1940). La phrase concernant l’ « écrivain militaire » est la plus énigmatique car s’il n’est pas difficile de penser que De Gaulle « préconisa l’armée de métier » à partir du titre de son livre, il fallait l’avoir lu pour écrire qu’ « il indiqua de bonne heure l’importance de l’arme blindée dans l’Armée »…

Pour que cette note de 1941 se retrouve dans un livre de 1935, il fallait aussi que son propriétaire s’intéresse à son auteur, au point de collectionner les renseignements à son sujet et de les conserver dans le livre. Or Hitler ne parle jamais de De Gaulle (et attribuerait même son livre à Henri Giraud). Et comme il semble bien qu’aucun autre livre de la bibliothèque d’Adolf Hitler ne comporte, comme nous l’avons vu, d’annotations manuscrites, ni de note sur l’auteur, on ne peut que penser que le livre décrit par Boissieu, s’il a existé, ses annotations manuscrites et sa note sur l’auteur appartiennent à un autre lecteur que le Führer et à une autre bibliothèque que la sienne. Et que le récit de Boissieu sur sa visite au Berghof ressortit plutôt à l’affabulation.

En tout cas, jusqu’à aujourd’hui, personne –à commencer par le principal intéressé, le général De Gaulle lui-même, pour autant qu’il en ait eu connaissance !– n’avait jamais pris au sérieux le récit apologétique du capitaine Alain de Boissieu, avant Eric Branca pour essayer de faire croire à l’intérêt –parfaitement inexistant !–porté par le Führer au général français.

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