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Le colonel Jules Frankignoul, ami de Joris van Severen, conquis par Léon Degrelle, candidat-officier à la Légion Wallonie…

Un camarade de tranchée de Joris van Severen sur le front de l’Yser, officier sur le front de l’Est ?

 

Voilà le titre interrogatif d’un article de Maurits Cailliau, historien à qui rien de ce qui concerne le chef du Verdinaso n’est étranger, publié dans le dernier courrier trimestriel du Studiecentrum Joris van Severen (1er trimestre 2019, p. 17 sv.).

 

Comme nous le verrons immédiatement, c’est par un soupir de soulagement que se termine l’article : non, ce camarade de Joris van Severen, devenu colonel BEM de l’armée belge, ne se sera pas compromis dans cette collaboration armée que fut la Légion Wallonie : « Peu importe, l’ami que se fit Joris van Severen dans les tranchées du Front au cours de la Première Guerre mondiale n’est donc jamais allé au Front de l’Est ! »

 

Studiecentrum 1.jpgEn fait, cet article est censé donner une réponse claire à un article publié sous le même titre interrogatif en 2009, permettant d’enlever définitivement ce point d’interrogation laissant entendre qu’il se pouvait que se soit laissé compromettre « le capitaine francophone Frankignoul que Joris van Severen avait pu apprécier au plus haut point sur le front de l’Yser, comme le montrent quelques fragments extraits des journaux de guerre de Joris van Severen ». Et ce précieux complément d’information, Maurits Cailliau l’aurait enfin trouvé grâce aux renseignements pêchés dans la récente biographie de Léon Degrelle par Bruno Cheyns (De Führer van Bouillon, pp. 419-420 ; voir ce blog aux 10 décembre 2017 et 5 janvier 2018)…

Ces informations, Maurits Cailliau les résume comme suit. 

« Dans l’entre-deux-guerres, le capitaine J.J. Frankignoul était devenu officier de carrière dans l’armée belge. Durant la campagne des 18 jours de mai 1940, il obtint le grade de colonel et devint chef d’état-major du 1er Corps d’Armée dont le lieutenant-général Alexis vander Veken était le commandant.

Suite à la capitulation, les officiers flamands furent conduits à Luckenwalde, où ils fondèrent le Cercle Lieutenant De Winde. Les francophones, parmi lesquels Jules Frankignoul, atterrirent à l’Oflag de Prenzlau.

Lorsqu’après l’annonce de l’Opération Barbarossa –l’invasion allemande de l’Union Soviétique–, Léon Degrelle lança la Légion Wallonie, il put compter sur l’officier de carrière Lucien Lippert (°1913) pour en prendre le commandement. Mais Lippert fut tué sur le Front de l’Est le 12 février 1944.

C’est dans le récit de sa succession à la tête de la Légion Wallonie que réapparut le nom de J. Frankignoul. Les Allemands avaient besoin d’un officier de carrière belge pour occuper ce poste. Il figurait parmi les candidats, avec le général Lambert Chardonne et le capitaine-commandant Lakaie. Ces deux derniers furent libérés de l’Oflag afin d’avoir un entretien avec Gottlob Berger et Léon Degrelle, puis de bénéficier d’un congé.

Fin juillet, Chardonne –dont l’épouse occupait un poste dans la résistance !– se serait à nouveau présenté comme prisonnier de guerre réclamant d’être à nouveau interné à Prenzlau. Vu qu’il n’était plus enregistré comme prisonnier de guerre, cela n’était plus possible. Après une intervention de Degrelle, il put bénéficier, ensemble avec Frankignoul, d’un régime de faveur. Tous deux logèrent jusqu’à la fin de la guerre à Potsdam en tant qu’invités personnels de Degrelle. Et ce, malgré qu’en dernier ressort, les deux officiers avaient refusé un engagement au sein de la Légion Wallonie.

Ce sera finalement le major Franz Hellebaut – qui, en mai 1940, était chef d’état-major de la 2e division de l’armée belge – qui succédera au défunt Lucien Lippert en tant que commandant de la Légion Wallonie.

Néanmoins, cette prise de distances par le colonel Jules Frankignoul n’a pu empêcher qu’il soit dégradé après la guerre, ainsi que nous avons pu l’établir après consultation de son dossier dans les archives du Musée de l’Armée. Et ce, nonobstant que, tout comme les autres officiers belges qui prirent effectivement du service à la Légion Wallonie, il vécut dans la conviction que cet engagement avait reçu l’approbation de leur Commandant en chef, le roi Léopold III.

C’est peut-être ce qui explique pourquoi bon nombre d’officiers belges francophones –et pas des moindres en ce qui concerne leur rang et leur classe sociale– ont signé ou envisagé de signer un engagement au sein de la Légion Wallonie, l’attitude antérieurement équivoque de Léopold III ayant indubitablement contribué à entretenir la confusion.

Peu importe, l’ami que se fit Joris van Severen dans les tranchées du Front au cours de la Première Guerre mondiale n’est donc jamais allé au Front de l’Est ! »

 

Studiecentrum 2.jpgNous commencerons par rectifier le résumé effectué trop expéditivement par Maurits Cailliau. Tout d’abord, le nom du Général-Major Lambert Chardome s’écrit bien avec un « m » (comme l’écrit d’ailleurs correctement Bruno Cheyns) et non avec les deux « n » de l’écrivain (Jacques) Chardonne.

Ensuite, M. Cailliau, trop empressé d’exonérer son protégé Jules Frankignoul de sa ferme volonté de s’engager à la Légion Wallonie, prétend que ce sont Chardome et Lakaie qui se rendirent à Berlin pour rencontrer Léon Degrelle et le général SS Berger. Or si ce qu’écrit Bruno Cheyns n’est pas tout à fait exact, il est impossible d’écarter la présence certaine de Frankignoul  :

«  Dans les jours qui suivirent, deux autres candidats [que Lambert Chardome et Franz Hellebaut] se manifestèrent encore : le colonel Jules Frankignoul et le capitaine-commandant Léon Lakaie. Les deux officiers furent libérés par les Allemands et conduits à Berlin où ils furent reçus, le 6 juin 1944 par Degrelle et Berger. » (Cheyns, p. 219)

 

En effet, ce ne sont pas seulement ces deux officiers-là qui se rendirent au SS-Hauptamt, mais bien les quatre candidats officiers à la Légion Wallonie, comme le spécifie la source indiquée par Bruno Cheyns : (De Launay, Jacques, Histoires secrètes de la Belgique de 1935 à 1945, Moreau, 1975, p. 228) : « Chardome, Frankignoul, Hellebaut et le commandant Lakaie, les quatre libérés, sont aussitôt invités par le général SS Berger qui les reçoit avec Degrelle, le 6 juin 1944, au SS Hauptamt de Berlin. »

Ce détail compte peut-être peu pour le vice-président du Centre d’Etudes Joris van Severen puisque ce qui importe surtout pour lui, c’est que l’ami du chantre du Dietschland ne se soit pas compromis avec l’armée du Reich Grand-Allemand.

Mais ce sont justement les propositions faites par le général SS qui furent à l’origine du revirement de Lambert Chardome et de Jules Frankignoul, comme nous le verrons plus loin.

Et comment ce revirement se produisit-il ? Par un refus héroïque, fruit d’une mûre réflexion sur la vraie nature des régimes en guerre ?

Maurits Cailliau évoque à peine une « prise de distances » du colonel. Mais que signifiait cette distanciation et d’où proviendrait-elle ?

Comme beaucoup, M. Cailliau se contente de rapporter le parcours du général Chardome, que suivrait apparemment fidèlement le colonel Frankignoul : « Fin juillet, Chardonne –dont l’épouse occupait un poste dans la résistance !– se serait à nouveau présenté comme prisonnier de guerre réclamant d’être à nouveau interné à Prenzlau. Vu qu’il n’était plus enregistré comme prisonnier de guerre, cela n’était plus possible. Après une intervention de Degrelle, il put bénéficier, ensemble avec Frankignoul, d’un régime de faveur. Les deux logèrent jusqu’à la fin de la guerre à Potsdam en tant qu’invités personnels de Degrelle. Et ce, malgré qu’en dernier ressort, les deux officiers avaient refusé un engagement au sein de la Légion Wallonie. »

La précision de cette dernière phrase est importante car elle souligne bien l’absence totale de colère, d’indignation ou d’amertume de Léon Degrelle face à ce qu’il aurait quand même pu considérer comme une trahison ou, en tout cas, une rupture de la parole donnée.

C’est qu’un lien particulier le lie au héros prestigieux de la Première Guerre mondiale qu’était Lambert Chardome, qui lui proposa, le 25 octobre 1936, de marcher à la tête de ses Chasseurs ardennais contre le Parlement belge afin de donner le pouvoir politique au Chef de Rex (voir ce blog au 14 avril 2017). Un geste que, même s’il le refusa, il n’oubliera jamais, ainsi qu’il le raconte encore à Jean-Michel Charlier dans ses entretiens de 1976 : « J’ai reçu une lettre du général Chardome qui était le grand, le glorieux chef de la division des Chasseurs ardennais, le militaire le plus populaire de Belgique. Le général Chardome m’écrivait : “Je suis à votre disposition : un mot de vous et mes trains spéciaux montent à Bruxelles vous soutenir.” Je pouvais donc prendre le pouvoir ce jour-là. Pas un gendarme n’eût résisté aux chasseurs de Chardome. On a essayé, trente ans après, une fois Chardome mort, de nier son offre, car elle dérange. Elle fut telle que je le dis, et le don de Chardome fut si total qu’en 1944 encore, lui, vieux général chevronné de l’armée belge, fit le geste de s’engager inconditionnellement dans ma Brigade de Volontaires des Waffen SS luttant depuis 1941 contre les Soviets sur le front de l’Est. […] J’ai dit non [à l’offre de coup d’Etat], parce que, je tiens à le répéter, c’était dans la légalité et le libre consentement du peuple que je voulais gagner. J’étais sûr de le convaincre et de me hisser au pouvoir porté par lui. » (Léon Degrelle : persiste et signe, p. 137)

Sportpalast.jpg

Et c’est encore plein d’enthousiasme qu’à la suite de sa promesse d’engagement, le général Chardome prend la parole avec Léon Degrelle, le 25 juin 1944, au Sportpalast de Berlin devant plus de 3000 ouvriers wallons :

« Vous me voyez ici, toujours fidèle à mon serment de soldat. Certains d’entre vous ont peut-être servi sous mes ordres ; ils me voient peut-être vieilli par la capitulation, mais animé d’une résolution égale. Nous voulons lutter fièrement pour le bonheur des humbles ; nous voulons tirer notre pays de son enlisement en nous appuyant sur ses forces saines et généreuses. D’après le droit international, nous devons nous battre sous l’uniforme allemand. Ce fait nous montre en quelle estime les Allemands nous tiennent : ils nous convient à nous diriger nous-mêmes ; sachons donc nous en montrer dignes au sein de la Légion Wallonie et sous les ordres de son Commandeur Léon Degrelle ! » (Le Pays réel, 27 juin 1944. Ces derniers mots de Lambert Chardome apportent le démenti le plus définitif à l’affirmation de De Bruyne expliquant la défection du général car « Chardome […] s’était rendu compte que […] sa fonction au sein de l’unité resterait bornée à celle d’un vague inspecteur aux armées aux compétences excluant le poste de Commandeur… réservé à Degrelle », Histomag, p. 81).

 

Mais revenons à l’ami de Joris van Severen, Jules Frankignoul.

 

Officiers Prenzlau.jpgComment quitta-t-il l’Oflag de Prenzlau ? Selon l’inévitable Eddy De Bruyne prenant le parti du chef belge de Prenzlau, le lieutenant-général Edouard Van den Bergen (Histomag 39-45, n° 92, juillet-octobre 2015), ce fut par une manœuvre particulièrement sournoise. Nous parlerons, quant à nous, d’un beau pied de nez aux officiers pantouflards ronronnant dans une captivité dorée qu’ils tentèrent de faire passer après-guerre pour aussi pénible qu’héroïque (« Je me suis rendu moi-même au camp de Prenzlau où trois mille officiers belges étaient internés. On eût dit un Congrès de Chanoines. Des chanoines roses et gras. Ces officiers ont été les privilégiés de la guerre. Ils recevaient des colis de cinq organismes différents, nationaux et internationaux. Comblés de vivres de choix, comme aucun soldat du front de l’Est n’eût pu en rêver. Certains possédaient plus de cent kilos de vivres de réserves. » (Léon Degrelle persiste et signe, p. 421).

Lorsqu’après avoir rencontré Léon Degrelle, le 26 mai 1944, en compagnie du général Chardome, des colonels Frankignoul et Long et du capitaine Lakaie, le major Frans Hellebaut quitta en premier le même jour l’Oflag, ce fut sous les huées hystériques de ses « camarades » officiers codétenus. Confrontés eux-mêmes aux insultes des autres officiers, le colonel Jules Frankignoul et ses autres compagnons, décidèrent de précipiter leur départ et, le 31 mai, demandèrent donc à être reçus par le colonel allemand commandant le camp, en présence du lieutenant-général Van den Bergen, commandant les prisonniers belges. Jules Frankignoul aurait alors fait la déclaration suivante (compte rendu de Van den Bergen) :

« […] vendredi 26 mai quand on m’a offert de changer de camp avec le major Hellebaut, je déclare de la façon la plus formelle que je n’avais demandé un changement de camp ni directement, ni indirectement par personne interposée, et que j’ignorais et j’ignore encore la personne qui a pu me proposer ou citer mon nom dans ce but. Je déclare de façon aussi formelle et a fortiori que j’ignore le nom de la personne qui a pu proposer le général Chardome, le colonel Long et le commandant Lakaie.

Comme vous le constatez, Monsieur le colonel, j’ai refusé l’offre d’accompagner ce jour-là le major Hellebaut vers un nouveau camp et j’ai insisté auprès de vous pour rejoindre immédiatement le quartier des prisonniers malgré votre crainte de voir se reproduire aggravés, les incidents regrettables qui ont accompagné la sortie du camp du major Hellebaut.

En rentrant au quartier, le colonel B.E.M. Long, le commandant Lakaie et moi, avons été insultés par des isolés inconnus et nous avons appris par la suite qu’une campagne de calomnies, voire de menaces, était dirigée contre nous. Bien plus, le général Chardome m’a dit avoir appris de source bien au courant de l’état des esprits au camp que notre déclaration formelle d’être étrangers à la proposition de changement de camp qui nous a été faite serait considérée par des exaltés comme insuffisante et qu’il conviendrait de faire une sorte de profession de foi patriotique minime, conforme à ce que ces exaltés considèrent, eux, les intérêts supérieurs de la Belgique.

Pour ma part, je refuse formellement, comme je l’ai fait en d’autres circonstances, de me plier à une injonction illégitime violant les droits les plus sacrés de la liberté de conscience et d’opinion. D’autre part, je désire ardemment, autant que quiconque, apporter l’apaisement à l’atmosphère déprimée et énervée à juste titre dans un camp de prisonniers après quatre ans de captivité. 

Chardome 2.jpg

Je me vois donc forcé de recourir au seul moyen de concilier les deux choses précédentes, moyen dont je laisse la responsabilité entière aux sectaires qui obligent à l’employer.

Aujourd’hui, je suis disposé à accepter le changement de camp qui m’a été offert le 26 mai et que j’avais décliné ce jour-là.

Je crois que pour éviter des incidents regrettables, que je ne crains nullement, mais que vous désirez peut-être, Monsieur le colonel, éviter, il n’est peut-être pas désirable que je rejoigne le quartier des prisonniers pour y enlever mes objets personnels qui sont à l’abandon dans ma chambre et je vous demande de bien vouloir prendre les mesures utiles pour les sauvegarder et les faire transporter hors du camp avant que ma décision ne soit parvenue à la connaissance des prisonniers. Cette déclaration et cette décision sont valables pour le commandant Lakaie qui m’a marqué son complet accord à ce sujet […]. »

 

Le général Chardome appuya évidemment avec fermeté la demande du colonel Frankignoul :

« Je ne puis me dissocier en aucune façon de mes deux amis en qui j’ai entière confiance et pour lesquels j’éprouve la plus profonde estime. Je me rallie entièrement aux déclarations et demandes du colonel Frankignoul. »

Impuissant face à ce fait accompli l’empêchant d’organiser quelque manifestation « spontanée » de vindicte pseudo-patriotique, l'ancien chef d’état-major général de l’armée Van den Bergen (déchu pour avoir, de sa propre initiative, ouvert la frontière à l’armée française en janvier 1940 !) fit néanmoins immédiatement afficher ad valvas un communiqué stérilement vengeur où il dénonçait « la manœuvre à laquelle ces trois officiers se sont livrés pour se soustraire à la réaction que leur attitude aurait provoquée », appelant tous les officiers à flétrir « comme elle le mérite cette façon de faire » ! (Histomag, p. 86).

 

Capture.PNGCet acte se révèle d’une bassesse particulièrement répugnante quand on sait que le même Van den Bergen, dès l’annonce de la constitution de la Légion Wallonie dans la presse rexiste du 8 juillet 1941 (voir ce blog au 9 juillet 2017), « autorisa [le 18 juillet 1941] l’affichage aux valves d’un Ordre du Jour par lequel les officiers désireux de s’engager dans la Légion Wallonie pouvaient se présenter à son bureau le lendemain à 15h00 ! Malgré la réserve que l’incorporation ne pouvait se faire que sous le couvert de l’approbation royale […], 51 officiers se seraient présentés ! » (Histomag, p. 69)

A propos de cette « approbation royale » dont De Bruyne dément avec force toute existence (évoquant, pour preuve, tous ceux qui « cherchaient à sonder le Palais sur l’attitude qu’il convenait d’adopter et de se voir confirmer si celle-ci serait couverte par l’approbation royale sans jamais obtenir, à ce sujet, un document écrit », Histomag, p. 83), relevons tout de même qu’il nous apprend : « Quant à l’autorisation royale, les quelques rares demandes adressées au Roi restèrent sans réponse tandis que l’O.T.A.D. [Office des travaux de l’armée démobilisée] se taisait sur le sujet (tout en accordant un congé sans solde aux candidats pour le front de l’Est) » (Histomag, p. 69). Ce qui ne va pas vraiment dans le sens d’un interdit, ni même d’une désapprobation ! De Bruyne va même jusqu’à écrire : « En 1941, il y avait effectivement […] des gens qui, comme le Roi, […] dans la perspective assez vraisemblable à cette époque d’une victoire allemande […] pensaient que seules d’excellentes prestations dans une légion royaliste, de caractère belge cette fois [comme l'était la Légion Wallonie], paraissaient dès lors en mesure de faire valoir l’unité réelle de la Nation. » (Histomag, p. 76).

S’il l’on n’a retrouvé jusqu’à présent dans les archives aucune trace écrite d’approbation du prudent monarque, il n’en demeure pas moins que tous ceux qui purent consulter le proche entourage royal (le comte Capelle ou le général Van Overstraeten, par exemple) se virent tous encouragés à collaborer : voir ce blog au 25 mai 2016, pour ce qui concerne Robert Poulet ; 11 octobre 2016 pour ce qui concerne Léon Degrelle ; 23 mars 2017 et 17 octobre 2017 pour ce qui concerne la Légion Wallonie –mais De Bruyne évoque aussi les cas de Pierre Daye, écrivain, ami personnel de Léon Degrelle et ancien député rexiste, et d’Ernest Delvaux, chef du cabinet des Affaires wallonnes du Ministère de l’Intérieur (Histomag, p. 83)– et les témoignages ne manquent pas qui rapportent l’estime –voire même l’admiration– que vouait Léopold à Hitler, comme l’ont rapporté Henri De Man et le comte Capelle (voir ce blog au 28 juin 2017).

C’est également le paradoxal De Bruyne qui souligne l’insupportable duplicité de toute cette camarilla opportuniste en rapportant les propos du major Frans Hellebaut qui, en tant que SS-Sturmbannführer, devint, en juin 1944, chef d’état-major de la Division Wallonie :

« Le général Van Overstraeten [conseiller militaire du roi Léopold III] était d’accord avec l’engagement de Lippert [en août 1941] et lui avait donné carte blanche. En 1943, il ne voulait plus le recevoir. Lippert vint me demander conseil. Je lui répondis qu’en tant que militaire, son devoir était de rester avec ses hommes… car Van Overstraeten lui avait donné le conseil de déserter et de passer en Angleterre » ! (Histomag, p. 73).

On le voit, s’il n’y eut peut-être pas d’approbation royale écrite, celle-ci fut bien toujours répandue sous forme d’encouragement oral, avant que, lorsque le vent commença à tourner, ces incitations soient mangées systématiquement, et bien hypocritement.

Il est d’ailleurs significatif qu’ « après consultation [du] dossier [du colonel Frankignoul] dans les archives du Musée de l’Armée », Maurits Cailliau ne puisse que constater que, « tout comme les autres officiers belges qui prirent effectivement du service à la Légion Wallonie, [Jules Frankignoul] vécut dans la conviction que cet engagement avait reçu l’approbation de leur commandant en chef, le roi Léopold III […], l’attitude antérieurement équivoque de Léopold III ayant indubitablement contribué à entretenir la confusion. »

Camarilla Van Den Berghen_Leopold Van Overstraeten_.jpg

Qu’advint-il de l’engagement du colonel Jules Frankignoul et de ses camarades ?

Le meilleur récit (sans les insinuations perfides d’un De Bruyne) est certainement celui de Jacques de Launay (cité par Bruno Cheyns, voir supra).

Le général Gottlob Berger, chef d’état-major de la Waffen SS reçoit le général Lambert Chardome, le colonel Jules Frankignoul, le major Franz Hellebaut et le commandant Léon Lakaie, le 6 juin 1944, au SS Hauptamt de Berlin.

Léon Degrelle présente les quatre officiers supérieurs au général SS qui leur tient un petit discours.

 Je connais vos intentions, je vous en félicite. Vous êtes libres. Mais je vous conseille de ne rien faire sans avoir pris quelque repos après ces quatre ans de captivité. Rentrez dans vos familles, prenez des vacances et si, dans deux mois, vous êtes toujours dans les mêmes dispositions, vous reviendrez me voir et nous enregistrerons vos engagements.

Berger est habile, on ne sait s’il pense ce qu’il dit ou si cette arrivée subite d’un général belge ne contrarie pas ses plans concernant le commandement de la Légion Wallonie.

Le général SS envoie le quatuor faire, du 8 au 22 juin, un séjour dans un foyer de convalescence à Gross Latein, en Moravie. Pendant ces deux semaines, la correspondance des 2000 officiers prisonniers de Prenzlau diffuse en Belgique des versions passionnées de la décision de Chardome et suscite dans la Résistance, ainsi que dans leurs propres familles, de violentes réactions.

Berger n’aurait pu faire mieux pour inciter les quatre officiers à renoncer à leur initiative.

Le 27 juin, le quatuor débarque à Bruxelles, gare du Nord. La ville est très excitée par les nouvelles du débarquement de Normandie.

Mme Chardome, fille d’officier français, lorraine par surcroît, est consternée. Plus exaltée que son mari, elle est sur les nerfs.

Mais vous n’y pensez pas. Les Alliés ont presque gagné. Moi, je suis engagée dans la résistance. Il n’est pas question que vous alliez combattre aux côtés des Allemands. C’est de la folie !

Pendant des semaines, la générale mène grand tapage, adjurant son mari, déprimé par la captivité, surpris par cet accueil, de regagner son camp de prisonniers. Mais Chardome, effondré, reste chez lui.

Alors, fin juillet 1944, après le rappel de von Falkenhausen, la générale rend visite au général SS Jungclaus, représentant de Himmler en Belgique :

Mon mari veut rentrer dans son camp de prisonniers.

Cela n’est pas prévu par le règlement : votre mari n’est plus prisonnier, il ne peut le redevenir.

Je ne veux pas qu’il reste ici, la résistance tue tout le monde.

Je ne puis rien faire pour vous.

Et en la congédiant, Jungclaus conclut en riant :

C’est la première fois qu’un général demande à être fait prisonnier.

Pas découragée, Mme Chardome va chez Degrelle, Drève de Lorraine, et lui fait transmettre un message le priant d’intervenir pour que son mari puisse regagner Prenzlau. Degrelle émet la même objection que Jungclaus :

C’est impossible. Qu’il se cache en Belgique et qu’il attende la suite des événements. Il n’est nullement obligé de s’engager dans la Waffen SS.

La générale ne l’entend pas de cette oreille : son mari doit partir, à tout prix.

Degrelle, serviable, propose un compromis :

Qu’il vienne à Berlin. Il pourra loger, comme mon invité personnel, à l’hôtel Vierjahreszeiten à Potsdam. Là, nous verrons ce que nous pouvons faire.

Il en est ainsi fait. Le colonel Frankignoul, un « matheux » perdu dans des réflexions brumeuses, suit Chardome à Potsdam, tandis que Hellebaut rejoint seul la Légion, sans d’ailleurs signer aucun engagement. Lakaie est parti, de son côté, s’engager à titre personnel.

Capture2.JPGPendant des semaines, Chardome et Frankignoul vivent dans ce palace bourré de généraux allemands qui s’étonnent de voir ces casquettes plates kaki à bandeau amarante au milieu des uniformes feldgrau. Au son latin de leur dialogue, ils croient comprendre :

Ce sont des Roumains !

Et tandis que les deux hommes restent incertains de leur sort et totalement inactifs, Degrelle, au front de l’Est, reçoit la note d’hôtel hebdomadaire. Après trois semaines, le 15 août 1944, alors que les Alliés approchent de Paris, Degrelle, las de cette charge, dépêche Hellebaut à Potsdam pour demander à ces messieurs leurs intentions.

Nous voulons retourner dans un camp de prisonniers.

Chardome et Frankignoul répètent cette antienne sans vouloir rien entendre. Au retour de Hellebaut, Degrelle obtient d’amis allemands que les deux officiers soient admis dans un camp de la Hitlerjugend à Sessenheim, en Alsace. Les deux hommes auront ainsi pendant quelques semaines l’illusion de vivre dans un camp et de manger dans une cantine. Mais lorsque les Alliés approchent de Strasbourg, le camp est dissous et Chardome et Frankignoul partent à l’aventure en Allemagne. Vivant d’expédients, les voici en Forêt-Noire.

En avril 1945, c’est en Bavière qu’ils sont « libérés » par les Américains.

Nous sommes des prisonniers politiques, déclarent-ils.

Et les officiers américains leur font fête. Ramenés à Paris par avion, ils sont félicités et « chouchoutés » par la Croix-Rouge française. Ils repartent pour Bruxelles, par le train, couverts de fleurs, comblés de cadeaux. A leur passage à la frontière belge, à Quévy, les policiers examinent leurs papiers : ils sont sur la liste des suspects, mais devant leur enthousiasme contagieux, nul n’ose les retenir.

Les mêmes scènes se reproduisent à Bruxelles, gare du Midi : Croix-Rouge, fleurs, cadeaux, retour joyeux à leurs domiciles respectifs. Le lendemain, à l’aube, la sûreté vient les chercher l’un et l’autre pour les emmener à Saint-Gilles.

mmm-vert.jpgTous deux seront jugés, dégradés et condamnés, Chardome à 15 ans, Frankignoul à 5 ans de prison.

Depuis lors, tous deux sont morts, misérablement, privés de leurs pensions et de leurs biens. Leurs familles préfèrent ne pas parler d’eux.

Au moins, Degrelle et ses légionnaires eurent le mérite de suivre leur route rectiligne. » (Histoires secrètes de la Belgique, pp. 228-231).

 

Partageant sans réserve cette dernière réflexion, il nous est impossible de souscrire à la conclusion de Maurits Cailliau, sentant par trop son « politiquement correct » contemporain :

« Peu importe, l’ami que se fit Joris van Severen dans les tranchées du Front au cours de la Première Guerre mondiale n’est donc jamais allé au Front de l’Est ! »

Comme si le colonel Jules Frankignoul eût ajouté une nouvelle flétrissure à son nom en allant se battre au Front de l’Est (la qualité d’ami de Joris van Severen eût sans doute déjà suffi à le condamner en 1945 s’il s’en était prévalu !).

 Il n’est évidemment pas question pour nous d’imaginer ce que l’histoire du Verdinaso, du mouvement flamand et de la collaboration fût devenue si Joris van Severen n’avait pas été assassiné le 20 mai 1940. Mais peut-on exclure qu’il eût pu entrevoir de nouvelles possibilités pour le Dietschland après la victoire allemande ? qu’il eût d’ailleurs pu s’y voir encouragé par l’entourage royal ? qu’à l’instar de Léon Degrelle, il se fût engagé contre le communisme, aussi patriotiquement que tant d’autres Flamands ? qu’il eût pu se montrer fier de l’engagement de son ami Frankignoul dans les rangs de ceux qui voulaient bâtir une nouvelle Europe libérée des banksters, authentiquement nationale et sociale ?

 

Mais ne nous abandonnons pas à l’histoire-fiction. Ce que les faits historiques nous apprennent, c’est que la décision de Lambert Chardome et de Jules Frankignoul de revenir sur leur engagement ne fut jamais –au grand jamais– flétrie par Léon Degrelle.

Celui-ci connaissait trop bien les agissements criminels de la Résistance et l’héroïsme qu’il fallait pour risquer de lui abandonner le sort de sa famille et de ses proches (voir ce blog au 7 juin 2018). Aussi se garda-t-il toujours de condamner ceux qui avaient courageusement franchi le premier pas vers la Légion Wallonie, mais avaient finalement dû reculer en cédant aux prières de leur famille.

Ainsi ne put-il jamais tresser que des louanges à l’ancien ami de Joris van Severen, Jules Frankignoul, et à ses compagnons qui surent choisir le destin de l’honneur, même s’ils ne purent le concrétiser (ce qui ne les empêcha pas de connaître, à l’instar des volontaires du Front de l’Est, l’ « épuration patriotique » des vainqueurs haineux et méchants) :

« Certains [officiers belges prisonniers] nous rejoignirent, tel le major Hellebaut, chef d’Etat-major de corps d’armée, brave entre tous, qui deviendrait le chef d’Etat-major très admiré de notre division, tel le colonel Frankignoul, tel le général Chardome, le chef si populaire des Chasseurs ardennais et d’autres encore, de grade moins élevés, dévorés tous par le désir de servir à nouveau, dans nos rangs, les intérêts de leur pays. Plus de cent se proposèrent. » (Degrelle persiste et signe, p. 421).

Commentaires

  • chers amis;encore une fois "le dernier carré m'étonne,m'amuse et surtout m'informe,félicitations pour l'article si-dessus.

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