Hélène Cornette, la maîtresse cachée de Léon Degrelle ? [1]
Sous le manteau du Caudillo [6]
Pour documenter la relation qui s'établira entre Hélène Cornette et Léon Degrelle, nous disposons essentiellement de la documentation publiée par José Luis Rodríguez Jiménez et reçue du fils d'Hélène (des dédicaces de livres de Léon Degrelle, des photos prises à La Carlina et son témoignage) ainsi que du livre de Gemma Aguilera, Agent 447 dont la traduction espagnole de 2013 mit la puce à l'oreille de Rodríguez (ce blog au 15 mars 2025).
L'auteur du recueil de ragots Bajo el manto del Caudillo rapporte la dédicace de son livre de poèmes L'Ombre des soirs, que Léon Degrelle offrit à Hélène Cornette, datée de 1953. Nous pensons qu'il s'agit bien là de la date de leur première rencontre. Cette quarantaine de pages de poésies avaient été composées à l'Hôpital Mola avant d'être publiées en 1952. Et l'hommage que Léon Degrelle y appose est tout à fait semblable à ceux qu'il rédige habituellement pour le visiteur occasionnel qui suscite sa sympathie : chaleureux et empressé. « A ma chère et belle amie Hélène Rendueles, avec l'affectueux souvenir de L. Degrelle » (p. 235).
Page de garde du livre. S'il n'est pas le premier ouvrage de Léon Degrelle à avoir été publié après la guerre (ce sera La Cohue de 1940, édité en 1949), L'Ombre des Soirs est la première œuvre à avoir été écrite pendant la convalescence du blessé à l'Hôpital Mola et daté « Saint-Sébastien, juillet 1945 » (p. 45).
Le recueil est composé de trois cycles de poèmes : Les Vies Brèves ; Beauté, o ma béatitude et Je devrais. Cette luxueuse édition sur papier vergé, limitée à 675 exemplaires, est censée avoir été réalisée par le maître-imprimeur Jean Pons à Paris (en réalité Juan Pons Sastre, chef des ateliers d'impression artisanale Imprenta Becerra à Lora del Rio) pour les éditions A la Feuille de Chêne (allusion à la distinction ajoutée à la Croix de Chevalier de la Croix de Fer de Léon Degrelle par Adolf Hitler, le 27 août 1944 : ce blog au 24 janvier 2023) : « L'impression, commencée le 19 Mars 1952, a été terminée le 11 Avril de la même année. » (p. 47).
Nous noterons qu'à cette occasion, la visiteuse renseigna à son hôte le nom de la mère de son mari, –Rendueles–, selon le faux passeport de celui-ci (sur son propre faux passeport, Hélène Cornette portait le nom du second mari de sa mère, Stoffel : voir Gemma Aguilera, p. 129). Elle n'a donc pas donné son propre nom –Cornette–, ni celui de son faux passeport, mais s'est présentée à Léon Degrelle comme l'épouse de Pedro Rendueles. Loin d'une relation intime, nous en sommes donc bien au tout début de leurs rapports, sans doute encore méfiants.
Mais les relations vont rapidement s'intensifier, même si on n'est pas obligé de suivre Rodríguez dans ses supputations salaces : « Léon offrit également à Hélène un exemplaire de La Campagne de Russie, avec une dédicace plus longue qui, bien qu'il omît le mot “amour”, n'éviterait pas les soupçons de Pedro Urraca : “Pour toi, chère Hélène, dont le prénom poétique et fameux a mû et inspiré tant de glorieux guerriers. En souvenir de temps grandioses qui ont ajouté quelque chose au patrimoine de gloire, de grandeur et de beauté des Hommes ; pour te dire l'admiration, l'attachement et l'affection qu'éprouve pour toi” [Léon Degrelle] » (p. 235).
On le voit, pour l'historien des conjectures, apparemment hermétique aux évocations poético-mythologiques provoquées par le seul prénom d'Hélène et étranger également aux compliments galants qu'elles permettent, une telle dédicace ne peut qu'exprimer la passion d'un amour adultère.
Il n'en reste pas moins qu'à partir de ce moment les visites se renouvelèrent régulièrement : « Quant à Hélène Cornette, il existe des photographies d'elle à La Carlina, prises en juillet et septembre 1954 et en juillet et août 1955, ce qui veut dire qu'elle passa là plusieurs semaines pendant ces étés. Et cela se répéterait car les printemps se passaient entre Bruxelles et Madrid comme l'indique la lettre de Pilar Primo de Rivera à Hélène, le 19 janvier 1956 : “Nous te verrons certainement par ici lors de ta visite de printemps”. » (p. 245).
Les dates avancées par Rodríguez ne correspondent déjà pas tout à fait avec l'illustration qu'il publie d'une enveloppe Kodak contenant le développement du film d'un séjour d'Hélène à La Carlina qui s'avère légèrement antérieur puisqu'elle est datée du 15 juin 1954. En légende, Rodríguez explique que ces clichés constituaient le cadeau d'Hélène à Léon Degrelle pour son quarante-huitième anniversaire (p. 245). Nous corrigerons cependant encore notre fin limier car il ne s'est apparemment pas rendu compte que l'écriture de la date est de Léon Degrelle lui-même et pas d'Hélène Cornette.
Cette pochette contenant des photographies développées par Kodak est archivée de la main de Léon Degrelle : « Anniversaire 15 Juin 1954 » : il a sélectionné certaines photos pour lui et rend les autres à son amie Hélène Cornette en souvenir de la journée de son 48e anniversaire passée ensemble à La Carlina.
Commentaires de Rodríguez : « Enveloppe du développement à Madrid de quelques photographies prises à La Carlina, au nom de “Mme Rendueles” (utilisant le second nom de son mari, prenant soin de ne pas laisser de trace des endroits où elle passe), avec une note indiquant “Anniversaire 15 juin 1954” (date du 48e anniversaire de Degrelle). Elles étaient un cadeau pour lui. »
Cette note manuscrite –de la main de Léon Degrelle– manifeste qu'il s'agit plutôt d'un cadeau réciproque.
Ce qui veut dire que si cette enveloppe avec cette référence s'est retrouvée parmi les documents d'Hélène, c'est que Léon Degrelle lui en a fait cadeau en retour, voulant partager avec elle les souvenirs de joie, de soleil et de baignades, de ce jour de juin tout spécial qu'il ne manque pas de rappeler sur la pochette Kodak.
La preuve en est que la plupart des photos fournies par Jean-Marie Urraca, le fils d'Hélène, à Rodríguez ont aussi été retrouvées dans les papiers de Léon Degrelle. Il ne manque que celles où figure Hélène, probablement rendues en souvenir par le jubilaire ou écartées plus tard par Jeanne, la sourcilleuse et exclusive épouse aimante de Léon Degrelle...
Parmi elles probablement, les deux clichés où Hélène Cornette apparaît en maillot de bain (p. 236 –nous en avons repris un détail : ce blog au 1er septembre 2024–, et p. 247 où l'on voit également Léon Degrelle nager dans la petite piscine aux rochers) ainsi que celui de la première couverture : c'est là le seul vrai scoop de Rodríguez car c'est bien la toute première fois qu'est publiée une photo coquine de Léon Degrelle en maillot de bain, tapotant les fesses d'une statue de naïade !... Il s'agit d'un marbre du sulpteur florentin Guglielmo Pugi (1850-1915), connu pour ses diverses Vénus accroupie.
Peut-être qu'appartiennent aussi à cette série de photos Kodak, celle de la grande piscine (p. 243), celle où Léon Degrelle lit dans le patio à côté de la grande jarre armoriée (p. 233) ainsi que celle où il pose dans les champs, avec La Carlina en arrière-plan (p. 240) : ces deux derniers clichés ont de toute évidence été pris le même jour car l'hôte de la finca porte en effet les mêmes vêtements. Les deux dernières photos publiées par Rodríguez ne proviennent certainement pas de cette série : l'une présente le fils d'Hélène, Jean-Marie Urraca, à cheval (p. 249), mais il est arrivé plus tard à La Carlina, en 1956 ; et l'autre est prise au cimetière de Constantina, montrant la tombe de Léon-Marie (p. 260, ce blog au 1er septembre 2024), mais le fils unique de Léon Degrelle mourut à Séville le 22 février 1958.
La photo de couverture de Bajo el manto del Caudillo montre pour la toute première fois un Léon Degrelle en maillot de bain, assis sur le bord de la grande piscine de La Carlina. Il semble vouloir tapoter gaillardement le popotin de la statue d'une baigneuse qui en couronne le sommet (Nu accroupi, de Guglielmo Pugi) : une photo toute privée marquant la complicité entre le (la) photographe et le photographié. La scène amusait d'autant plus les protagonistes que plusieurs clichés en furent pris : celui du livre de José Luis Rodríguez Jiménez appartient aux papiers d'Hélène Cornette.
En voici un second, légèrement différent (inclinaison opposée de la tête, main gauche sur la fesse de la nymphe dénudée, main droite plus en avant sur le socle de la statue) sorti des archives de Léon Degrelle (Documentation © Jacques de Schutter). Il établit bien notre hypothèse d'un partage des souvenirs immortalisés sur la pellicule de cette journée du 15 juin 1954.
À la fin de cette même année 1954, parut la seconde édition d'Almas Ardiendo (la première, au tirage limité sur papier vergé, avait été réalisée en 1952, en même temps que L'Ombre des Soirs, par le maître-imprimeur Juan Pons, à Lora del Rio, voir ce blog au 24 janvier 2024). C'est cette nouvelle édition, au format de poche et tirée à plusieurs milliers d'exemplaires vendus une quarantaine de pesetas pièce, qui fut dédicacée à Hélène Cornette.
« À toi, chère et belle Hélène, alma ardiendo ! car Dieu sait la force et la pureté du feu qui brûle en toi. Avec l'admiration et le souvenir plein d'affection de L. Degrelle. En exil, le 15 Décembre 1954. » (p. 238)
À nouveau, une dédicace flatteuse dont l'auteur des Âmes qui brûlent est coutumier, identifiant ici la dédicataire au titre du livre et lui délivrant ainsi le certificat d'idéal qui doit nécessairement animer celle qui est devenue une amie. Il s'agit d'ailleurs de la dernière dédicace qui nous soit communiquée par Rodríguez, qui ne manque pas d'y reconnaître de quasi-déclarations d'amour.
Nous ignorons bien sûr tout de la nature précise des relations entretenues par Hélène Cornette et son hôte puisque nous n'avons appris son existence que par ce livre. Aussi nous semble-t-il avant tout important de nous attacher aux textes authentiques qu'il nous fournit plutôt qu'aux interprétations de leur découvreur trop tenté, nous semble-t-il, d'y projeter ses propres lubies...
Il semble que la fonction première de la Vénus au bain de la grande piscine de La Carlina soit de recevoir de gentilles tapettes sur les fesses ! Derrière Léon Degrelle, un porche ouvre sur le panorama de Constantina. Ironiquement sans doute en l'occurrence, les azulejos qui le décorent chantent les vers de Federico García Lorca « Aire de Roma Andaluza le doraba la cabeza » (« Un air de Rome andalouse lui dorait la tête », Chant funèbre pour [le matador] Ignacio Sánchez Mejías) !...
À noter surtout que la scénette où d'autres personnes semblent présentes ne peut certes plus évoquer quelque connivence coupable entre Léon et son photographe (pour autant que ce fût bien Hélène qui photographiait Léon en maillot de bain).
(Documentation © Jacques de Schutter)
Concernant justement les dédicaces, observons qu'il n'y en a que trois : la première (pour L'Ombre des Soirs) est on ne peut plus anodine, ne permettant aucunement de déduire quelque intimité entre l'auteur et la dédicataire. Les deux autres, au contraire, manifestent clairement une plus grande proximité entre les deux personnes. Mais au lieu d'y voir une manifestation d' « imprudence » (pour Almas Ardiendo) ou un aveu de relations coupables (pour La Campagne de Russie) devant inévitablement déboucher sur « les soupçons de Pedro Urraca », le mari d'Hélène, nous n'y voyons qu'artifices littéraires d'auteur cherchant à impliquer personnellement la dédicataire dans l’œuvre qu'il lui offre.
Ainsi de la geste héroïque des Légionnaires wallons sur le Front de l'Est, La Campagne de Russie : Léon Degrelle se sert du prénom d'Hélène pour renvoyer à cette autre geste héroïque que fut la guerre de Troie et, en même temps, justifier l'affection qu'il lui porte.
Ainsi de l'ouvrage célébrant les porteurs d'idéal, Almas ardiendo : Léon Degrelle affirme que Dieu a voulu qu'Hélène soit aussi une âme qui brûle.
Remarquons enfin la conclusion de ces deux dernières dédicaces où nous retrouvons les mêmes mots : « te dire l'admiration, l'attachement et l'affection qu'éprouve pour toi [signature] » et « Avec l'admiration et le souvenir plein d'affection de L. Degrelle ». La reprise des mêmes termes cordiaux dans la dédicace montre assez qu'ils appartiennent au registre de l'hommage certes tout personnel, mais pas à l'expression camouflée de sentiments où ne manquerait que « le mot “amour” » !
On voit que Rodríguez fait tout son possible pour déduire des hommages à Hélène que signe Léon Degrelle dans les livres qu'il lui offre, des relations extra-conjugales. Mais, comme on le constate, rien dans les dédicaces à son amie ne nous oriente résolument dans cette direction, à moins d'adopter les a priori de Rodríguez et de solliciter les textes avec insistance !
Mais, à part les trois autographes de 1953-1954, possède-t-on d'autres documents ? L' « historien » nous indique qu' « En ce qui concerne Hélène Cornette, on dispose de photographies d'elle à La Carlina prises en juillet et septembre 1954 et en juillet et août 1955, ce qui prouve qu'elle a passé là plusieurs semaines pendant ces étés. » (p. 245). Au passage, nous remarquerons qu'il n'y a en tout et pour tout que quatre visites vraiment documentées. L'auteur insinue néanmoins, en s'appuyant sur une lettre de la sœur de José Antonio à son amie espérant sa visite au printemps 1956, qu'Hélène aurait pu en profiter pour se rendre chez Léon. Nous verrons plus loin que c'est plutôt à l'été 1956 qu'elle fit le voyage, mais pour une tout autre raison qu'une visite à Pilar Primo de Rivera.
Parmi toutes les photos dont nous parle Rodríguez, une seule semble avoir été dédicacée à Hélène. Mais elle n'est pas reprise dans son ouvrage ; nous la trouverons dans un article de trois pages que Gemma Aguilera a publié le 12 mars 2013 dans El Temps, hebdomadaire politico-culturel de gauche en catalan, intitulé Le charme dangereux du nazi Léon Degrelle.
Selon la journaliste Gemma Aguilera (en bas à droite, photo couleurs) que l'on serait tenté de croire sur parole tant ses reportages reçoivent d'honneurs (notamment un prix de la ville de Barcelone en 2007), « Léon Degrelle et Hélène Cornette, l'épouse de Pedro Urraca Rendueles, étaient amants. » Comment le sait-elle ? En donne-t-elle la preuve ? Non, elle reprend simplement « une rumeur déjà fort répandue », mais qu'elle n'établit par aucune référence.
Sa traduction de la dédicace de Léon Degrelle n'est pas mieux inspirée : « Du plus haut de l'éloquence –musicale– chère Hélène, en pensant affectueusement à toi. La Carlina, 1954. » Non seulement elle omet la signature Juan, mais elle rate la métaphore de la lyre inspirée par la ferronnerie du balcon : cette lyre n'appartient pas à la musique, mais, comme le souligne Léon Degrelle, à l'éloquence, celle par exemple d'un autre Jean, le Chrysostome (« Bouche d'or ») que l'office byzantin de sa fête célèbre comme « la lyre éloquente [...] qui fait retentir par toute la terre les dogmes du salut ». Éloquence ressortissant, plus certainement aussi, à ses propres talents d'orateur, conférencier apprécié de Constantina. Léon Degrelle y avait d'ailleurs déjà fait allusion auprès de Jean-Louis, le fils d'Hélène Cornette, qui a conté l'anecdote à Rodríguez : « la maison avait, sur la terrasse principale, un petit balcon en fer forgé d'où l'on dominait la route d'accès à La Carlina ; et Léon disait que cet endroit était parfait pour haranguer le peuple ! » (pp. 248-249).
À gauche, le balcon de la terrasse dominant le grand jardin en surplomb de la route menant au Leo Belgicus du portail d'entrée de La Carlina ; à droite, la vue aérienne de La Carlina permet de situer tous ces éléments : le balcon à la lyre d'éloquence est signalé par un cadre rouge ; la Vénus accroupie, par un cadre jaune. (Documentation © Jacques de Schutter)
Dans son article, Gemma Aguilera n'a pas plus de chance en commentant la photo d'un dîner d'une petite trentaine de personnes autour d'une longue table dans un restaurant de Constantina (les autres clients dînent ou prennent un verre à d'autres petites tables de la taverne) : « Banquet de noces d'une des filles de Degrelle, avec de nombreux voisins de Constantina. » Seules Godelieve (en 1960) et Anne (en 1961) se marièrent à Constantina et, comme nous le verrons, jamais Hélène n'assistera aux noces. Il s'agit certes ici d'un petit banquet, mais ne concernant en rien les filles de Léon Degrelle (seul Jean-Louis Urraca pourrait préciser les circonstances de ce repas).
La photo montre à l'avant-plan la famille d'Hélène Cornette : de gauche à droite, probablement son fils Jean-Louis Urraca, un inconnu qui semble le chevalier servant de la grand-mère Jeanne Compveut assise à côté de sa fille Hélène la couvant du regard. Suivent deux personnes en l'honneur de qui le repas est peut-être offert puisqu'elles se trouvent au centre de la tablée. Ce n'est que deux places plus loin qu'on reconnaît Léon Degrelle, loin donc de sa maîtresse de prétendue notoriété publique.
Ci-dessous, des fragments des deux premières pages de l'article Le charme dangereux du nazi Léon Degrelle, paru dans El Temps, le 12 mars 2013.
![]()
La photo montre Léon Degrelle, en pantalon de golf et chaussettes blanches à la Tintin, accoudé à un balcon au sommet d'un promontoire. La dédicace, à nouveau, semble bien innocente : « Du haut de la lyre de l'éloquence, chère Hélène, en pensant affectueusement à toi, Juan, La Carlina, 1954. »
Photo provenant des archives de Léon Degrelle, identique à celle qui fut dédicacée à Hélène Cornette : le tribun est accoudé au balcon en fer forgé qu'il assimile à la « lyre de l'éloquence ».
(Documentation © Jacques de Schutter)
Un Rodríguez s'empresserait peut-être d'utiliser cette photo pour étayer sa thèse des relations amoureuses, en relevant le mot « affectueusement », combien plus personnel qu'un formel « cordialement » (mais présent dans toutes les dédicaces), et surtout la signature « Juan » qui ne pourrait, évidemment, que renvoyer à Don Juan, le séducteur impénitent de la gent féminine !
Mais une telle référence serait-elle vraiment opportune ? Ne relèverait-elle pas plutôt de la muflerie la plus crasse, ravalant son éventuelle amante au rang de vulgaire numéro à enregistrer dans son interminable catalogue de conquêtes ?
Ce serait oublier surtout que depuis qu'il put se réfugier dans la propriété de l'ami du ministre du Travail José Antonio Girón, Léon Degrelle s'est justement fait connaître comme « Don Juan de Majalimar ». C'est sous ce nom en effet qu'il commença à donner ses conférences historiques à succès et même à les publier, comme le rapporte d'ailleurs l'auteur de Bajo el manto del Caudillo : « Degrelle, passionné d'histoire locale, commença à écrire dans les bulletins municipaux et à donner des conférences dans les cinémas et les théâtres des villages voisins, où il mélangeait son mauvais espagnol au français, et il fit traduire en espagnol au moins un des textes de ses conférences. Il s'agit d'une brochure assez curieuse car Lora del Río, il y a 2000 ans, éditée sans date à 120 exemplaires numérotés [...] est signée par Juan de Majalimar » (p. 231). Plus tard, si le nom changea en fonction du déménagement de l'intéressé, le prénom Juan, lui, demeura inchangé : « Le 5 juillet [1956], [l'organe du parti socialiste espagnol en France] El Socialista, dans son édition de Toulouse, a fait état de trois conférences données par Degrelle les 3, 7 et 10 décembre 1955, à 19h30, au cinéma Cervantès de Constantina [...]. On indiquait également que le nom de Degrelle n'apparaissait pas dans le programme et que les conférences seraient données par “la haute personnalité que nous connaissons tous sous le nom de Don Juan de la Carlinga [sic, pour Carlina]”. » (p. 251).
(Documentation © Jacques de Schutter)
Mais pourquoi « Juan » ? Simplement parce que depuis 1950, Léon Degrelle possède un permis de travail au nom de Don Juan Sanchis Dupré, journaliste correspondant de l'hebdomadaire phalangiste d'information politique et sociale Afan (L'Effort).
C'est le phalangiste Victor de la Serna, responsable de la section « Presse » au Ministère du Travail et par ailleurs rédacteur en chef d'Afan qui signe obligeamment ce permis de travail d'autant plus original que l'hebdomadaire en question avait cessé de paraître depuis une dizaine d'années (son dernier numéro sortit en décembre 1940, après trois ans et demi d'existence).
Victor de la Serna (1896-1958), qui avait également été directeur du quotidien pro-allemand Informaciones pendant la guerre, était un ami d'Otto Skorzeny (il fut témoin de son mariage avec la néerlandaise Ilse Lüthje à Madrid en mars 1954) et de Clara Stauffer (ce blog au 3 janvier 2023). Il noua des liens d'amité avec Léon Degrelle lorsqu'il fut question de l'aider à rejoindre Pierre Daye en Argentine en 1948 (ce blog au 4 mai 2016) et lui procura alors passeport, carnet d'ancien combattant ainsi que ce permis de travail.
Victor de la Serna, premier à gauche, est reçu, le 20 janvier 1943, dans les salons du chef de la Presse du Reich, le Dr Otto Dietrich (au centre, en uniforme de général de l'Algemeine SS), où trône le buste d'Adolf Hitler par Bernhard Bleeker (1881-1968 ; fasciné par son modèle, le sculpteur munichois en réalisa plus de vingt différents jusqu'à la fin de la guerre) ; à sa gauche, le rédacteur en chef du quotidien Arriba et à sa droite, le vice-secrétaire à l'Education populaire. Cette délégation de la presse espagnole en visite officielle auprès de ses homologues allemands était conduite par José Luis Arrese, le ministre du mouvement national FET de la JONS (qui n'apparaît pas sur la photo).
Mais si ni les dédicaces des livres offerts, ni celle de la seule photo signée à avoir été dévoilée, célébrant l'orateur Degrelle, ne peuvent accréditer incontestablement les relations amoureuses entre le mari délaissé de Marie-Paule Lemay et l'épouse émancipée de Pedro Urraca, sur quoi peuvent alors se baser, et la journaliste, et le prof d'unif, pour établir leur scoop sur la vie sentimentale à rebondissements de Léon Degrelle ?
Il reste encore le témoignage du fils d'Hélène Cornette, Jean-Louis Urraca, qu'ont rencontré nos deux bonimenteurs romanesques. Mais à nouveau, nous verrons comment la Barbara Cartland catalane et l'inspecteur Clouseau castillan ferraillent pour rendre leur histoire la plus croustillante possible...
À suivre