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emile brami

  • Degrelle - Hergé, même combat ! (6)

    La « solution finale »

     

    Nous ne ferons pas l’impasse sur ce sujet puisqu’on n’a pas hésité à l’envoyer dans la figure de Hergé pour lui extorquer une condamnation du national-socialisme (ou plutôt du « nazisme » tel que présenté par la vulgate d’après le procès de Nuremberg) !

    C’est Pierre Assouline qui rapporte cette réponse de Hergé à l’attaque du journaliste-cinéaste Henri Roanne, auteur –avec Gérard Valet– du documentaire Moi Tintin, réalisé en 1974-75. Pour qu’on en saisisse sans doute tout le sel, Assouline prend soin d’énumérer en note le patronyme complet du cinéaste :  «Témoignage d'Henri Roanne-Rosenblatt à l'auteur» (Pierre Assouline, Hergé, p. 428, note 43). « Interrogé dans le cadre d'un film sur sa vie, [Hergé] confiera hors micro, lors d'un tête à tête avec l'un des réalisateurs : C’est vrai que certains dessins, je n’en suis pas fier. Mais vous pouvez me croire : si j’avais su à l’époque la nature des persécutions et la solution finale, je ne les aurais pas faits. Je ne savais pas. Ou alors, comme tant d’autres, je me suis peut-être arrangé pour ne pas savoir…» (Assouline, p. 204)

    Il y a peut-être un fond de vérité dans cette résipiscence (faite, comme par hasard, « hors micro ») que Hergé aurait confiée à ce « Bohlwinkel » le pressant de reconnaître sa culpabilité concernant « certains dessins ». Mais dans la mesure où il s’agit d’un témoignage oral publié des années après l’entretien « hors micro », nous ne pouvons nous empêcher de penser qu’il est taillé sur mesure pour appuyer la dénonciation par Assouline d’un Hergé qui « ne renie rien de son attitude, ni du milieu dans lequel il a baigné depuis vingt ans » (Assouline, p. 203).

    Pour parfaire sa stigmatisation de l’entêtement coupable de Hergé, Assouline nous assène un second « témoignage à l’auteur » (p. 428, note 44), tout aussi invérifiable. Celui du créateur d’Alix l’intrépide, Jacques Martin, qu’il résume comme suit : « Hergé ne démord pas de cette attitude, même avec son proche collaborateur Jacques Martin, requis deux ans par le service du travail obligatoire comme ingénieur chez Messerschmidt [sic] à Augsbourg. Comme ce dernier lui racontait sa vision des camps de la mort entrevus lors de ce séjour forcé en Allemagne (« les cadavres qui marchaient, l’odeur insupportable… ») et la version des gardiens qu’il avait interrogés (« ce sont des prisonniers de droit commun ! »), Hergé réagit avec incrédulité : “Tu as mauvais mémoire, tu as été impressionné, tu as mal vu… Et d’abord, comment sais-tu que c’étaient des Juifs ? C’étaient sûrement des droits communs.” Jacques Martin y passe la soirée mais échoue à le convaincre de quoi que ce soit. Hergé récuse tout en bloc et en détail. Ce n’est pas que ça ne l’intéresse pas. Pis encore : il ne veut pas le savoir. Après cette vive discussion, les deux hommes éviteront toujours de reparler de la guerre. » (Assouline, p. 204)

    35 Massacre de Dachau 1945-04-29.jpgLes soldats américains fusillent sans autre forme de procès les gardiens du camp de concentration de Dachau, le 29 avril 1945.

     

     

     

     

    Quels commentaires ajouter, sinon qu’Assouline n’a l’air de trouver ces malheureux dignes de compassion que dans la mesure où ils seraient juifs… Jacques Martin a, quant à lui, raison en parlant de « cadavres qui marchaient » : les visions d’horreur du camp de Dachau (car c’est probablement d’un des « camps satellites » de Dachau dont parle Jacques Martin) –détenus amaigris par la famine et les épidémies de typhus– ont officiellement servi de détonateur à ce qu’on a appelé le « massacre de Dachau », c’est-à-dire l’exécution sommaire par des militaires américains des gardiens du camp. Et Hergé n’a pas tort non plus à propos du point précis qu’il ne s’agissait pas nécessairement de juifs : dans la région d’Augsbourg, fonctionnaient deux « camps satellites » de Dachau qui fournissaient en travailleurs forcés les usines Messerschmitt où travaillait l’ingénieur Jacques Martin.

    Pour le reste, nous n’avons aucune information sur la connaissance que Hergé pourrait avoir eue des écrits et mises au point du courant que l’on appellera « révisionniste » et, plus tard encore, « négationniste » (l’article fondateur du professeur Robert Faurisson, Le problème des chambres à gaz, ou la rumeur d’Auschwitz, a pourtant été publié, avec retentissement, le 29 décembre 1978, dans Le Monde, soit près de cinq ans avant le décès de Hergé). Nous ne pouvons donc, respectueux des lois spéciales qui gouvernent aujourd’hui la recherche historique, que conclure avec Léon Degrelle : « Lorsque l’immense tapage monté après la guerre sur ce problème aura fini par s’apaiser, on verra ce que concluront les historiens, redevenus sérieux. De grandes surprises seront alors, sans doute, réservées aux accusateurs hâtifs, aux attrape-nigauds et aux menteurs cyniques de nos temps passionnés. Entretemps, tout débat à ce sujet étant judiciairement interdit, chacun ne peut que se taire. Je le fais moi-même aujourd’hui, le bec cousu et la plume sèche, sans d’ailleurs en penser moins derrière les jupons omnipotents des magistrats brandissant leurs nouveaux codes. » (Tintin mon copain, p. 93)

     

    Des clins d’œil aux amis proscrits

     

    On le voit, après-guerre, malgré le carcan progressif du « politiquement correct », l’œuvre de Hergé abonde désormais –et paradoxalement– en références « politiquement incorrectes ». Mais même si elles sont discrètes, elles n’en constituent pas moins autant de savoureux clins d’œil complices à ceux qui savent les reconnaître.

    Ainsi sait-on, depuis 2004, grâce au célinien Emile Brami (Céline, Hergé et l’affaire Haddock), que les célèbres jurons du capitaine Haddock sont directement issus des pamphlets antisémites de Céline (Bagatelles pour un massacre, 1937, L’Ecole des cadavres, 1939). Dénoncé par les gardiens autoproclamés du « temple », Brami a vu sa perspicacité confirmée par la découverte et la publication, à l’automne 2011, par Les Amis d’Hergé (association fondée, entre autres, par Stéphane Steeman), d’un manuscrit de l'auteur des « Aventures de Tintin » énumérant une série impressionnante d’épithètes choisies, piochée dans l’œuvre de l’immortel Louis-Ferdinand.

    36 Haddock Céline 2.jpg
    Pareillement, même si le Professeur Tournesol puise sa ressemblance physique dans le portrait du physicien Auguste Piccard, ce n’est pas vers Charles Maurras qu’il faut se tourner pour découvrir ses centres d’intérêt idéologiques (Francis Bergeron, Georges Remi dit Hergé, p. 51), mais vers les savants hitlériens puisque ses plus remarquables inventions sont, comme par hasard, toujours la concrétisation de projets nazis ! Nous ne nous attarderons pas sur la fusée lunaire inspirée, comme chacun sait, du fameux missile V2 conçu par Wernher von Braun, la Vergeltungswaffe 2, l' « Arme de représailles n° 2 » aux bombardements de terreur frappant aveuglément toutes les populations civiles allemandes depuis 1940 (il faut absolument lire le terrible ouvrage de Jörg Friedrich, L’incendie. L’Allemagne sous les bombes 1940-1945, Ed. de Fallois, 2006).

    Le professeur Tournesol anticipera ainsi d’une petite vingtaine d’années le projet fou de l’ingénieur national-socialiste d’envoyer un homme sur la lune…

    Mais c’est dès sa première apparition dans les « Aventures de Tintin », c’est-à-dire dans Le Trésor de Rackham le Rouge, que Tryphon Tournesol se présente comme le concepteur d’inventions susceptibles d’améliorer les conditions de vie de ses contemporains soumis à toutes les restrictions du temps de guerre. C’est ainsi qu’il présente à ses nouveaux amis, Tintin et le capitaine Haddock, un lit-placard pour ceux qui disposent « de très peu de place » ainsi qu’un impressionnant « nouveau modèle de gazogène » (pp. 6-7). Conçu pendant la Première Guerre mondiale pour palier le manque d’essence et permettre aux voitures de continuer à rouler, le gazogène était un appareil produisant un gaz de propulsion par pyrolyse de bois, de charbon ou de charbon de bois. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le procédé va naturellement connaître de multiples perfectionnements. C’est ainsi que la marque Gazauto, qui avait été déposée en 1936 par le Français Louis Libault (1893-1966), ne cessera de développer son appareil en multipliant les dépôts de brevets en France et en Allemagne entre 1939 et 1942.

    Mais c’est d’une invention d’origine allemande –comme toutes celles d’ailleurs qui, dans le futur, auront une influence déterminante sur le cours des aventures de Tintin– que le Professeur Tournesol veut faire bénéficier le jeune reporter-aventurier. Il s’agit d’un opportun « appareil à explorer le fond des mers, une espèce de petit sous-marin équipé d’un moteur électrique et muni de réservoirs d’oxygène pour deux heures de plongée » (p. 8). C’est-à-dire de l’U-Boot-Zwerg (le « sous-marin nain ») ainsi que l’appelle l’article de journal allemand de 1942 ou 1943 découpé par Hergé et retrouvé dans sa documentation : les bribes de cet article que nous pouvons retrouver sur Internet (zpag.net) parlent d’un « minuscule sous-marin ayant la forme d’un poisson qu’un Américain souhaitait utiliser sous les eaux du lac Michigan ». Ce projet fut-il mené à bien ? Hergé lui-même l’a sans doute ignoré, mais sa documentation comportait aussi le mensuel La Science et la Vie de mars 1942 montrant qu’un projet similaire de sous-marin individuel avait bel et bien été développé par l’ingénierie de l’allié japonais du Pacte d’Acier, avec une vitre d’habitacle en tous points semblable au « Requin » du Professeur Tournesol. Ajoutons qu’un prototype, tout allemand celui-là, encore plus petit, appelé Delphin (« Dauphin »), avec le même cockpit de plexiglas, pouvant atteindre la vitesse de 17 nœuds sous l’eau, avait été développé à la même époque : une firme ukrainienne de modélisme en commercialise aujourd’hui encore la maquette…

    37 U-Boot-Zwerg-vert.jpg

    Dans L’Affaire Tournesol, c’est également vers les savants allemands de la Deuxième Guerre Mondiale que l’intrigue nous oriente explicitement, puisque le Professeur Tournesol réalise à nouveau le prototype d’une arme secrète du Troisième Reich, comme Tintin le découvre en feuilletant l’ouvrage German Research in World War II: « Fig. 69. Sound used as a weapon by means of large parabolic projectors. Research conducted near Lofer, Germany, under the auspices of the Speer Ministry » [« Recherches allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale. Fig. 69 : Le son utilisé comme arme au moyen de grands projecteurs paraboliques. Recherches menées près de Lofer, Allemagne, sous les auspices du Ministère de Speer »] (p. 23).

    Ce livre (bien réel, dont Hergé reproduit la couverture) fut écrit par le Colonel Leslie Earl Simon (directeur, en 1947, des « Ballistic Research Laboratories » de la base d’essai de l’armée américaine d’Aberdeen, au Maryland). Si le dessin de Hergé est bien fidèle à l’original, il s’en dissocie aussi puisque la croix gammée qui devrait figurer sur le prototype d’avion en négatif, est sagement remplacée par les vitres blanches du cockpit (par contre, la fusée V2 qui lui sert de toile de fond, avec son damier rouge et blanc, est bien celle d’Objectif Lune
     !).

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    Il faut être docteur en linguistique prétendant lire entre les cases pour affirmer que la présence de cette croix gammée sur la reproduction de la couverture de ce livre eût été incongrue dans une aventure se déroulant en Bordurie ! « Ce livre, et surtout sa couverture, sont visibles sur Amazon.com, ce qui permet de remarquer la modification opérée par Hergé, à savoir la suppression de la croix gammée qui n’a pas lieu d’être pour une aventure censée se passer en Bordurie » (Catherine Delesse, Le vrai-faux réel dans la bande dessinée : la presse et autres médias dans Tintin, Palimpsestes, http://palimpsestes.revues.org/838, § 6).

    Quelle idiotie ! Il s’agit du point de départ même des travaux du Professeur Tournesol et de cette aventure de Tintin ! Et Tintin traduit parfaitement le titre de ce livre explicitement consacré aux recherches militaires nazies : « Un ouvrage américain : “Les recherches allemandes pendant la deuxième guerre mondiale”… Capitaine, nous avons eu la main heureuse… ». N’oublions pas que nous sommes au début des années 50 et de la guerre froide : au moment où Américains et Soviétiques, qui se sont arraché les savants nazis pour bénéficier de leurs recherches, s’opposent à coups de gadgets technologiques et d’inventions futuristes (évidemment expurgés de leurs emblèmes devenus anachroniques). Pourquoi donc Hergé se serait-il gêné en ne faisant pas la même chose : l’absence de croix gammée n’enlève rien à l’origine de cette invention allemande destinée à protéger le IIIe Reich et le régime national-socialiste pendant la Seconde Guerre mondiale.

    Il n’est pas jusqu’à la dernière découverte du Professeur Tournesol –la pilule anti-alcool, dans Tintin et les Picaros– qui participe de la lutte constante des autorités nationales-socialistes contre les abus d’alcool (ou le tabagisme et autres comportements cancérigènes) : le 1er mai, Fête du Travail, fut ainsi institué « Journée sans alcool » et, à l’instar de la pilule tournesolienne « à base de plantes médicinales » et « absolument pas toxique » (p. 42), le Front Allemand du Travail remplaça, dès 1940, la bière par le thé sur les lieux de travail et l’Office de Santé du Reich promut le cidre doux non alcoolisé au statut de « Boisson du Peuple », tout en multipliant par cinq la production de jus de fruit (lire à ce sujet Robert N. Proctor, La Guerre des nazis contre le cancer, Les Belles Lettres, 2019)…

     

    A suivre