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« La Servante de Degrelle »

Ça alors ! Les Degrelle n’étaient donc pas antisémites !

 

 

Servante Degrelle.jpgLe Soir mag (hebdo TV belge) du 29 février au 6 mars a publié une présentation d’un nouveau bouquin aux éditions Luc Pire, spécialisées dans l’info politiquement correcte sur « les heures les plus sombres de notre histoire ». Il s’agit de La Servante de Degrelle, qui n’est pas un roman, mais « le récit d’une incroyable aventure », celle de « Hannah, jeune juive sauvée par la famille Degrelle », plus précisément par la famille de la sœur aînée de Léon, Madeleine (1904-1992) qui épousa Henry Cornet (1905-1986), le 29 décembre 1926 à Bouillon. Henry et Madeleine eurent six enfants, se répartissant équitablement en trois filles et trois fils.

 

Henry Cornet est un jeune confiseur belge qui, en 1929, imagina une recette originale de caramels mous qu’il développa dans son domicile de jeunes mariés à Anderlecht (aujourd’hui l’adresse du Centre Culturel Kurde de Bruxelles), avant d’ouvrir une usine, toujours à Anderlecht (avenue de Scheut, aujourd’hui siège des laboratoires Sterop).

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A base de lait entier et de sucre de betteraves, avec une pointe de vanille, ces nouveaux caramels –les « toffées »– se veulent « tendres et sucrés comme des cœurs éperdus d’amour ». Henry les baptise Lutti, d’après le petit nom affectueux qu’il a donné à son épouse Madeleine Degrelle.

 

Le nom de marque est breveté le 16 septembre 1929 et, dès 1936, Henry Cornet peut ouvrir un second site de production « Lutti » en France, dans le Nord-Pas de Calais. Après la guerre, le succès ne se démentant pas, le nom du caramel et sa recette seront également déposés le 12 avril 1949 aux Etats-Unis.

 

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Le scoop du Soir mag : « Hannah, jeune juive sauvée par la famille Degrelle. »

 

La famille Cornet s’installa dans une villa cossue de la riche banlieue de Bruxelles, à Rhode-Saint-Genèse, au coin d’une avenue donnant sur le Bois de la Cambre (à proximité donc de la demeure de Léon Degrelle, Drève de Lorraine). Elle donna à son nouveau domicile le nom « La Ribambelle », pour saluer sa féconde progéniture. C’est là qu’Hannah Nadel, jeune adolescente juive de dix-huit ans, vint sonner un jour de 1942. Elle réagissait à une petite annonce affichée à la fenêtre de sa villa par Madeleine cherchant à engager une bonne à tout faire.

 

Du moins est-ce ainsi que commence le premier récit de cette aventure publié par le quotidien catholique flamand De Standaard en 2012. Mais au fur et à mesure du temps, il se pimentera de détails pittoresques, voire excitants, soulignant le caractère tout à fait insolite de la situation.

 

« “J’avais une peau très foncée. Après un certain temps, M. Cornet me demanda mes papiers pour la sécurité sociale. J’ai esquivé la question aussi longtemps que possible. […] Monsieur me raconta que son épouse Madeleine était la sœur de Léon Degrelle, mais qu’ils avaient rompu avec le rexisme lorsque l’antisémitisme prit des proportions toujours plus graves. Ici, vous êtes en sécurité, me dit-il. Ils engagèrent également ma cousine. Plus tard, ils recherchèrent une cuisinière. Alors, j’ai installé ma mère qui avait travaillé dans un restaurant. A nous trois, nous avons vécu en sécurité jusqu’à la fin de la guerre. Seul le curé savait qui nous étions vraiment. Monsieur et Madame Cornet étaient très catholiques et insistaient pour que nous les accompagnions à l’église”. Hanna, sa cousine Tonnie et sa mère ne durent pas s’enfermer dans des caves comme la plupart des juifs qui devaient se cacher. “Nous faisions notre travail simplement, au grand jour. Je m’occupais également des enfants et ma mère restait dans la cuisine. Les parents Degrelle sont passés par là deux ou trois fois. Alors, nous devions rester à l’écart de la salle à manger. Non, durant ces années, Léon Degrelle lui-même n’est jamais entré là”. Lorsqu’à certaines occasions des nazis venaient à passer, la mère d'Hanna leur préparait ce qu’elle appelait poisson oriental, en fait un plat juif gefillte Fisch [carpe farcie]. De l’humour noir. C’est ainsi qu’elles traversèrent la guerre. […] Après la guerre, Hanna et sa famille ont entretenu encore longtemps le contact avec le couple Cornet-Degrelle. » (De Standaard, 5 novembre 2012).

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Sur cette photo prise vers 1926, année du mariage de Madeleine Degrelle avec son fiancé Henry Cornet, sont réunis tous les membres de la famille qui va s’agrandissant. De droite à gauche, debout, on distingue Henry et Madeleine en robe Charleston et coiffure au serre-tête « années folles », Edouard qui deviendra pharmacien et finira tragiquement, assassiné en 1944, Louise-Marie, Jeanne et son mari Charles Raty, frère du grand peintre ardennais Albert Raty, épousé le 23 avril 1924, la plus jeune sœur Suzanne et adossé au poteau, la main nonchalamment en poche, Léon Degrelle, vrai sosie de Tintin. Les parents Edouard et Marie sont assis, savourant leur bonheur familial.

 

En 2015, les époux Henry et Madeleine Cornet-Degrelle reçurent la distinction de « Justes parmi les Nations » à titre posthume. Commentaires de La Libre Belgique:

 

 « Dans le cas présent, l’engagement d’Henri et de Madeleine Cornet fut d’autant plus exemplaire qu’ils étaient un des beaux-frères et une des sœurs de Léon Degrelle, le fondateur du rexisme qui pendant la guerre se compromit totalement aux côtés des nazis.

S’il n’était pas rare de retrouver des "supporters" des deux camps belligérants dans les familles belges en 40-45, la situation évoquée ici fut quand même exceptionnelle lorsqu’on sait qu’in fine la sœur du principal collaborateur des nazis et son époux risquèrent leur vie pour sauver trois jeunes femmes juives. […] Hanna Nadel avait découvert une annonce pour le recrutement d’une gouvernante chez la famille Cornet à Rhode-Saint-Genèse. Elle est donc allée s’y présenter sans savoir qu’elle approchait des membres de la famille de Léon Degrelle. Ce fut donc seulement après quelque temps passé au service de la famille Cornet qu’Hanna Nadel découvrit que sa "patronne" était une des sœurs du leader de Rex. Suivit un moment de panique mais le père de famille la rassura, lui expliquant qu’elle avait rompu avec le rexisme et avec ses excès, notamment contre les juifs. Hanna Nadel finit par se sentir en sécurité et put être rejointe par sa cousine, engagée également pour aider la famille, mais aussi par sa maman, qui s’occupa de la cuisine.

Lorsque les parents Degrelle venaient visiter les leurs, les trois femmes durent se cacher au grenier ou dans la cave, loin des regards des proches, afin de ne pas susciter de suspicions qui auraient pu devenir catastrophiques. Mais il n’en fut Dieu merci rien… Après la guerre, Hanna Nadel s’est installée en Israël avec son mari tout en gardant des contacts avec les Cornet. » (La Libre Belgique, 26 juin 2015).

 

C’est en 2017 que parut la première édition en néerlandais du livre de la journaliste néerlandaise Simone Korkus (La Servante de Degrelle. Comment Hannah Nadel survécut à la guerre). L’occasion pour De Standaard d’interviewer l’auteur qui, d’emblée, précise certains détails, comme celui de l’offre d’emploi de Madeleine Cornet-Degrelle publiée dans un journal et plus affichée à la fenêtre, ou celui, plus piquant, du plat juif servi à des nazis.

 

Mais nous aurons l’occasion de revenir sur cette anecdote, d’autant plus qu’elle semble pratiquement la seule chose précise dont se souvienne la jeune rescapée, après quelque soixante-dix ans…

 

« De prime abord, Hannah pouvait se souvenir de peu de choses de son passé de guerre. Seulement l’anecdote selon laquelle elle fut cachée avec sa cousine et sa mère chez la sœur de Léon Degrelle et que sa mère avait préparé un “gefillte fisj” pour une fête de communion. Il était présenté sur le menu comme un “Poisson orientale”[sic], pour que les nazis qui étaient présents ne sachent pas qu’ils mangeaient un plat juif. […] Lorsqu’Hannah, âgée de dix-huit ans, vit dans le journal l’annonce d’une femme de Rhode-Saint-Genèse qui recherchait une jeune servante, elle saisit sa chance. Même en sachant qu’elles étaient juives, Madeleine Degrelle prit quand même chez elle Hannah, sa cousine et sa mère. Jusqu’à sa mort au début des années quatre-vingt-dix, Madeleine continua à correspondre en toute discrétion avec Hannah. » (De Standaard, 13 octobre 2017).

léon degrelle,lutti,madeleine degrelle,henri cornetLe temps du bonheur chez les Degrelle à Bouillon. Cette photo de toute la fratrie rangée en ordre ascendant d’âge a été prise le même jour que la photographie précédente. On reconnaît, de gauche à droite, Suzanne, Edouard, Louise-Marie, Léon, Madeleine et son époux Henry Cornet, Jeanne et son mari Charles Raty.

Pas de quoi écrire tout un livre, alors ? « Il m’est rapidement devenu clair que je ne devais pas seulement raconter l’histoire d’Hannah, mais également celle de ses sauveurs », décide Simone Korkus (De Standaard, 13 octobre 2017). Histoire rapportée par les quatre enfants encore en vie de la famille Cornet. Ce sont ces témoignages qui forment donc l’essentiel du récit des années de guerre de la jeune Hannah et de ses proches, protégées de tout danger par la sœur de Léon Degrelle.

 

A ce propos, relevons immédiatement que l'illustration de couverture du livre n'a rien à voir avec la condition réelle d'Hannah chez Madeleine Cornet-Degrelle: jamais elle ne fut astreinte de manière humiliante à se mettre à genoux pour récurer à la brosse de crin et à la brique de savon de Marseille des emblèmes nazis, d'ailleurs inexistants dans cette maison... Hannah reconnaîtra d'ailleurs la chance qu'elle eut de vivre ces années, là où elle les vécut, surtout lorsqu'elle compare son expérience aux récits d'autres: « Vous savez, après la guerre, j'ai entendu de terribles récits à propos de l'Holocauste, qui a causé des pertes inimaginables, et du calvaire des camps de concentration. Bien sûr, moi aussi, j'ai eu peur, mais je n'ai pas eu peur bien longtemps. Je n'ai connu ni la faim ni la douleur. Mon histoire était si insignifiante en regard d'autres, que je l'ai gardée pour moi. Je pense avoir aussi éprouvé de la honte. J'ai survécu dans des conditions relativement bonnes, là où tant d'autres ont péri. » (La Servante de Degrelle, p. 179).

 

Les récits des enfants Cornet que Simone Korkus a pu rencontrer se recoupent et se complètent, et nous intéresseront surtout en ce qu’ils éclairent les relations mouvementées entretenues par Henry Cornet et son épouse Madeleine avec Léon Degrelle. Voici notamment ce qu’en dit le fils cadet, en même temps qu’il trace un intéressant portrait de son oncle.

 

« Les liens entre mon père et l’oncle Léon n’étaient pas vraiment amicaux. Je pense que c’était une question de personnalité. Mon père était un homme calme et simple. L’oncle Léon était bruyant et éloquent. […] Je me souviens que peu après l’entrée en service d’Annie et Thérèse (car tels étaient les noms sous lesquels Hannah et Tony travaillaient chez nous), l’oncle Léon arriva en uniforme SS et déposa son arme dans le hall d’entrée [contrairement au témoignage d’Hannah de 2012, il est donc bien établi que Léon Degrelle fréquenta La Ribambelle pendant la guerre jusqu’au moins juin 1943, moment de l’incorporation de la Légion Wallonie dans la Waffen SS]. J’ai entendu monter le ton de mon père, et l’oncle Léon lui rétorqua quelque chose en hurlant. Lorsque mon oncle manifesta l’intention de partir, j’ai entendu mon père lui dire qu’il ne voulait plus jamais le voir entrer chez nous dans cet uniforme.

En toute honnêteté, j’étais alors un gamin et mon oncle me fascinait. Je ne pense pas qu’il fût antisémite. Je crois surtout qu’il détestait les Russes et le communisme. Je trouvais ses récits de guerre tout à fait passionnants ; il nous racontait son combat sur le front de l’Est, en tant que simple soldat, qui lui avait valu la Ritterkreuz, soit la plus haute distinction possible dans l’Allemagne nazie [octroyée le 25 février 1944 : Léon Degrelle visitait-il donc encore le domicile de sa sœur Madeleine à ce moment ? voir ci-après]. Aux yeux de l’enfant que j’étais, cet homme-là était bien plus intéressant que mon propre père qui, dans le fond, n’était jamais que simple directeur d’usine. » (p. 172).

 

léon degrelle,lutti,madeleine degrelle,henri cornetVoici le Léon Degrelle tel que le fils cadet d’Henry Cornet a pu le voir après qu'il eut reçu des mains d’Adolf Hitler la Croix de Chevalier de la Croix de Fer, le 25 février 1944.

 

Le second fils d’Henry et Madeleine ajoute : « Après sa confrontation avec l’Eglise catholique [l’excommunication du 19 août 1943, voir ci-après], l’oncle Léon n’est plus jamais venu. Je me souviens de la tristesse de ma mère, à qui il manquait. Elle adorait son petit frère, et resta d’ailleurs en contact avec lui. » (p. 177).

 

Cette proximité entre Madeleine et son frère Léon Degrelle est d’ailleurs confirmée par le fils aîné des Cornet, en même temps que la sécheresse des rapports entre son père et son oncle : « Selon le fils aîné, Madeleine était déchirée entre l’amour qu’elle portait à son petit frère Léon et celui, teinté de loyauté, qu’elle éprouvait pour son mari. De temps en temps, Léon les avait aidés, surtout lorsqu’ils avaient des ennuis avec le nouvel ordre allemand. Mais il n’y avait aucune forme d’amitié entre son frère et son mari ; tous deux demeuraient poliment à distance l’un de l’autre. Leur attitude réciproque se dégrada progressivement. Lorsqu’en août 1943, l’Eglise catholique excommunia Léon, Henri jugea que la coupe était pleine. Il ne voulait plus jamais voir son beau-frère. […] Monsieur Cornet se racle la gorge : “Le monde n’était pas aussi clair, pas aussi structuré que vous l’imaginez peut-être. Certes, l’oncle Léon était le leader de Rex, mais il était aussi cet oncle qui nous contait des récits d’aventures, et un frère plein d’amour pour notre mère”. » (p.192)

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Léon (17 ans) et Madeleine (19 ans), le jour de la Communion solennelle de leur sœur cadette Suzanne, en 1923.

 

On l’a vu, la gouvernante des enfants Cornet, Hannah, n’a que peu de détails à donner sur sa vie dans la propriété du créateur des toffées Lutti à Rhode-Saint-Genèse. Juste l’anecdote du Gefillte Fisch, un plat juif présenté comme un « poisson oriental » à des nazis…

 

Comme souvent dans les récits de juifs racontant les vicissitudes de leur vie de guerre marquée par le tragique de la traque, de la planque, de la persécution, de la déportation, il y a l’un ou l’autre épisode marqué au coin du merveilleux, voire du miraculeux. Ce sera ici le service, –présenté sinon comme une bravade, du moins comme une plaisanterie effrontée–, d’un plat typiquement juif à l’occasion de la Première Communion du fils puîné de la famille Cornet. Notons qu’entre les articles de journaux cités ci-avant et la version néerlandaise du livre, les souvenirs se sont précisés. Ce plat n’est plus servi régulièrement aux « nazis qui étaient présents » ou « lorsqu’à certaines occasions des nazis venaient à passer ». En effet, aurait-il été crédible qu’Henry Cornet, cachant chez lui, en plus des trois domestiques juives, un parachutiste canadien et un réfugié italien, reçoive quelque nazi que ce soit ? Surtout que lorsqu’un problème avec les autorités d’occupation se posait, c’est à l’oncle Léon qu’on s’adressait (mais sans garantie absolue de succès !). Ainsi au retour de l’exode en France, la famille retrouve-t-elle sa maison « occupée par des officiers allemands » : « Ma mère garda un calme olympien et se contenta de dire à mon père : “Viens, on va dire un mot à Léon”. Et cela a suffi. » (p. 191). Ou lorsque le curé de leur église fut arrêté pour faits de résistance : « Maman a supplié l’oncle Léon d’intervenir, mais celui-ci lui a répondu qu’il ne pouvait rien y faire, car cette affaire était entre les mains des SS et le curé avait déjà été déporté en Allemagne. » (p. 207). C’est aussi l’ombre tutélaire de Léon Degrelle qui protégea sa sœur Madeleine arrêtée pour s’être fournie au marché noir : « Maman devait faire une partie de ses achats au marché noir, car ces trois juives, de même bien sûr que le Canadien qui se cachait dans le grenier, n’avaient pas de bons de rationnement. L’opération était périlleuse. Si on l’arrêtait, elle devrait expliquer pourquoi elle avait besoin d’une telle quantité de nourriture. Et un jour, c’est bien ce qui se produisit. Maman fut arrêtée par la police au beau milieu du marché, et emmenée au commissariat. J’ignore comment elle s’en est sortie. Peut-être a-t-elle lâché, comme en passant, le nom de son frère ; peut-être l’officier faisant fonction a-t-il d’emblée reconnu la sœur de Degrelle. Une heure après, elle était relaxée. » (p. 197).

 

Difficile d’imaginer donc que les Cornet puissent recevoir des « nazis » à leurs fêtes familiales. Leurs prétendus nazis, finalement, se révéleront n’être que les membres du cercle familial dont tout le monde sait que la plupart sont rexistes (par simple attachement familial naturel avec Léon Degrelle, d’ailleurs !). Pourtant, en 2012, Hannah établissait bien la différence entre la famille et les « nazis », puisqu'elle affirmait que les parents n'étaient venus que « deux ou trois fois » et Léon « jamais », tandis qu'il arrivait, « à certaines occasions » que des « nazis » fussent reçus et régalés alors du poisson juif...

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Poursuivant la tradition bouillonnaise, Madeleine Cornet-Degrelle et son mari Henry, aimaient ponctuer les grands événements de l’année par des banquets réunissant toute la famille. Ils reçoivent ici, après-guerre, sans doute début des années cinquante, toute la famille à l’occasion d’une communion. Madeleine et Henry se trouvent à l’avant-plan, de part et d’autre de la table. Les sœurs de Léon sont bien entendu également invitées (on reconnaît Louise-Marie et Susanne, debout, ainsi que leurs maris).

 

Mais est-il vraisemblable qu’ait été servi à cette tablée catholique ce plat typiquement juif à l’occasion d’une fête aussi importante qu'une Première Communion ? Comme il s’agit pratiquement de la seule anecdote piquante, l’auteur, Simone Korkus, la développe au long de quatre longues pages, allant jusqu’à proposer la recette tirée d’une sorte de « Curnonsky » casher, rapportant l’exultation d’Hannah, fort peu charitable ou reconnaissante en l'occurrence : « Pouvez-vous imaginer à quel point il était drôle, pour nous, de voir ces invités belges, dont plusieurs étaient rexistes, manger ce “Poisson oriental” [nous supposons qu’elle veut dire “Poisson à l’orientale”], qui n’était rien d’autre que du gefillte Fisch, un plat typique des Pâques juives [nous supposons qu’il faut lire “de la Pâque juive”] ? Ils ont même complimenté madame Cornet pour sa cuisine exquise. » (p. 199) Précisons quand même que le seul souvenir d’en avoir goûté chez des amis en Israël « donne encore la nausée » à Simone Korkus ! (p. 200)…

 

Outre qu’il n’aurait de toute façon guère été prudent de servir un tel plat dans de telles circonstances, la vraisemblance de l’anecdote est remise en question dans le livre même par le recoupement de tous les témoignages.

 

C’est ainsi qu’Hannah, contrairement à ses propos de 2012, déclare, à l’appui de cette « action d’éclat » : « [Ma mère] préparait tous les repas, y compris les dîners pour les grandes occasions, le déjeuner de Pâques, le dîner de Noël et de la nouvelle année. Les jours de fête, il arrivait que les parents de Madeleine, et plus rarement encore ses frères et sœurs, lui rendent visite. » (p. 197).

 

Or, selon les souvenirs unanimes des enfants Cornet, dans ces occasions, la cuisinière, sa fille et la cousine devaient justement rester cachées : « Quand il y avait des invités, ou des fêtes auxquelles étaient conviés des rexistes (mes propres grands-parents, mes tantes et l’oncle Léon l’étaient), mes parents cachaient ces trois juives dans la cave [ce qui explique sans doute qu’Hannah n’ait jamais vu Léon Degrelle, comme elle le dit en 2012]. » (p. 176). « Et lorsque bon-papa et bonne-maman débarquaient (toujours à l’improviste !), avant d’ouvrir, Madeleine courait jusqu’à la cuisine et envoyait les trois femmes à la cave. Ensuite, elle servait elle-même le thé, prétextant que ses servantes étaient en congé ce jour-là. » (p. 178).

 

Hannah elle-même en convient ingénument dans son interview à Simone Korkus : « [Hannah] était terrifiée et angoissée, chaque fois que débarquait la famille rexiste de Madeleine, et qu’elles devaient se cacher dans la cave. Mais cela n’arrivait pas bien souvent, et les Cornet ne recevaient que peu d’amis. » (p. 184).

 

L’auteur se garde d’ailleurs bien d’interroger les enfants de Madeleine (à commencer par le communiant lui-même, le fils puîné) sur la réalité de cette anecdote qui eût pu leur laisser un souvenir culinaire ému (ou rappeler celui de leurs parents)… Sans doute ne l’a-t-elle pas fait à cause de cette autre anecdote fantasmagorique censée provoquer le même effroi chez le lecteur que celui qu’elle prétend avoir éprouvé. C’est en vain que Simone Korkus voulut vérifier sa réalité auprès du fils aîné de Madeleine.

 

hannah nadel,simone korkus,madeleine cornet-degrelle,henry cornet,lutti« Le lendemain matin, on demanda à Hannah de nettoyer la salle à manger. Elle décrocha du mur le grand portrait officiel de madame Cornet, pour l’épousseter correctement. Elle passa une peau de chamois sur le verre qui recouvrait le portrait, et le retourna, pour en nettoyer aussi la face arrière. Elle eut la peur de sa vie. Derrière le portrait de Madeleine se trouvait celui, grandeur nature [nous supposons qu'il faut lire « en pied »], de Léon Degrelle. “Mes genoux se mirent à trembler. Un peu plus tôt, ce jour-là, j’avais déjà trouvé deux petits coussins portant la vignette de la couronne, de l’épée et de la croix. Le symbole des rexistes [il n'y a pas d'épée dans l'emblème dessiné par Richard Krack pour les éditions Rex de Léon Degrelle et Mgr Picard, en 1929, et qui demeura pour représenter le mouvement placé sous le signe du Christ-Roi].  Choquée, j’avais réalisé que nous, des juives, nous nous trouvions dans une demeure dangereuse, et que notre peau foncée et nos cheveux bouclés trahiraient inévitablement notre véritable identité”. (p. 182).

[…] Traversant un vaste séjour, [le fils aîné de Madeleine et moi-même, visitant l’ancien « La Ribambelle » en février 2013,] nous arrivons à la salle à manger, un espace tout en longueur, quelque peu déprimant, dont chaque côté est rythmé de hautes fenêtres. […] On pouvait aussi y voir des portraits et des toiles anciennes. Peut-être est-ce ici qu’Hannah a découvert le portrait de Degrelle ? Le fils aîné hausse les épaules. Il ne se souvient pas de ce portrait. » (p. 193).

 

Voilà qui est clair, mais osons quand même encore deux petites réflexions nous incitant à douter de la réalité de l’anecdote. Pourquoi Hannah aurait-elle eu la peur de sa vie, dès le lendemain de son engagement, en découvrant la photo d’un homme qu’elle ne connaissait pas et n’avait jamais vu, mystérieusement cachée au dos d’un portrait ? Portait-il l’uniforme allemand (mais pas celui de la SS) ? Mais Hannah n’évoque que le très catholique « symbole des rexistes » comme élément horrifique… Ensuite, pourquoi Madeleine Cornet aurait-elle caché puérilement la photo de son frère bien-aimé alors que celui-ci était toujours le bienvenu chez elle (et figurait sans aucun doute sur d’autres photos de famille) ?

 

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Peut-être ce précieux portrait de la jeune Mme Madeleine Cornet-Degrelle –huile sur toile peinte par son beau-frère, le peintre paysagiste des Ardennes Albert Raty, également portraitiste renommé– est-il celui que dut épousseter la jeune Hannah le lendemain de son arrivée à « La Ribambelle » ? Si c’est le cas, à notre connaissance, il n’a en tout cas jamais caché de photo de Léon Degrelle à l’arrière de son cadre… Ni ne comportait sans doute non plus de verre de protection à nettoyer à la peau de chamois : une huile sur toile n’est pas une aquarelle, un pastel ou un fusain…

 

Voilà l’essentiel de ce qu’Hannah, la jeune juive engagée par la famille Cornet, a pu raconter sur sa vie pendant la Seconde Guerre mondiale à la journaliste néerlandaise Simone Korkus. En parlant des souvenirs que lui ont confiés les enfants Cornet, celle-ci émet ce jugement fort pertinent, sans se douter qu’il est manifestement taillé sur mesure pour ceux, fantasques, d’Hannah : « Les témoignages humains ne sont pas fiables. Les souvenirs sont moins une restitution de la vérité des faits, que la narration du récit que nous nous sommes conté à nous-mêmes des faits auxquels nous avons assisté. » (p. 168).

 

Mais que dire des « informations » que Simone Korkus se permet de donner sur Léon Degrelle pour l’édification de ses lecteurs ? « [Léon Degrelle] menait une guerre ouverte contre l’Angleterre, l’élite belge, l’Eglise catholique et les juifs » (p. 166) ? La seule « guerre ouverte » que Léon Degrelle ait menée, les armes à la main au sein d'une armée régulière, s’il est encore besoin de le rappeler, c’était contre l’Union soviétique bolchévique. S’il n’aimait pas du tout les dirigeants britanniques (au premier rang desquels Churchill qu'il rencontra en avril 1938 et qu’il décrit dans Persiste et signe « gras, rose, déplumé, assez inculte, sentant le cigare et l’alcool davantage encore » p. 184), il ne se battit jamais contre les Anglais.

 

Ni contre « l’élite belge », à moins que Simone Korkus n’entende par là les banksters politico-financiers corrompus spoliant les citoyens belges et parasitant leur politique et leur économie : ils furent effectivement la cible principale du tribun rexiste avant-guerre.

 

léon degrelle,lutti,madeleine degrelle,henri cornetNi contre l’Eglise catholique, lui qui fut un catholique pratiquant jusqu’à son dernier souffle (sur les sentiments religieux de Léon Degrelle, voir ce blog, notamment au 31 mars 2019). Et si son excommunication (sous un fallacieux prétexte) fut l’occasion de la prise de distance décidée par son beau-frère Henry, elle ne changea rien à sa foi religieuse. Mais le récit que se permet d’en faire la journaliste est, quant à lui, hautement fantaisiste.

 

« Le 25 juillet 1943, à Bouillon, Léon Degrelle avait assisté à la messe d’adieu d’un ami décédé, vêtu de l’uniforme SS. Lorsque le doyen lui avait indiqué que selon la conférence épiscopale de 1940, il était formellement interdit de porter un uniforme à l’intérieur d’une église, le petit Führer, comme l’appelaient alors les Belges, n’eut d’autre réaction que de le rouer de coups. Quoique l’excommunication fût levée un peu plus tard par les Allemands (Degrelle, en tant qu’officier allemand, tombait sous la juridiction de l’évêché allemand), je pense que cette affaire restait inconfortable, pour ne pas dire inacceptable pour Madeleine et Henri. » (p. 192).

 

Rappelons que Léon Degrelle n’assistait nullement à une « messe d’adieu d’un ami décédé », mais à la messe dominicale du dimanche 25 juillet 1943. Que Léon Degrelle portait son uniforme réglementaire d’officier. Que le doyen ne lui a pas spontanément donné la raison pour laquelle il refusait de lui donner l’eucharistie alors qu’il était agenouillé sur le banc de communion. Que l’attitude du doyen ne répondait pas à une interdiction de « la conférence épiscopale de 1940 », mais s’appuyait sur une interprétation spécieuse des instructions du cardinal Joseph Van Roey du 13 mai 1941 prescrivant au clergé de refuser la communion à « des hommes ou des jeunes gens appartenant à quelque faction politique » qui s’approcheraient « de la Sainte Table en se livrant par là à une manifestation, par exemple en le faisant en uniforme » (étaient donc clairement visés les uniformes de partis politiques et non les uniformes militaires réglementaires : Le Cardinal van Roey et l’occupation allemande en Belgique, p. 93). Que Léon Degrelle (et pas « le petit Führer », dénomination inusitée par les « Belges d’alors ») n’a nullement entrepris de « rouer de coups » le doyen de Bouillon. Que l’excommunication ne fut pas levée par « la juridiction de l’évêché allemand », mais par l’aumônier de la Légion, l’abbé Louis Fierens, le 7 novembre 1943 et confirmée par Mgr André-Marie Charrue qui fera lire sa décision le 8 décembre 1943 en chaire de la cathédrale de Namur.

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Quant à la « guerre ouverte contre les juifs », elle relève plus du fantasme qui doit aujourd’hui frapper tout collaborateur du IIIe Reich que de la réalité (voir ce blog au 30 novembre 2019). Retenons seulement ici le témoignage du fils cadet de Madeleine et Henry Cornet : « En toute honnêteté, j’étais alors un gamin et mon oncle me fascinait. Je ne pense pas qu’il fût antisémite. » Ce que n’a cessé de rappeler le principal intéressé après la guerre, tout en conservant son indispensable esprit critique.

 

Ainsi ne manque-t-il pas de souligner que nombre de banksters qui furent dans le collimateur de ses campagnes contre la corruption dans les années 30 étaient juifs : Gaston Philips « qu’on disait juif par-dessus le marché », « le fameux escroc international, le juif Julius Barmat » gouverneur de la Banque Nationale, « le ministre d’Etat [Louis] Franck, grand Juif velu » (Duchesse de Valence, pp. 141, 294, 297). Ce qui n’a jamais fait de Léon Degrelle un criminel, comme il le rappelle dans ses interviews à Jean-Michel Charlier : « Question. – Et les juifs ? Réponse. – Là encore mon cas a été le cas de beaucoup d’autres qui se sont vus accusés sans preuve quelconque de mille méfaits anti-juifs. Pendant des dizaines d’années, ce fut la toute grande mode. Je connais donc la chanson. On a même un jour fixé un chiffre : des juifs, j’en avais fait tuer deux millions ! […] Dans mon cas, il n’y eut ni deux millions de juifs molestés, ni deux cents, ni un seul. Zéro, absolument zéro. Jamais je n’ai touché à un poil de quelque Israélite que ce fût, en Belgique ou hors de Belgique. » (Persiste et signe, p. 388).

 

En ce qui concerne plus précisément ce qu’il est convenu d’appeler l’ « Holocauste » commis par le IIIe Reich, nous avons déjà présenté la circonspection de Léon Degrelle dans le livre écrit dans les années 1960 qu’il choisit finalement de ne pas publier, De Rex à Hitler (voir ce blog au 25 janvier 2016). Il n’éludera pourtant pas non plus cette question dans les interviews de 1976 destinées à la télévision française, tout en soulignant sa totale ignorance durant toutes les années où il combattit pour la Nouvelle Europe (cette méconnaissance totale de ce génocide est d’ailleurs aussi celle exprimée –sans qu’il soit possible qu’ils se soient concertés– par l’unanimité de tous les responsables nationaux-socialistes qui y furent confrontés) : « Quant à moi qui, durant trois années, n’avais jamais été qu’en première ligne sur le front de l’Est, je n’ai personnellement pris conscience de la réelle situation de ces prisonniers que durant les dernières semaines de la guerre, en 1945, quand retraitant avec mes hommes, nous nous sommes trouvés suivre le même itinéraire que les déportés d’un camp que les Allemands évacuaient, devant l’avance des Russes. » (Persiste et signe, p. 335).

 

Pour quitter ce sujet sensible, nous rappellerons que Léon Degrelle et les rexistes étaient suffisamment peu antisémites pour accueillir en leurs rangs des juifs. L’un d’eux, J. Marber, s’engageant même parmi les Volontaires du deuxième contingent partis le 10 mars 1942 pour la croisade contre le bolchevisme. Ce courageux militaire ne fut démobilisé qu’au passage à la Waffen-SS et revint au pays où, loin d’être inquiété de quelque façon, il travailla pour la police allemande à Liège. F.K. Gruber le rencontra encore, après la guerre, au cours des années soixante, dans un magasin de sports bruxellois (Nous n’irons pas à Touapse, p. 141).

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Au cours des entraînements éprouvants au camp de Meseritz, le Schütze (soldat) Marber, Wallon et juif, offre avec un sourire crispé aux enfants du village le spectacle des soins aux douloureuses blessures de ses pieds : que sera-ce au cours de la Vormarsch vers le Caucase ?...

 

Le principal mérite du livre de Simone Korkus sur le destin d’Hannah Nadel, « servante de Degrelle », est de pouvoir évoquer l’histoire inconnue d’une branche de la famille de Léon Degrelle, le plus fameux et controversé des Belges du XXe siècle. En l’occurrence celle de sa sœur aînée, Madeleine qui épousa Henry Cornet, devenu riche grâce aux fameux caramels Lutti qui tout en constituant la friandise préférée des petits Belges, régala tout au long de la guerre les Légionnaires engagés volontaires au Front de l’Est dans la croisade contre le bolchevisme (F.K. Gruber évoque à plusieurs reprises ces bonbons qui garnissaient abondamment les colis des Bourguignons : Nous n’irons pas à Touapse, pp. 140, 172, 176,…).

 

L’auteur essaie d’opposer radicalement les deux hommes en ce que Léon combattit pour que triomphe l’Ordre nouveau, tandis qu’Henry cachait chez lui trois juives et un aviateur canadien. Mais étaient-ils pour autant ennemis ? Comment eussent-ils pu l’être, brûlant tous deux de la même foi catholique, même si elle s’exprimait différemment. Simone Korkus écrit : « Madeleine et Henri étaient de fervents catholiques. Ils se rendaient à l’église au moins une fois par semaine, peut-être même y allaient-ils tous les matins. Ils récitaient le Notre Père avant et après chaque repas, et achevaient leur journée par un Je vous salue Marie, prononcé devant une Vierge à l’enfant. » (p. 157). Elle nous apprend aussi qu’Henry Cornet a financé l’église Notre-Dame Cause de notre Joie, située au bout du parc entourant leur propriété de « La Ribambelle » (« c’était presque une église privée » précise le fils aîné Cornet, ce qui explique du coup la facilité avec laquelle furent acceptées les domestiques juives de Madeleine par les voisins : « Une fois par semaine, nous nous rendions à la messe, essentiellement pour paraître les plus normales possible et éviter que ne naissent les soupçons. » (p. 185)

 

Mais la pratique religieuse des Cornet donnait paradoxalement aux relations familiales un caractère austère, sinon janséniste, comme en témoigne la fille cadette : « On se parlait à peine. Nous menions une vie très sobre, et nos relations étaient froides en apparence ; mais je sentais que mes parent m’aimaient. Ce comportement était lié à notre foi, qui nous invitait à l’humilité, à la retenue et à la tempérance. Notre vie était rythmée par la prière. » (p. 178)

 

Tout autre est la pratique religieuse de Léon Degrelle détachée des rigorismes institutionnels tout en induisant exigence de pureté, apostolat et joie de vivre : « L’Eglise d’avant 1940 était trop souvent l’Eglise des nantis. Au surplus, dans de nombreux pays, la Belgique en tête, un parti catholique, généralement peu alléchant, se laissait compromettre dans de sordides scandales financiers, sous le couvert des ostensoirs et des chasubles. […] Pour moi, Dieu c’est tout. Les Eglises, les clergés sont des courroies de transmission. Ils ne sont pas l’essentiel, ils aident à atteindre l’essentiel. […] C’est à Dieu que je voulais amener les foules, et non pas à une machinerie religieuse dont je connaissais de près, à la fois, les imperfections et la nécessité. J’avais sous le nez le spectacle du cardinal de Malines, pour qui un incroyant était un monstre. Pour moi, un incroyant était un frère. L’apostolat, tel que je le concevais, était à l’opposé de cette mentalité d’Inquisition. […] Une âme, c’est un jardin inviolable. Il ne faut l’aborder qu’avec tendresse, et non en lansquenet d’une foi dont l’intransigeance blesserait et serait, d’ailleurs, non-sens et profanation. Si on vous invite dans ses ombrages secrets, il faut y avancer sur la pointe des pieds, savoir qu’en face de soi, on a peut-être une conscience beaucoup plus haute que la sienne. Quelle joie cependant si on peut, par sa conviction, faire passer sa joie dans le cœur des autres ! » (Persiste et signe, pp. 51-54).

 

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L’aumônier allemand de la Légion Wallonie (officiellement Wallonische Infanterie-Bataillon 373 de la Wehrmacht) donne la communion au Leutnant Léon Degrelle, à l'occasion de la messe clôturant la prise d'armes du 4 juillet 1942. Lors du passage à la Waffen SS, l’Oberleutnant Degrelle batailla durement avec le Reichsführer Heinrich Himmler lui-même, entre autres, pour conserver un aumônier catholique à ses hommes. Du jamais vu à la SS ! Cette photo suffit pour montrer la mauvaise foi partisane du doyen Poncelet de Bouillon.

 

Quant à l’engagement politique différent d’Henry Cornet, membre à partir de juillet 1943 (soit justement au moment de l’incident de l’excommunication de Léon) du mouvement de résistance Les Insoumis, peut-on croire un seul instant qu’il eût provoqué la rupture définitive avec l’homme de conviction qu’était Léon Degrelle, inébranlablement attaché à tous les rameaux de sa famille ?

 

« Les valeureux soldats de la Brigade Piron, les vrais Anciens combattants de 1940 et les Résistants qui n’étaient pas les affidés des Soviets savent parfaitement que eux et nous avons été les seuls à faire concorder courageusement les idéaux et les faits, alors que, pendant toute la guerre, des millions de trouillards se terraient chez eux, incapables de se sacrifier au service de leur pays. […] Les soldats sincères, les résistants sincères ont préféré, nombreux, nous tendre la main. Eux et nous, malgré tout ce qui nous a opposés, nous sommes en fait des camarades. » (Persiste et signe, p. 424).

 

Grâce au livre de Simone Korkus, nous avons appris que la « rupture » entre Henry et Léon était surtout due à la différence d’exercice de leur foi catholique. Soumission aveugle à l’Eglise institutionnelle de la part d’Henry Cornet (acceptant sans autre réflexion l’excommunication de son beau-frère) ; conscience des limites de l’Eglise institutionnelle mais volonté d’incarner sa foi dans ses œuvres de la part de Léon Degrelle. Comme il le dira à Jean-Michel Charlier : « la justice sociale vivait en moi parce que vivait en moi la passion de la justice tout court et l’élan vers la fraternité que le Christ a apportée aux hommes. » (Persiste et signe, p. 65).

 

Mais, du coup, cette rupture a nécessairement pu cesser avec la levée de cette excommunication. Surtout que cette rupture s’était accompagnée de l’engagement dans le mouvement de résistance « Les Insoumis » et que cet engagement n’a manifestement pas suffi pour éviter à sa famille l’opprobre de poursuites judiciaires dans le cadre de la « Libération » épuratoire. « Les Cornet sont des héros, mais ils ont été jugés et condamnés par leurs concitoyens », écrit la biographe de la jeune juive Hannah, protégée par les Cornet (p. 16).

 

Nous pouvons en effet déduire des renseignements que Simone Korkus met à notre disposition qu'Henry Cornet multiplia les démarches susceptibles de protéger sa famille. Ainsi, dès octobre 1945, Henry Cornet se fait délivrer par le commissaire de police de sa commune Rhode-Saint-Genèse, un «certificat de bonne vie et mœurs» pour l’aider sans doute à convaincre les épurateurs de les laisser tranquilles, lui et sa famille. Mais cela ne fut apparemment pas suffisant car, le 8 janvier 1948, il sollicitait un certificat de l’Office de la Résistance (Ministère de l’Intérieur) attestant avoir été membre du mouvement de résistance « Les Insoumis » entre juillet 1943 et la fin de la guerre (p. 167).

 

C’est l’époque où, faute de pouvoir exécuter le condamné à mort par contumace Léon Degrelle, la justice hystérique des vainqueurs décide de se venger sur toute sa famille, arrêtant ses parents, son épouse, ses sœurs, leurs enfants, confisquant leurs biens, les condamnant à des amendes folles (100 millions de francs belges pour le seul Léon Degrelle !), les emprisonnant, les torturant, les laissant mourir sans soins, assistance religieuse ou familiale, ni la moindre pitié.

 

C’est ainsi que sa Maman Marie, arrêtée dès 1945 et traînée dans les prisons de Saint-Gilles, Liège et Namur, échoue parmi les prostituées de la prison d’Arlon avant d’être enfermée dans un asile pour vieillards, gardée par des gendarmes. Souffrant d’un cancer des intestins, elle rend le dernier soupir en bénissant son fils le 23 octobre 1947, âgée de 79 ans.

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La joie insouciante de la Maman de Léon Degrelle et de ses petits-enfants : ils seront les victimes innocentes de la haine inextinguible autant qu’impuissante des vainqueurs pour le proscrit réfugié en Espagne.

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La Maman de Léon Degrelle gît dans la cellule de l’hospice où elle était retenue : le petit crucifix posé sur sa poitrine lui a été offert par Léon Degrelle depuis l’Espagne, grâce à la valise diplomatique dont bénéficiait son ami phalangiste Luis Salgado, ancien officier de la División Azul. C’est par la même voie que ses sœurs lui firent parvenir, en même temps que cette relique sacrée, une mèche de cheveux de la martyre et quelques-unes des fleurs déposées sur son lit. Leur courrier précise qu’au moment de sa mort, sa Maman serrait ce crucifix sur son cœur, bénissant son fils et lui offrant ses souffrances.

 

C’est ainsi que son Papa Edouard, 76 ans, condamné à dix ans de prison, 250.000 francs d’amende et la mise sous séquestre de tous ses biens, meurt à son tour d’épuisement et de chagrin, dans l’isolement le plus complet, quatre mois à peine après le décès de son épouse, le 11 mars 1948.

 

L’épouse de Léon Degrelle, Marie-Paule Lemay, est, quant à elle, arrêtée en juin 1945, mise au secret pendant un an et condamnée à dix ans de prison et deux millions de francs d’amende pour avoir été la présidente du service social de la Légion Wallonie, Solidarité Légionnaire (voir ce blog au 8 août 2017).

 

Ses sœurs sont également poursuivies et emprisonnées d’office sans le moindre jugement. C’est ainsi que Suzanne et son mari, Joseph Lamoral, sont arrêtés puis libérés sans explication, mais l’interdit professionnel frappera longtemps leur famille.

 

Même l’épouse d’Edouard, le frère pharmacien de Léon, assassiné le 8 juillet 1944, Ghislaine Marchand, sera inquiétée.

 

Quant à Louise-Marie, elle passera 18 mois en prison pour avoir été membre de Rex (son mari, Hector Massart, fonctionnaire des Eaux et Forêts, sera révoqué de ses fonctions, après 15 mois de détention).

 

Jeanne, ancienne inspectrice générale du mouvement rexiste féminin, sera condamnée à deux ans de prison par le Conseil de guerre de Bruxelles. Ses deux filles, Suzanne et Marie-Thérèse, seront également arrêtées pour avoir été membres de la Jeunesse Légionnaire, tandis que son mari, Charles Raty, directeur comptable de Rex, mourra à 48 ans des mauvais traitements subis en prison : l’aumônier de la prison de Saint-Gilles le retrouve sans vie le 1er août 1948, baignant dans une mare de sang (selon le témoignage de son codétenu Paul Jamin, le dessinateur du Pays réel, obligé de nettoyer les lieux, « La cellule était pleine de sang, jusqu’au plafond »).

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Autre photo d’une réunion familiale d’après-guerre chez Madeleine Cornet-Degrelle : on reconnaît, de gauche à droite, Madeleine, Joseph Lamoral et son épouse Suzanne, Hector Massart et son épouse Louise-Marie.

 

Il ne fait donc guère de doute qu’Henry Cornet a dû batailler pour éviter qu’il ne soit davantage inquiété ainsi que son épouse Madeleine, coupables du simple fait d’appartenir à la famille désormais maudite de Léon Degrelle. Mais le sort ignominieusement injuste qui frappa celle-ci ne brisa nullement les liens forts qui les unissaient. C’est d’ailleurs ce que rapporte Simone Korkus : « Selon Hannah, Madeleine a assisté aux procès de tous les membres de sa famille. La mort de ses parents l’avait détruite. […] Du jour au lendemain, de nombreux neveux et nièces se retrouvèrent logés à La Ribambelle. Henri et Madeleine Cornet avaient pris en charge tous ces enfants. Certains étaient encore tout petits et ne savaient rien de l’engagement politique de leurs parents. Henri refusa d’accueillir les enfants de Léon Degrelle. Ils furent placés par l’assistance sociale. » (pp. 259 et 263).

 

Que par prudence, et au moment où la famille Degrelle était victime d’une véritable hystérie collective (motion du Conseil communal de Bouillon en juillet 1947, campagne de presse contre la « légèreté » des condamnations du père et des sœurs de Léon Degrelle), Henry Cornet ait préféré ne pas recevoir ostensiblement les enfants du proscrit est compréhensible. Mais il fut loin de les abandonner à leur sort, c’est-à-dire à une « assistance sociale », institution officielle qui leur aurait été plus que certainement hostile.

 

En réalité, ils furent sauvés par Henry Cornet qui les confia à l’assistante sociale de sa confiserie Lutti, c’est-à-dire à Elisabeth de Beaulieu, une personne de confiance. Celle-ci s’efforça de leur trouver des familles d’accueil au sein de l’entreprise, même si cela ne se passa pas toujours sans anicroche. L’aînée Chantal –douze ans à l’époque– se confiera ainsi à un journaliste français au début des années 1990 : «  Un oncle des enfants [de Léon Degrelle] fabricant de bonbons bien connu en Belgique, n’ose pas recueillir les enfants mais les place dans diverses familles, parmi ses ouvriers. Quel accueil ! Chantal se souvient qu’on lui lance : “Votre père ? Je lui cracherais dessus si je le voyais !” » (Pierre Rigoulot, Les Enfants de l’épuration, p. 432).

 

Mais c’est aussi ce qui permettra à la grand-mère maternelle, Jeanne Lemay-Caton, de les reprendre chez elle et les inscrire sous son nom dans l’école d’une petite municipalité en Dordogne où elle possédait une résidence secondaire.

 

Par la suite, Léon Degrelle restera en relation épistolaire régulière avec sa sœur Madeleine qui lui rendit visite à plusieurs reprises en Espagne, assistant même, dans les années soixante au mariage de ses filles. Nous ignorons si Henry l’accompagnait, mais à en juger par le ton des lettres, les relations entre Léon et Henry étaient redevenues cordiales.

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Madrid, le 13 novembre 1978.

Bien chère Madeleine,

Je profite d’une visite pour t’envoyer ce petit souvenir très affectueux. C’est vrai. Il n’est pas de jour où ma pensée n’aille vers toi, avec beaucoup d’attachement. J’ai beaucoup admiré ton courage à aller encore à Lourdes et j’ai beaucoup admiré aussi ton uniforme d’infirmière ! Qui m’a montré que ta foi et ton dynamisme allaient de pair. Notre chère Maman en eût fait autant ! Elle a dû être fière de te voir du haut du ciel.

Je t’envoie, pour tes étrennes, une photo que je trouve profonde. Mets-la dans un tiroir après, si elle t’encombre, mais tu m’auras vu tel que je suis maintenant, vieux, certes, mais avec le même cœur en pensant à vous.

Bon courage ! Heureux Noël à tous ! Je vous embrasse tous tendrement, Henry, toi, et –c’est le cas de le dire– toute la « ribambelle ».

Léon

 

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