Degrelle. Qui suis-je ? Par Francis Bergeron, éditions Pardès, 2016, 125 pages

 

X. « Si j’avais un fils… » Que savons-nous des relations entre Adolf Hitler et Léon Degrelle ?

« C’est lors de ce rendez-vous du 25 août 1944 (ou de cette semaine-là…) que le Führer lui aurait déclaré : “Si j’avais un fils, je voudrais qu’il fût comme vous.” On ne trouve pas trace de ces propos dans les archives du Reich. L’interprète de Hitler, Paul Otto Schmidt, ne la rapporte pas non plus. Mais on sait néanmoins que Hitler a dit de lui à Himmler qu’il était “le seul vrai Belge utilisable”. Formule d’ailleurs plus ambiguë que flatteuse. » (Bergeron, p. 76)

Si le doute honore l’historien, est-il vraiment nécessaire de stigmatiser l’absence de preuve matérielle documentant la phrase historique d’Adolf Hitler, le 25 août 1944 (qu’à la page 106 – sans conditionnel, cette fois –, Francis Bergeron situe le 20 février ; la remise des "Feuilles de Chêne"se fit en réalité le 27 août), au risque de faire passer Léon Degrelle, sinon pour un menteur, du moins pour un « vantard » (ce que Francis Bergeron n’exclut d’ailleurs pas, aux pages 12, 30, 73, 76, 79, 102, 103) ? Pourquoi alors ne pas mettre en doute aussi l’accueil du Führer serrant la main de Léon Degrelle dans les deux siennes (fait rare méritant d’être souligné) le 20 février précédent, avec un « Vous m’avez donné tant d’inquiétude ! » dans la droite ligne et préfigurant le « Si j’avais un fils, je voudrais qu’il fût comme vous » ? C’est d’ailleurs au plus fort des combats de Tcherkassy qu’Adolf Hitler fit câbler, le 9 février 1944, au Generalleutnant Theobald Lieb commandant le 42e Corps d’Armée, un télégramme s’inquiétant du sort de Léon Degrelle…

 

Auparavant, Adolf Hitler n’avait rencontré qu’une seule fois Léon Degrelle, mais cette rencontre fut décisive. Si seul ce dernier a fait part de ses vives impressions (« ce fut une entrevue foudroyante […], il y eut entre nous cette interpénétration de forces émettrices et réceptrices, bien supérieures, en des cas précis, à l’intelligence, plus intenses aussi, plus profondes et surtout plus mystérieuses » Charlier, p. 181), nous savons que le Führer également fut impressionné. « Je n’ai jamais vu de tels dons chez un garçon de cet âge », confia-t-il à Joachim von Ribbentrop qui le répéta à Pierre Daye. C’est d’ailleurs ce qui lui fit répondre à un Degrelle lui demandant, dans une lettre personnelle du 10 avril 1941, de se « mettre à [sa] disposition, sur les champs de bataille » et « de connaître le destin militaire de [sa] jeunesse héroïque », qu’il ne pouvait accepter sa demande « pour des raisons de principe » : « vous êtes indispensable pour votre activité politique » (Cahiers d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, 1978, p. 168).

L’authenticité et le caractère durable de l’impression intense produite par cette première rencontre se sont d’ailleurs constamment vérifiés, par exemple lors de l’annonce de l’assassinat de Degrelle par la soldatesque française à Abbeville, Hitler frappa son bureau du poing en s’exclamant « Cet homme [Léopold III] ne remontera jamais sur son trône ! » (Charlier, p. 251). Il fut à ce point peiné qu'il ne put s'empêcher d'évoquer la mort de Léon Degrelle avec l’ambassadeur d’Italie, Dino Alfieri, venu présenter ses lettres de créance, le 31 mai 1940 : « Abordant les dernières nouvelles, le Führer déclara que, ce qu’il avait appris au sujet de l’exécution de Degrelle, avait été confirmé par un Danois, qui avait assisté à cette exécution. […] Ces chefs nationalistes et rexistes étaient, du reste, non seulement des têtes bien faites, mais aussi des patriotes possédant un cœur et un esprit. Eux anéantis, les démocraties humanistes perdaient leur meilleur sang et couraient
elles-mêmes à leur propre perte d’une manière barbare. » (Andreas Hillgruber, Les Entretiens secrets de Hitler, p. 134).

Le Völkischer Beobachter consacra, au début juin, tout un reportage au massacre de Léon Degrelle et le journaliste suisse Georges Oltramare fut invité à Radio-Berlin pour lui consacrer une émission d’hommage.

Autre manifestation de l’importance qu’a Degrelle aux yeux du Führer : après avoir rencontré Franco à Hendaye (23 octobre 1940) et Pétain à Montoire (24 octobre), Hitler avait convoqué Léopold III à Yvoir, non loin de son quartier-général de Brûly-de-Pesche, le 27 octobre. Mais avant de discuter avec lui de l’avenir de la Belgique, c’est avec Léon Degrelle qu’il voulait parler, le 26 octobre. L’annonce de l’entrée en guerre de l’Italie contre la Grèce obligea Hitler à foncer vers Munich, le Brenner et Florence pour essayer de dissuader le Duce de ses plans funestes, et fit donc capoter cette rencontre (Jacques de Launay, Histoires secrètes de la Belgique, 1975, pp. 215 sv.).

Ce qui n’empêcha pas Adolf Hitler de considérer toujours Léon Degrelle comme son plus loyal ami. La formule « Belge utilisable » (« einzig wirklich brauchbare Belgier ») que Francis Bergeron trouve « plus ambiguë que flatteuse » gagne ainsi à être replacée dans son contexte.

C’est après le fameux discours du 17 janvier 1943 où Léon Degrelle rappelle et affirme la germanité des Wallons qu’Adolf Hitler – qui connaissait parfaitement les thèses du Prof. Franz Petri, de l’Université de Cologne, sur l’appartenance de la Wallonie et du Nord de la France à l’espace culturel germanique (voir Libre propos sur la guerre et la paix, t. 2, p. 98) – fit donner l’ordre à von Ribbentrop (et non à Himmler), le 31 janvier 1943, « d’employer tous les moyens pour soutenir Degrelle, car il est pour nous le seul Belge vraiment utile ». à comparer avec le jugement cinglant que le Führer porta sur Léopold III qu’il accepta finalement de recevoir à Berchtesgaden le 19 novembre 1940 : « Nous avons commis une fameuse sottise, que je porte au compte de mes erreurs. J’aurais dû le traiter comme un prisonnier de guerre » !... (Jacques de Launay, La Belgique à l’heure allemande, p. 95).

Même l’historien antidegrellien Martin Conway  est obligé de convenir qu’à partir de ce moment, « [les] plans à long terme [de Hitler] évoluent dans une direction favorable à Degrelle. » (Degrelle. Les années de collaboration, p. 195). Ce que confirme effectivement le projet de restauration de la Grande Bourgogne sous la direction de Léon Degrelle (voir ci-après Chapitre 11).

Si donc, nous ne disposons pas d’enregistrement permettant d’entendre Adolf Hitler adresser cette fameuse phrase à Léon Degrelle, nous comprenons aussi que rien ne permet de la mettre en doute.

Lors de la remise du Ritterkreuz, le 20 février 1944, Joseph Goebbels – qui n’assista pas à la rencontre au quartier-général de Rastenburg – note dans son Journal l’impression considérable produite sur le Führer par l’héroïsme au Front du Wallon et fait un parallèle horrifié avec le défaitisme affiché à Tcherkassy par de hauts gradés allemands (« Seydlitz und seiner Clique » ! Pour Goebbels, le général Seydlitz ayant proposé la reddition des troupes du Reich encerclées à Tcherkassy était la pire tache sur l’honneur du drapeau allemand ; il l’oppose à Léon Degrelle et aux Wallons, « d’un esprit et d’une tenue prodigieuses »). Joseph Goebbels insistera à plusieurs reprises sur l’effet produit par le héros de Tcherkassy sur Adolf Hitler : « J’apprends en outre que Degrelle a produit la meilleure impression sur le Führer. […] On m’a encore rapporté du Führerhauptquartier que Degrelle s’est comporté avec une bravoure exceptionnelle dans les combats du Kessel. Il n’a vraiment pas reçu son Ritterkreuz du Führer pour rien ; il l’a mérité loyalement par son courage personnel et l’intelligence de sa conduite. […] Degrelle – comme on me le redit encore – a produit une grande impression sur le Führer. » (Die Tagebücher von Joseph Goebbels, Partie II, vol. 11, Saur, pp. 316 à 330).

La rencontre du 27 août n’est malheureusement pas chroniquée dans son journal par un Goebbels tout absorbé par les conséquences de l’attentat manqué du 20 juillet et par les mesures encore à prendre pour réaliser pleinement la « Guerre totale ». Mais nul doute – comme en témoignent les reportages cinématographiques – que la réception de Léon Degrelle par le Führer pour la remise des « Feuilles de Chêne » fut tout aussi, si pas encore davantage, chaleureusement émouvante : à nouveau Hitler avait tenu à remettre personnellement ses distinctions au héros du front d’Estonie et avait envoyé tout spécialement son Fieseler Storch pour le ramener auprès de lui…

Et si Paul Otto Schmidt ne rapporte pas non plus cette fameuse phrase, cela ne veut pas dire grand-chose car ses mémoires (Sur la scène internationale. Ma figuration auprès de Hitler. 1933-1945, Plon) ne documentent que les rencontres diplomatiques ou les entretiens avec chefs d’état ou têtes couronnées. Pour l’année 1944, il ne rapportera que les conversations avec le maréchal Ion Antonescu, Conducator de Roumanie, l’amiral Miklos Horthy, régent de Hongrie, et Benito Mussolini (rencontre du 20 juillet, jour de l’attentat manqué).

Il s’agit, bien sûr, d’un choix éditorial car Paul Otto Schmidt n’a pas travaillé pour le Führer que dans ces seules circonstances. C’est ainsi qu’il n’a pas manqué de souligner, dans une interview à un hebdomadaire belge, la nature particulière des relations entre Léon Degrelle et Adolf Hitler : « Je me souviens fort bien de Degrelle, qui vint rendre visite au Führer à deux ou trois reprises. Votre compatriote était un des rares individus qui ne tremblaient pas en présence du dictateur. Il y allait avec fougue et ne craignait pas de couper la parole au maître du IIIe Reich. Celui-ci avait un faible pour Degrelle : il l’appelait le “jeune homme” ou le “gamin”… » (Pourquoi Pas ?, 21 septembre 1962, pp. 37-39)

Faut-il voir dans « gamin » une évocation du « fils » ? Nous apprenons en tout cas ainsi de source sûre que, pour parler de Léon Degrelle, Hitler employait des termes marquant, sinon un certain paternalisme, du moins un attachement certain. Par la même occasion, nous avons aussi la confirmation que si Léon Degrelle « ne parlait pas allemand » (Bergeron, p. 73), il le comprenait suffisamment pour ne pas hésiter à « couper la parole au maître du IIIe Reich » !...

À propos de « Si j’avais un fils… », nous conclurons alors avec Francis Bergeron « rien n’interdit non plus de penser [que Hitler] l’ait dit » (p. 73). Ce d’autant plus, – nous venons encore de le voir –, que Léon Degrelle pouvait très bien comprendre l’allemand et que cette phrase, toute d’affectueuse émotion ne s’adressant qu’à lui seul, n’avait certainement pas vocation à être hurlée à travers tout le Reich…

 

 

 

(A suivre)