Bergeron n’a pas raison : Tintin-Degrelle, c’est pas du bidon !
Le 8 octobre 2015, l’hebdomadaire Rivarol publiait une interview de Francis Bergeron par Robert Spieler sous le titre « La géopolitique de Tintin, de son père Hergé, de leur confesseur [sic], l’abbé Wallez, passée au crible », à propos de son nouvel essai Hergé, le voyageur immobile. Dans cette interview, l’auteur, spécialiste du « politiquement correct », remettait à nouveau en question la réalité du rôle de modèle physique, moral et politique joué par Léon Degrelle dans la conception par Hergé de son héros Tintin.
Une réponse relativement brève a été immédiatement envoyée à Rivarol.
Sans réaction de sa part après tant de semaines, nous supposons bien que la rédaction ne compte y donner aucune suite, estimant peut-être le sujet sans grande importance. Nous le regrettons d’autant plus que, ce faisant, l’hebdomadaire de l’opposition nationale et européenne pourrait donner à penser qu’il n’agit pas autrement que tous ceux qu’à bon droit, il dénonce pour leur peu de cas manifesté pour la vérité historique.
Nous n’avons donc d’autre possibilité pour rectifier l’affront fait à Léon Degrelle, mais aussi à Hergé qui toujours se montra fidèle –même dans la discrétion– à ses engagements idéologiques, que de publier cette réponse circonstanciée par la voie d’Internet.
Se réclamant des « tintinophiles nationalistes » (Rivarol, 8 octobre 2015, p. 11), Francis Bergeron compte parmi les rares spécialistes de Hergé n’appartenant pas à la mouvance de la dictatoriale Fondation Hergé. Il n’empêche qu’à propos des origines de Tintin, il se rapproche curieusement des thèses « négationnistes » de celle-ci à propos de l’influence –pourtant déterminante– de Léon Degrelle sur le créateur du futur héros des « jeunes de 7 à 77 ans ».
Aussi, si dans notre titre, nous pastichons le fameux slogan célébrant le Professeur Robert Faurisson, c’est qu’il est des évidences qui ont bien des difficultés à se faire admettre, même parmi ceux qui devraient se réjouir de la bonne nouvelle de la constance idéologique de Hergé à travers tous les aléas de sa vie et de son absolue fidélité en amitié, toutes deux abondamment illustrées par sa relation à Léon Degrelle [1].
Contrairement aux « révisionnistes » qui, s’en tenant scrupuleusement aux faits vérifiables et vérifiés et analysant rigoureusement les textes et témoignages, ont débarrassé de leurs mythes et affabulations l’histoire écrite par les vainqueurs de 1945, obligeant ceux-ci à concevoir des lois liberticides pour les protéger, l’auteur du Dictionnaire commenté de livres politiquement incorrects, par sa lecture entachée de partis pris, n’aboutit qu’à un résultat devant réjouir les biographes politiquement corrects d’un Hergé incolore, inodore et insipide.
***
De prime abord réfractaire à l’identification de Léon Degrelle avec Tintin dans sa biographie de Hergé (« Degrelle soutiendra avoir en fait inspiré Tintin. C’est sans doute vrai, mais dans une très relative mesure […]. Tintin est le contraire de Degrelle quant au caractère […]. Degrelle présenterait peut-être davantage de ressemblance avec le capitaine Haddock qu’avec Tintin ») [2], il ne concède aujourd’hui, dans l’interview qu’il donne à Robert Spieler à propos de son nouvel ouvrage Hergé, le voyageur immobile [3] publiée le 8 octobre 2015 dans Rivarol, qu’à peine davantage (absence désormais de référence au capitaine Haddock !) et du bout des lèvres : « Alors disons que oui, Tintin, c’est Degrelle. Un peu. »
Mais quels sont les arguments à l’appui de cette restriction ? Et sont-ils pertinents ?
1. Cette identification ne serait que fort récente: « Le tintinophile Olivier Mathieu et Degrelle lui-même dans son album post-mortem Tintin mon copain ont ensuite accrédité l’idée que les aventures de Tintin racontaient en fait les aventures de Degrelle. […] Degrelle lui-même, jusqu’à l’ouvrage d’Olivier Mathieu, publié en 1990, De Léon Degrelle à Tintin, ne revendique jamais cette filiation. Dans son très long entretien avec Jean-Michel Charlier (publié en 1985), Degrelle parle d’Hergé, mais il n’évoque pas non plus cela. »
Non seulement Léon Degrelle revendique bien sa filiation avec Tintin dans « son très long entretien avec Jean-Michel Charlier », préparatoire au « Dossier noir » Autoportrait d’un fasciste qui devait être diffusé à la télévision française en 1978, mais il le fait d’une manière tout à fait anecdotique, comme s’il s’agissait d’une évidence de notoriété publique : « Dès l’instant où j’ai sauté avec mon gourdin sur tous ces salauds, j’ai vu se dresser contre moi le cardinal Van Roey, brandissant sa crosse. La situation était presque comique parce que, précisément, peu avant, il venait de préfacer un bouquin à moi, une Histoire de la guerre scolaire, ouvrage aux parrains originaux puisque la couverture portait, en dehors de mon nom, “Préface du cardinal Van Roey”, archevêque de Malines, et ensuite, “Illustrations de Hergé”, le brave Hergé, Remy [sic] Georges, grand copain, le père de Tintin l’universel affublé de mes pantalons de golf. » [4]
Léon Degrelle, en 1927 (dessin d'Albert Raty), en 1928 et au début des années '30.
Léon Degrelle n’a donc pas attendu l’article d’Olivier Mathieu [5], en 1990, pour évoquer la réalité de l’inspiration de Hergé à propos de Tintin. Notons d’ailleurs que si le livre de Charlier a été publié en 1985, il retranscrit des entretiens enregistrés en 1976: la confidence a visiblement échappé à son auteur, tant elle lui est naturelle. C’est Jean Mabire qui la reprendra après la publication de 1985, dans un article envoyé à Léon Degrelle (récemment retrouvé dans ses archives) provoquant sans doute ainsi l’écriture de Tintin mon copain afin de lever toute équivoque [6]. Ecrire sur ce sujet avant le décès de son ami en 1983 –c’est-à-dire révéler, alors que la persécution des prétendus « inciviques » ne connaît pas de fin, l’indéfectible engagement de Hergé auprès de ceux, au Soir notamment, qui voulaient édifier l’Europe nouvelle– n’était tout simplement pas envisageable : comme Léon Degrelle l’explique dans Tintin mon copain, « Dans mon refuge, je n’allais pas compromettre un vieux frère comme Georges, qui avait déjà fort à faire pour désherber dans ses albums les quelques nez crochus que la “Résistance” avait dénichés à la loupe ! » (p. 195).
Francis Bergeron l’a bien compris aussi, qui explique dans Rivarol que la non-réédition des Soviets ou les réécritures des albums de Tintin participent à un souci identique d’éviter les ennuis politiques : « après la guerre, […] l’album [Tintin au pays des Soviets] resta caché […] par crainte d’une campagne contre Hergé et son œuvre. Compagnon de route du mouvement rexiste (sans y avoir jamais adhéré [7]), ayant continué à publier sa bande dessinée dans Le Soir, quotidien bruxellois qui paraissait sous contrôle de l’occupant allemand, arrêté plusieurs fois en 1944, et ayant même passé une journée en prison, Georges Remi alias Hergé était régulièrement mis en cause dans la presse communiste et socialiste, et son éditeur Casterman n’avait pas envie de se retrouver en butte à une campagne contre cette série qui, par ailleurs, constituait la locomotive de ses productions. […] D’autres albums ont connu des changements (Tintin au Congo, Le Crabe aux pinces d’or, L’Etoile mystérieuse etc.), parfois liés à des nécessités pour l’exportation des albums, et parfois aussi pour s’éviter des campagnes hostiles ».
Voilà pourquoi Léon Degrelle n’a pas claironné à tous vents son rôle dans la naissance de Tintin du vivant de Hergé: les quelques allusions connues ne furent qu'accidentelles. Par ailleurs, avoir inspiré Hergé n’était certes pas le principal titre de gloire devant l’Histoire pour le Commandeur de la Division Wallonie, chevalier de la Croix de Fer avec Feuilles de Chêne, en qui Adolf Hitler reconnut le fils qu’il eût aimé avoir ! Il n’a rappelé cette péripétie dans Tintin mon copain que pour rendre hommage à son ami décédé et à sa fidélité à leur idéal commun de société d’épanouissement personnel et communautaire et de justice économique et sociale.
2. Le modèle de Tintin, c’est le frère de Hergé, Paul Remi : « Mais Hergé, qui n’a jamais caché son admiration pour Degrelle […] a souvent expliqué que, pour Tintin, il s’était inspiré de son jeune frère, Paul. »
Si, à propos de Tintin, Hergé a parlé de son frère, c’était pour souligner son
caractère turbulent : « sa carrière a souffert de ce qu’il a souvent fait le Tintin, c’est-à-dire qu’il a rué dans les brancards, s’est frotté à plus fort que lui, n’a pas toujours respecté la règle du conformisme en vigueur à l’armée ». Mais cette ressemblance ne fut pas voulue : « Inconsciemment, j’ai en effet repris ses attitudes, ses gestes, dans les premiers épisodes. Tintin, dans Les Soviets, c’est tout à fait lui, mais je ne m’en rendais pas compte… » [8]
C’est dans ses entretiens avec Numa Sadoul enregistrés en octobre 1971 que Hergé a ainsi précisé la place anecdotique de son frère dans la genèse de Tintin, sans évoquer, –très probablement par simple prudence–, le vrai rôle de Léon Degrelle (il ne le fera pas non plus, à deux reprises, lorsqu’il rappellera le choc produit sur lui par les bandes dessinées américaines envoyées par Degrelle du Mexique) [9], alors qu’il le proclamera haut et fort dans une autre interview en 1975 : « J’ai découvert la bande dessinée grâce à… Léon Degrelle ! Celui-ci, en effet, était parti comme journaliste au Mexique et il envoyait au “Vingtième Siècle”, non seulement des chroniques personnelles, mais aussi des journaux locaux (pour situer l’atmosphère) dans lesquels paraissaient des bandes dessinées américaines. J’ai découvert ainsi mes premiers comics » [10].
Son frère Paul ne joue donc aucun rôle délibéré dans la conception de Tintin, au contraire du personnage dont il devra bien endosser la responsabilité, celui du méchant « colonel Sponsz […] manifestement Allemand, avec son petit côté Erich von Stroheim. C’est d’ailleurs une caricature de mon propre frère. » (p. 129).
Il n’apparaît donc guère raisonnable, pour le modèle de Tintin, de mettre en balance Paul, la tête brûlée, et l’idéaliste antibolchevique Léon Degrelle.
3. Et voici le scoop : « Mais un autre reporter, presque aussi haut en couleur que le Degrelle de l’époque, a sans doute inspiré également Hergé pour son personnage de Tintin, c’est Robert Sexé.
Robert Sexé fut un extraordinaire explorateur des routes du monde entier, à moto, et le collaborateur de Moto-Revue, avec son ami Marc Augier, lui aussi féru de moto. Dans un livre consacré à Robert Sexé, et intitulé Robert Sexé au Pays des Soviets, l’auteur Janpol Schulz, montre que la couverture de Tintin au pays des Soviets est la quasi-reproduction d’une photographie de Robert Sexé prise sur la Place Rouge de Moscou en 1925. Or à l’époque, Robert Sexé avait une moto belge Gillet, et il envoyait ses reportages au Vingtième siècle. A l’évidence, Hergé a utilisé des photos de Robert Sexé publiées dans le Vingtième siècle pour créer Tintin au pays des Soviets. Pendant son tour du monde, en 1926, Sexé traverse les Etats-Unis, et Tintin en Amérique semble s’être inspiré de photos de ce voyage-là, également. Sexé a beaucoup voyagé dans les Balkans. Et Hergé semble avoir utilisé cette documentation pour les costumes, dans Le Sceptre d’Ottokar. Qui plus est, Sexé s’est rendu à Bruxelles dans le cadre de ses tours d’Europe à moto. Il est passé dans les locaux du Vingtième siècle, et il y a sans doute rencontré Degrelle et son voisin de bureau, Hergé.
Plus étonnant encore : lors de beaucoup de ses déplacements, Sexé était accompagné d’un mécanicien qui était aussi son ami, du nom de René Milhoux. Ce Milhoux-là était un champion et recordman de vitesse à moto de l’époque… Or il faut noter que, dans ses premiers albums, Tintin pilote très souvent des motos, alors qu’on ne le voit jamais conduire une voiture.
Finalement, Robert Sexé aurait pu avoir autant de raisons que Léon Degrelle, sinon davantage, de revendiquer d’avoir servi de modèle pour Tintin. »
Rappelons que l’interview de Francis Bergeron effectuée par Robert Spieler pour Rivarol, concerne son nouvel ouvrage Hergé, le voyageur immobile, mais que nulle part dans ce livre, il n’est question de Robert Sexé, occupant pourtant un bon quart de l’entretien. Il s’agit donc d’un élément tout à fait nouveau que Francis Bergeron verse au dossier de son obsession antidegrellienne (rappelons que dès sa première biographie, il entendait dénoncer tous « ceux qui ont voulu du mal à Hergé (ainsi que Degrelle lui-même […] [11]) ») !
Les « révélations » de Francis Bergeron se fondent sur un livre relativement ancien, de 1996 (réédition numérique augmentée en 2012), Robert Sexé au pays des Soviets [12], préfacé par rien moins que Philippe Goddin, secrétaire général de la Fondation Hergé. Ce seul nom eût dû alerter Francis Bergeron, car Goddin, trop heureux d’évacuer toute référence sulfureuse à un « nazi », ne peut que s’amuser des coïncidences entre les deux destins (Sexé est un reporter globe-trotter assoiffé d’aventures, voyageur chez les Soviets dès 1925 et acteur de plusieurs raids en Europe et autour du monde, qui aurait été l’ami d’un « mécanicien » nommé Milhoux), ce qui en ferait un « pré-Tintin » idéal : « Robert Sexé (qu’accompagna plus d’une fois un mécanichien… pardon ! un mécanicien nommé Milhoux) était donc incontestablement un Tintin d’avant Tintin. Un reporter dynamique, entreprenant et courageux dont, peut-être, les articles et les photos étaient tombés sous les yeux du jeune dessinateur Hergé. Qui sait si un jour, on ne découvrira pas la photo de Robert Sexé dans les archives conservées à la Fondation Hergé ? »
Mais il semble bien que rien ne doive réunir dans les faits les deux hommes car ni dans sa monumentale Chronologie d’une œuvre [13] (2000), ni dans sa biographie Lignes de vie [14] (2007), Goddin ne cite jamais le nom de Robert Sexé [15].
Reprenons dans l’ordre les arguments de Francis Bergeron en faveur de Robert Sexé :
- « la couverture de Tintin au pays des Soviets est la quasi-reproduction d’une photographie de Robert Sexé prise sur la Place Rouge en 1925 ».
Le seul point commun est la silhouette de la cathédrale de Basile le Bienheureux à l’arrière-plan. Sur la couverture de l’album, Tintin, nu-tête et en costume de moujik, est à droite, de face ; sur la photo de Sexé, un personnage de dos, affublé d’une casquette et d’un gros caban, part vers la gauche (pp. 155 et 187)… Mais la silhouette de cette église emblématique de Moscou se trouve également sur une autre photo où les participants au raid posent devant elle avec leurs motos (p.140) : les deux clichés présentent le même arrière-plan. Quant à parler d’une « quasi-reproduction » de la photo sur la couverture de l'album de 1930... Même les contours de la cathédrale sur l’album de Tintin ne correspondent exactement à aucune des deux photos …
Nous pensons, quant à nous, que la couverture reprend en fait la silhouette qui a permis à Tintin de s’apercevoir qu’il atteignait Moscou (planche 64 de Tintin au pays des Soviets, publication du 22 août 1929) : notons surtout bien que Tintin n’arrive nullement en vue de la cathédrale de Basile le Bienheureux en moto, mais au volant d’une voiture de course monoplace ! (voir l’importance de ce détail ci-après).
- « Robert Sexé […] envoyait ses reportages au Vingtième siècle. A l’évidence, Hergé a utilisé des photos de Robert Sexé publiées dans le Vingtième siècle pour créer Tintin au pays des Soviets […] Tintin en Amérique […] Le Sceptre d’Ottokar. »
Nous avons épluché les collections du XXe Siècle (le titre redessiné par Hergé devient le vingtième siècle à partir de 1929), de 1924 à 1930 et jamais aucun article de Robert Sexé ni aucune de ses photos n’y ont été publiés. Il semble bien –comme on peut le constater dans l’ouvrage de Janpol Schulz– que les reportages de Robert Sexé étaient plutôt réservés au magazine Moto Revue qui les publiait en feuilletons. Ce qui ne veut pas dire que le journal catholique bruxellois –à l’instar des autres grands quotidiens belges– ne se faisait pas l’écho des raids de Robert Sexé dans sa rubrique Motocyclisme, comme par exemple le 7 août 1924 (« Un beau raid (Paris-Constantinople) »), le 20 septembre 1926 (« Le tour du monde de deux motocyclistes ») ou le 11 octobre 1928 (« De Paris à Bucarest en passant par… l’Océan Arctique et Varsovie »), mais sans jamais aucune photo.
Il est donc pour le moins téméraire d’affirmer avec un aplomb que rien ne justifie : « Qui plus est, Sexé s’est rendu à Bruxelles […]. Il est passé dans les locaux du Vingtième siècle, et il y a sans doute rencontré Degrelle et son voisin de bureau, Hergé. » On peut être assuré que si cela avait été le cas, le quotidien en eût profité pour publier une interview exclusive du motocycliste ayant poussé l’aventure chez les Soviets, comme ce fut le cas, par exemple, pour Joseph Douillet, auteur du Moscou sans voiles qui servit de documentation à Hergé, dont le passage à Bruxelles permit au XXe Siècle de publier une grande interview dans ses éditions du 9 mai 1928 [16]. En tout cas, le nom de Sexé n’apparaît nulle part dans les nombreux écrits de Léon Degrelle ni, semble-t-il, dans les archives de Hergé…
- « Sexé était accompagné d’un mécanicien qui était aussi son ami, du nom de René Milhoux. »
Après avoir postulé que Robert Sexé a servi de modèle à Tintin, il était quasiment miraculeux de découvrir un contemporain appartenant aussi au monde de la moto, travaillant pour la firme de motos Gillet-Herstal et portant l’homonyme « Milhoux » ! Mais il n’est pas le mécanicien de Sexé et ne l’a jamais accompagné dans ses raids. En 1924, le raid Paris-Constantinople-Paris était composé de Robert Sexé, Maurice Krebs et un certain Dumoulin, la même équipe que l’année suivante pour le raid Paris-Moscou-Paris. En 1926, c’est Henri Andrieux qui accompagnera le globe-trotter dans son tour du monde et ses futurs périples.
Quant à René Milhoux, qui remplit bien les colonnes sportives du XXe Siècle de ses exploits, c’est dans les courses de vitesse et d’endurance ou les Grands Prix de tous les pays européens qu’il faut le chercher : plus de trois cents victoires entre 1925 et 1936 !
Que Robert Sexé et René Milhoux se soient rencontrés et connus grâce à Gillet-Herstal est vraisemblable. Ce qui l’est moins, ce sont les histoires qui se multiplient depuis le décès de ces deux champions [17]. Il n’est pas jusqu’au « témoignage » du petit-fils de René Milhoux, Renaud, qui ne tente de donner une assise historique au prétendu destin de l’homonymie de son grand-père avec le compagnon à quatre pattes de Tintin, au risque d’éclipser pour la postérité les formidables exploits sportifs de son aïeul, leur préférant une relation fantasmagorique avec l’univers de Hergé.
« This is how my late grandfather told me this story: My late grandfather, Rene Milhoux, was a very famous Belgian motorcycle champion and speed record holder during the 20’s and 30’s. He was regularly in the press as in those days what he did made big news. One of the newspapers that would recount his feats was “Le Vingtieme Siecle”, which as you know had a supplement called “Le Petit Vingtieme” for which Georges Remi (Herge) worked. At the same time “Le Vingtieme Siecle” was also regularly publishing photo reportages of a travel journalist called Robert Sexe, whose pictures were a direct inspiration for Herge’s first few stories of Tintin. Sexe and my grandfather had been introduced to each other by the owner of a motorcycle company, my grandfather was at the time riding for that company (Gillet de Herstal) and Mr. Sexe was traveling around the world on motorcycles and needed a technical adviser. They soon became friends and my grandfather helped him preparing his motorcycle for his round the world trips. Both men were on a regular basis in the news. On one occasion my grandfather was invited to the offices of “Le Vingtieme Siecle” for an exclusive interview [18], he was introduced to several people working there, one of them being Georges Remi, they had a little chat during which Herge asked my grandfather if he wasn’t too bothered that he had named the dog Milou after him, my grandfather found it quite amusing so of course had no objection. Remember that at that time Tintin wasn’t as big as it is now. Milou is male, small, brave and quite clever. My grandfather is (obviously) male, was small, brave (record breaker) and being an engineer I would say quite clever (also he regularly helped Mr Sexe out…). »
Et d’ajouter, –comme une preuve déterminante !–, que le surnom (occasionnel) de René Milhoux évoque aussi la couleur blanche du chien de Tintin: « According to Renaud, his grandfather was “sometimes called the ‘White Devil’ because he always wore white overalls for his record breaking events… another link to an impossibly white Snowy?” » [19].
- « il faut noter que, dans ses premiers albums, Tintin pilote très souvent des motos, alors qu’on ne le voit jamais conduire une voiture ».
Il faut n’avoir jamais lu les premiers Tintin pour affirmer pareille contre-vérité ! Dans les Soviets, Tintin pilote bien un side-car qu’il dérobe à la police berlinoise pour échapper aux « Schupos » (quatre cases avant de se fracasser maladroitement contre une borne : Sexé ou Milhoux eussent-ils conduit de la sorte ?), mais par la suite, il s’empare de la voiture de la police durant neuf cases (avant de se faire broyer par un train), puis voyage en draisienne et en canot à moteur, avant de retrouver une voiture de sport (53e planche du 18 juillet 1929 jusqu’à la 64e du 22 août 1929) : c’est à bord de ce bolide qu’il atteint d’ailleurs Moscou, snobant –n’en déplaise à Francis Bergeron– le deux-roues de Sexé ! Puis c’est un avion qui le ramène en Allemagne : il y achète une nouvelle voiture (135e planche du 24 avril 1930) pour retourner à Moscou, mais ratant un virage, il est précipité dans un train roulant vers… Bruxelles.
Il n’est évidemment aucunement question de moto dans Tintin au Congo où le héros ne sera au volant que de sa légendaire Ford T et, dans Tintin en Amérique, il faut attendre la 56e planche pour voir Tintin conduire un engin : un train ! C’est d’ailleurs la seule machine qu’il conduira au cours des 120 pages de l’aventure : là aussi il ne sera jamais question de moto… Dans l’album suivant, Les Cigares du Pharaon, il conduit en automobile les victimes du « poison qui rend fou » à l’asile d’aliénés, pilote un avion, puis une voiture de course à la poursuite du grand maître de Kih-Oskh : aucune moto non plus dans cet album. Dans la suite, Le Lotus bleu, Tintin quitte le Maharadjah de Rawhajpoutalah à bord d’un luxueux cabriolet, trompe les militaires Japonais à l’abri d’un de leurs véhicules blindés, avant de s’emparer d’une voiture de maître à la planche 104 : là aussi, aucune moto n’intervient dans le récit. Enfin, dans L’Oreille cassée, publiée du 5 décembre 1935 au 25 février 1937, il n’est jamais question non plus de moto : Tintin essaie d’échapper à la colère du Général Alcazar à bord d’une voiture civile avant de s’emparer du véhicule militaire qui le poursuit.
Au total donc, dans les six premiers volumes de ses aventures, Tintin aura piloté un side-car en tout et pour tout pendant quatre cases tandis qu’il aura conduit six véhicules automobiles à travers quelque 150 cases !
Cette époque marquant approximativement la fin des grands raids de Robert Sexé et de la carrière sportive de René Milhoux, nous n’irons pas plus loin dans l’examen des albums où on pourrait enfin voir Tintin enfourcher quelques motos (par exemple dans la scène d’anthologie du Sceptre d’Ottokar où les Dupondt en haillons entassés sur la selle du passager avec Milou, sont désarçonnés par la violence du démarrage de Tintin à la poursuite de terroristes bordures [20]).
Léon Degrelle en 1927, 1937 et 1944: l'étudiant idéaliste, le tribun révolutionnaire, le Chef de Peuple.
Nous pouvons en tout cas conclure que, même si Hergé, toujours à l’affût de documentation originale pour ses bandes dessinées, a pu voir des photographies de Robert Sexé (mais « à l’évidence » jamais « publiées dans le Vingtième siècle » !) et être séduit peut-être par la cathédrale de Basile le Bienheureux en silhouette pour symboliser Moscou dans le lointain lorsque Tintin y arrive en voiture, de même que pour fournir un arrière-plan intéressant pour la couverture de l’album publié en 1930, on ne peut certes pas prétendre que ce soit le monde de la moto qui l’ait particulièrement impressionné et inspiré de quelque manière pour les premières aventures de son héros !
D’ailleurs, ni Robert Sexé (qui porte des lunettes et frise la quarantaine quand naît Tintin !), ni René Milhoux n’étaient boy-scouts, n’étaient engagés dans l’action catholique, ne se signalaient par leur anticommunisme, la générosité de leur idéalisme social ou même, en 1928, par un engagement politique particulier [21] : dès lors, en quoi, contrairement à Léon Degrelle, eussent-ils pu inspirer le personnage flamboyant de Tintin (ou de son chien !!!) [22] ?
Armand Gérard.
[1] Voir Armand Gérard, Degrelle-Hergé, même combat, in Synthèse nationale n° 36, mai-juin 2014, pp. 70-101.
[2] Francis Bergeron, Georges Remi, dit Hergé, Collection « Qui suis-je ? », Pardès, 2011, pp. 37-38.
[3] Hergé, le Voyageur immobile. Géopolitique et voyages de Tintin, de son père Hergé, et de son confesseur l’abbé Wallez, Atelier Fol’fer, 2015.
[4] Jean-Michel Charlier, Léon Degrelle persiste et signe. Interviews recueillies pour la télévision française, Editions Jean Picollec, 1985, p. 71.
[5] De Léon Degrelle à Tintin, Retranscription du texte de la conférence prononcée le vendredi 26 octobre 1990, à 20 heures, à l’occasion de la première manifestation du CER (cercle d’étudiants révisionnistes), au 104, boulevard Bockstael, auditorium Bockstael, 1020 Bruxelles, édition à compte d’auteur, 1990.
[6] Voir Armand Gérard, Léon Degrelle était bien Tintin ! L’intuition première de Jean Mabire, in Magazine des Amis de Jean Mabire n° 45, Solstice d’été 2015.
[7] Ce non-encartage dans un parti politique que souligne Francis Bergeron ne signifie aucunement quelque tiédeur dans l’engagement idéologique de Hergé ou quelque réticence vis-à-vis du mouvement Rex. Car, plutôt que d’insister sur le fait que le dessinateur travailla pour un « quotidien bruxellois qui paraissait sous contrôle de l’occupant allemand » (ce qui était alors le cas de tous les journaux dans tous les pays occupés !), Bergeron eût été mieux inspiré de mettre en évidence le choix courageux et résolu de Hergé de participer activement au succès d’un journal repris par ses amis de jeunesse du scoutisme et de l’ACJB (Association Catholique de la Jeunesse Belge) –tout comme Léon Degrelle d’ailleurs– engagés dans le combat pour l’Europe nouvelle libérée de l’usure et de ses banksters (voir Armand Gérard, Degrelle-Hergé, même combat, op. cit.).
[8] Numa Sadoul, Tintin et moi. Entretiens avec Hergé, Flammarion, 2000 (première édition : 1975), pp. 11 (enregistrement des interviews, entre le 20 et le 26 octobre 1971) et 130 (citation concernant Paul Remi).
[9] Ibid., p. 32 et 119.
[10] La Libre Belgique, 30 décembre 1975. La différence entre les informations publiées par Numa Sadoul et celles du quotidien belge vient sans doute de ce que les premières sont destinées à se pérenniser dans un livre, tandis que celles d’un journal sont censées se perdre. Sadoul témoigne en effet : « Quand j’envoyai à Hergé le premier jet du texte et qu’il se mit à travailler dessus, l’enfer commença : à force de perfectionnisme, réécrivant tout, revenant sur les acquis, repartant sans cesse à zéro, peaufinant les idées, ciselant le style, il lui fallut bien trois années pour me livrer un manuscrit bon à imprimer ! » (p. 13).
[11] Georges Remi, dit Hergé, p. 35. Francis Bergeron a également écrit l’article Hergé et Degrelle : histoire d’un copinage, où il met en doute l’authenticité de Tintin mon copain, in Léon Degrelle. Documents et témoignages, sous la direction de Christophe Georgy, Cahiers d’Histoire du nationalisme, numéro 1, avril-mai 2014, Editions Synthèse nationale.
La Communauté des Anciens du Front de l’Est « Dernier Carré » (rassemblant les survivants de la Légion Wallonie dont Léon Degrelle fut le dernier Commandeur) a répondu point par point à toutes les allégations de Francis Bergeron : Correspondance privée n° 86, janvier 2015 (Boîte postale n° 76 – 1081 Bruxelles 8 – Belgique).
[12] Janpol Schulz, Sexé au pays des Soviets, Editions du Vieux Château, 1996. Réédition numérique augmentée du chapitre « Oui, Tintin a réellement existé », 2012 (www.lulu.com/fr)..
[13] Hergé. Chronologie d'une œuvre. Tome I, 1907-1931, Editions Moulinsart, 2000.
[14] Hergé, Lignes de vie, Moulinsart, 2007.
[15] Ce qui n’empêche Wikipedia, l’encyclopédie du savoir politiquement correct, d’affirmer : « Le secrétaire général de la fondation Hergé a admis qu'on pouvait facilement imaginer que le jeune Georges Remi ait pu être inspiré par les exploits médiatisés des deux amis, Sexé avec ses voyages et ses documentaires, et Milhoux avec ses victoires et ses records, pour créer les personnages de Tintin, le fameux journaliste globe-trotter, et de son fidèle compagnon Milou. » (www.wikipedia.fr in Les Aventures de Tintin).
[16] Moscou sans voiles (Neuf ans de travail au pays des Soviets), Paris, Spes, 1928. Ce livre fut donné à Hergé par le directeur du XXe Siècle, l’abbé Norbert Wallez. Profitant du passage de Joseph Douillet à Bruxelles, Le XXe Siècle publia une grande interview « La pourriture soviétique et la décomposition sociale. M. Joseph Douillet, l’auteur de “Moscou sans Voiles” nous dit ses impressions après une enquête remarquable en Russie », dans ses éditions du 9 mai 1928.
[17] C’est ainsi que la réédition numérique du livre de Janpol Schulz abandonne ses premières réserves, le site Wikipedia prend le mors aux dents dans ses affirmations (voir note 12) ou les commentateurs du XXIe siècle, tel Emmanuel Nadal, extrapolent à loisir : « Schultz présente en tout état de cause Robert Sexé comme une figure marquante des sports mécaniques de l’entre-deux-guerres (premier tour du monde à moto en 1926), et, en ce sens, une figure fort appréciée de la jeunesse, dont Hergé aurait pu connaître les exploits au moment de la création de son personnage. Par-delà l’anecdote, et si l’on veut bien adopter une lecture critique du contenu idéologique des premiers albums du reporter à la houpette [sic], à la lumière des engagements de Georges Rémi, radicalement marqués à droite, on ne s’étonne guère de cette inspiration : elle est aussi peut-être une des raisons pour lesquelles il fut facile, pour toute une frange de la jeunesse, de passer, avec la guerre, de la lecture du Petit Vingtième à celle du Téméraire » (Le versant de l’ombre : jeunesse, montagne et alpinisme chez Marc Augier (Saint-Loup). Une initiation politique, in Babel. Littératures plurielles, n° 8, 2003, n. 33).
[18] Nous n’avons trouvé aucune trace de cette interview de René Milhoux (ou de quelque autre entretien) dans le Vingtième Siècle au cours des cinq années qui suivirent la naissance de Tintin (10 janvier 1929)…
[19] Sur le site anglophone motorcycle-74.blogspot.be : « Rene Milhoux – How Tintin’s dog “Milou” got his name » (in Archives, 2011 > januari > Rene Milhoux).
[20] Episode publié dans le petit “vingtième” du 27 octobre 1938. Les avis sont partagés quant à la marque de la moto : « Certains voient en elle une FN, d’autres une Gillet d’Herstal. Soit. Peut-être. Quant à nous, nous ne voyons rien de bien précis. Montrez-nous un détail irrécusable et nous nous inclinerons. » (Jean-Marie Embs et Philippe Mellot, Revue de détails in Le Sceptre d’Ottokar, Les Archives Tintin, Editions Moulinsart, 2010, Préface, p. 17). À nouveau, l’épisode se termine par un accident, après huit cases seulement…
[21] Nous pouvons néanmoins apprendre que « Journaliste au Cri des Auberges de jeunesse, sportif passionné de moto, Robert Sexé était un érudit qui a sans nul doute laissé son empreinte sur la pensée politique [de Marc] Augier. Ils étaient de la même pensée, du même idéal. Leur grande amitié était née sur les routes au cours de nombreux raids qu’ils exécutèrent ensemble à moto, mais aussi dans les Auberges de jeunesse. Elle devait se poursuivre après l’aventure ajiste à La Gerbe et au Combattant européen, et survivre à la guerre et à l’exil. » (Jérôme Moreau, Sous le signe de la roue solaire. Itinéraire politique de Saint-Loup, L’Æncre, 2002, p. 49). Robert Sexé a effectivement collaboré à la revue La Gerbe qu’Alphonse de Châteaubriant publia entre juillet 1940 et août 1944, dont son ami Marc Augier (futur Saint-Loup) était rédacteur en chef : voir Pascal Ory, Les collaborateurs 1940-1945, Seuil, 1976, p. 166. L’abbé Louis-Alphonse Maugendre précise même qu’il faisait partie des rédacteurs du tout premier numéro de ce nouvel hebdomadaire paru le 10 juillet 1940 (L.-A. Maugendre, Alphonse de Châteaubriant. 1877-1951, André Bonne, 1977, p. 250). Mais cela ne veut rien dire quant à ses relations avec, ou son influence sur Hergé en 1928-29.
[22] Pour une analyse détaillée de l’influence réelle de Léon Degrelle sur la conception du personnage de Tintin, voir Léon Degrelle, Cristeros, Editions de l’Homme Libre (à paraître en 2016).