Fernand Kaisergruber (1923-2018), quatre ans déjà…
Destin d’un volontaire
In memoriam Fernand Kaisergruber
C’est sous ce titre que le bimestriel DMZ (Deutsche Militärzeitschrift) Zeitgeschichte (Magazine militaire allemand d’Histoire contemporaine) a publié, voilà déjà quatre ans, un hommage bien documenté à notre Président Fernand Kaisergruber pour annoncer son décès.
Pour célébrer le quatrième anniversaire de la disparition de Fernand, nous vous proposons la traduction de ce bel article signé par Pascal Van Der Sar et publié dans le numéro 34 de juillet-août 2018 de Zeitgeschichte.
Fondée en 2012, cette revue est spécialisée dans l’histoire des différentes formations de la Waffen-SS, sans les œillères du « politiquement correct » et de son terrorisme intellectuel.
C’était par un matin froid de février 2003 dans la ville thermale de Franconie, Bad Windsheim. Lentement la ville s’éveillait.
Sur la place près du cimetière se rassemblaient plus d’une centaine de personnes, des personnes âgées, pour la plupart chaudement vêtues. De temps en temps seulement apparaissait un visage plus jeune. Quelques mètres plus loin s’arrêta un autocar belge. Soudain de l’arrière du cimetière retentit la musique d’une fanfare traditionnelle. Et bientôt apparurent les musiciens sur la place devant le cimetière.
C’est ainsi que commençait, depuis de nombreuses années (mais jusqu’en 2004 seulement), la commémoration de Tcherkassy. Une réunion qui, depuis 1975, commémorait le fameux encerclement de février 1944 à Tcherkassy.
Après les mots de bienvenue des organisateurs arriva un monsieur âgé, vêtu d’un long loden vert. Il fut présenté comme le Camarade Kaisergruber.
Après qu’il eut prononcé calmement quelques mots très soigneusement formulés, les participants remarquèrent un très léger accent français. Après avoir décrit l’historique des événements en allemand a suivi une traduction en français. En effet, il s’agissait d’une personne avec un nom aux racines allemandes, un Wallon qui, depuis de nombreuses années, était le porte-parole des volontaires wallons du Front de l’Est.
Fernand Kaisergruber était né à Mortsel, près d’Anvers, le 18 janvier 1923. C’était le descendant d’une famille originaire de Styrie, ce qui contribuera à le faire condamner dans la Belgique d’après-guerre.
Après un séjour dans l’ancienne colonie belge du Congo, les parents de Fernand rentrèrent dans leur pays à Bruxelles. À l’âge de 13 ans et contre la volonté de ses parents, le jeune Fernand s’enthousiasma pour Léon Degrelle, le chef charismatique du mouvement REX. Ce courant politique reposait sur les piliers du christianisme catholique mais il militait aussi pour les intérêts nationaux et contre le danger d’une Europe soviétique.
Comme membre de la jeunesse rexiste, Fernand distribuait des tracts, collait des affiches ou vendait le journal du parti, Le Pays réel. Mais le père Kaisergruber voulait protéger sa famille en retournant au Congo plus sûr, avant que la « Drôle de guerre » entre le Reich allemand et la France ne dégénère, en mai 1940, en vraie guerre. Tous partirent donc de Bruxelles jusque dans le sud de la France, mais les autorités espagnoles ne leur permirent pas de franchir la frontière vers l’Espagne. Les Kaisergruber furent refoulés et restèrent jusqu’en septembre 1940 à Bordeaux. Entretemps la Belgique fut entièrement occupée par l’armée allemande et la famille rentra à Bruxelles : Fernand devait terminer ses études.
Fin mars 1941, Fernand décida de son propre chef d’aller dans le Reich allemand pour y trouver du travail. Il voulait surtout apprendre à connaître les Allemands et voir comment les gens et le pays étaient imprégnés des nouvelles idées politiques. Rétrospectivement, il constata : « Je n’étais pas un théoricien, ni un raciste ni un antisémite. Quand j’étais jeune, on me racontait que, lors de la Première Guerre mondiale, les Allemands coupaient les mains des enfants, notamment à Dinant. Un jour, quand je me rendis à Dinant pour une excursion, j’observai attentivement tous les enfants. Je m’étonnais de ne voir aucun handicapé. Les adultes m’expliquèrent alors qu’on racontait de telles histoires pour attiser la peur et que c'était courant en temps de guerre. Ce n’était que de la propagande. Par la même occasion, j’appris donc aussi que les adultes pouvaient mentir. Effectivement, on ne peut seulement croire que ce que l’on a vu. Et comme on avait raconté tant de choses sur l’Allemagne de Hitler, j’y suis allé pour me faire ma propre opinion. Puis, je décidai d’entrer dans la Légion Wallonie. »
Discours de Fernand Kaisergruber au Monument commémorant la percée de Tcherkassy, à Bad Windsheim, en février 2001.
Jusqu’en octobre 1941, Fernand Kaisergruber vécut à Cologne et survécut dans un Luftschutzbunker [tour d'abri antiaérien: voir ce blog au 16 mars 2018] au bombardement des Alliés qui provoqua les premiers morts. Comme il parlait déjà bien l’allemand, il fut pris comme traducteur dans la Wehrmacht. Pour pouvoir rejoindre rapidement la Légion sous la direction de la Wehrmacht, il devint membre des Gardes Wallonnes le 3 novembre 1941. Après une pleurésie qui dura plusieurs semaines, il rejoignit le 10 avril 1942 Meseritz, comme volontaire de la deuxième vague d’engagements.
Il participa à toute la campagne du Caucase. L’ordre de marche dans les montagnes eurasiennes signifiait un voyage de 40 jours à pied de plus de 1400 kilomètres. La plupart de ses camarades contractèrent la dysenterie et la malaria ; les plus malades d’entre eux ne purent même pas être renvoyés pour être soignés. Fernand vécut la guerre du Front de l’Est dans toute sa dureté. Le moment où il vit un Camarade blessé être sciemment broyé par un char russe fut le pire souvenir que vécut Fernand et dont il n’oubliera aucune seconde. Son ami avait espéré pouvoir échapper à la confrontation avec l’engin d’acier en rampant habilement. « Je n’ai jamais oublié ces images même encore aujourd’hui », se rappelait Fernand plus tard dans une conversation.
Monument commémorant la percée de Tcherkassy, le 17 février 1944. Ce modeste mémorial fut inauguré en 1969. Cette photo fut prise lors de la dernière commémoration en 2004. Peu après, la plaque de bronze (illustrant géographiquement la percée) disparut (volée ?). Trois ans plus tard, le rocher (provenant d’Ukraine) fut également enlevé pour empêcher toute autre commémoration.
En novembre 1942, les forces allemandes durent se retirer jusqu’à la Mer Noire. C'est alors que Fernand tomba gravement malade : il rejoignit en train et en avion un hôpital militaire allemand à Bruxelles. Là, le 17 janvier 1943, il assista parmi les invités d’honneur à un discours de Léon Degrelle au Palais des Sports de Bruxelles [photo sur ce blog au 16 mars 2018]. Le Chef de Rex confirmait la camaraderie entre Frères d’armes au sein de l’Empire allemand. Il considérait la guerre comme indispensable pour garantir la civilisation européenne.
Fin juin 1943, après un travail préparatoire de Léon Degrelle, la Légion fut incorporée dans la Waffen SS et Fernand devint ainsi Rottenführer [chef de peloton]. L’armée allemande et ses blessés étaient toujours plus fortement repoussés vers l’Ouest. En février 1944, les Soviets organisèrent l’encerclement de Tcherkassy où 50.000 soldats et 50 chars furent pris dans la nasse parmi lesquels plus de deux milliers d'hommes de la Brigade d’ Assaut Wallonie. Autour d’eux 200.000 soldats russes et des dizaines de chars. Fernand servait d’éclaireur en motocyclette.
C'est alors qu'il vécut une expérience terrible qu'il ne pourrait plus oublier. Déjà la veille, il y eut 180 morts à déplorer ; tout comme trois ou quatre jours auparavant, d’ailleurs. La température baissait jusqu’à -37° et il n’y avait à manger que seulement trois fois la semaine. Avec le courage du désespoir, un dernier essai pour rompre l’encerclement fut entrepris. Par groupe de sept à huit hommes, ils s’élancèrent. Pendant la retraite et les combats acharnés, il était accompagné de quelques camarades parce qu’on le considérait comme un véritable « porte-bonheur ».
Par hasard il y avait là des amis de Watermael-Boisfort. Après s’être défendus d’un tir surprise, ils ne furent plus que trois mais il fallait continuer : il n’y avait pas d’autre choix. Soudain Fernand perdit connaissance. Quand enfin il reprit conscience, il était si gravement blessé aux deux jambes par des éclats de grenade qu’il lui était impossible de se mouvoir seul. Une grenade avait explosé entre ses jambes : seules ses jambes étaient touchées mais ses deux camarades qui avaient mis tant d’espoir en lui étaient tombés.
En février 2004, Fernand Kaisergruber prend la parole pour la dernière fois devant le monument de Bad Windsheim.
Fernand rampa dans la neige pour se sauver et ne pas être écrasé par un char russe. Par chance, il fut sauvé par un officier de cavalerie qui lui trouva un cheval et ensemble, ils allèrent à la rencontre des troupes de secours. Encore une fois ce fut de justesse : son cheval fut mortellement touché par la Pak russe et lui-même fut blessé à la main. Mais sur le fleuve Gniloi Tikitsch, ils tombèrent enfin sur leurs propres troupes. Sur l’autre rive se trouvaient trois chars allemands : c’était la délivrance.
Fernand fut transporté dans une maison pour qu’il puisse se remettre de sa fatigue. A côté de lui râlait un camarade de régiment blessé par sept balles de mitrailleuse : « C’est triste de savoir que nous avons réussi à en sortir et que malgré tout, je vais mourir ici ». Quelques minutes plus tard, il était mort.
Au cours de la Kameradchafstabend clôturant la cérémonie de Bad Windsheim en 2004, ultime discours d’hommage de Fernand Kaisergruber au sacrifice des quelque 8000 victimes de la percée de Tcherkassy, qui permit le sauvetage de plus de 50.000 soldats.
De ses quelque 2200 camarades, seuls 687 hommes de sa Division survécurent à l’encerclement. Depuis janvier 1945, celle qui était devenue la 28. SS Freiwilligen Grenadier Division Wallonien était présente sur le front de l’Est. Plus particulièrement en Poméranie, dans des combats difficiles qui provoquèrent de lourdes pertes. Le 30 avril, il était clair que la guerre était perdue, comme se le rappelait Fernand Kaisergruber : « Dans une clairière, nous découvrîmes une maison de garde-barrière à côté de la voie ferrée. Nous voulions passer la nuit là. Le bâtiment était habité et une demi-douzaine de soldats y avait déjà trouvé refuge. Le propriétaire était un homme âgé qui s’occupait de la sécurité des trains. Il avait perdu une jambe à la guerre 14/18. Nous avons trouvé place parmi les autres soldats et avons partagé le pain, assis par terre dans la nuit. En attendant, notre hôte nous parlait de la guerre actuelle et de celle d’avant. Puis on entendit un communiqué spécial à la radio. On annonça la mort de Hitler ! Le contenu de cette annonce secoua tout le monde. L’homme coupa la radio et s’assit parmi nous. Tout le monde se taisait, personne n’avait envie de dire quoi que ce soit. Il régnait un silence insupportable. »
Pour son courage pendant la guerre, Fernand Kaisergruber reçut l’Insigne des combats rapprochés en bronze, la Croix de Fer de Seconde Classe, la décoration d’Infanterie et la Médaille des Blessés en bronze. Ainsi que la Croix de Bourgogne, un ordre du mouvement Rex. Cette décoration montre une épée dirigée vers le haut sur une croix de Bourgogne, avec les mots « Bravoure – Honneur – Fidélité ».
La « Croix de Bourgogne » dont parle Pascal Van Der Sar dans Zeitgeschichte est l’insigne rexiste « Bravoure – Honneur – Fidélité » ou « Ordre du Sang ». Il en existe deux versions : le bronze honorait les plus fidèles membres du mouvement Rex, lui ayant rendu d'appréciables services ou ayant appartenu aux Formations de Combat ; l’argent récompensait surtout des étrangers, notamment des Allemands ayant aidé des Légionnaires au Front.
Le 15 novembre 1944, le Reichsführer SS Heinrich Himmler autorisa le port de cette distinction sur l’uniforme (on la voit sur la tunique de Léon Degrelle, à droite sur la poche de poitrine, sous la Croix de Fer de Première Classe). Mais c'est dès leur engagement que les Légionnaires wallons arboraient fièrement leur insigne politique, ainsi qu'on le voit sur les toutes premières photos de Fernand Kaisergruber, prises lors de son engagement en avril 1942.
Début mai 1945, les Wallons furent faits prisonniers ; pour eux, la guerre semblait finie –une impression trompeuse ! Fernand eut bientôt la possibilité de s’évader du camp de prisonniers. Il essaya d’aller vers l’ouest et passa les nuits dans une ferme bavaroise. En utilisant quelques ruses, il s’infiltra dans le réseau tissé par le service de Sécurité et prit finalement le train pour Charleroi et, de là, vers Anvers où il voulait retrouver sa fiancée. Mais lorsqu’il quitta la gare, il fut contrôlé par des policiers en civil et finalement arrêté.
Le 6 juillet 1946, Fernand, après un procès expéditif de 20 minutes, fut condamné à 20 ans de prison et conduit dans l’ancien camp militaire de Beverloo. Le 5 juillet 1949, il fut transféré au camp de Merksplas, qui était toujours dans un état moyenâgeux. Il refusa de signer une déclaration selon laquelle il n’essaierait pas de s’évader et écopa de 3 jours d’arrêts du directeur de la prison. Le 11 mars 1950, Fernand put quitter définitivement la prison.
C’est seulement le 18 mai 1966 que sa libération fut prononcée officiellement par l’Etat belge.
Rendu à la vie civile, l’Unterscharführer [sergent] Kaisergruber se préoccupa toujours de ses anciens camarades. En 1991, Fernand rendit publics ses souvenirs de guerre dans un livre Nous n’irons pas à Touapse. Du Donetz au Caucase, de Tcherkassy à l’Oder. Une version anglaise n’est sortie qu’en 2016 [voir ce blog aux 21 janvier 2017 et 30 juin 2021]. Il écrivait : « Il serait évidemment présomptueux d'affirmer que tout aurait été parfait si le sort des armes nous avait été favorable si nous avions gagné la guerre. Mais ce n’est pas parce que nous l’avons perdue que nous avions forcément tort. Personne ne peut affirmer que nous n’étions pas absolument honnêtes. Et personne ne put nier nos bonnes intentions ou affirmer que les Légionnaires soient partis par profit au Front de l’Est. Qui pourrait croire ça, d’ailleurs ? Qui aurait été assez fou pour s‘engager à 16, 18 ou 20 ans ou plus âgé encore pour une solde d’un Reichsmark par jour et pour aller mourir au front de l’Est s’il n'était pas motivé par des sentiments bien plus élevés ? Nous avons tout risqué pour un ordre meilleur et plus social, mais l'avons aussi payé cher avec notre sueur et notre sang et nombreux sont aussi ceux qui l’ont payé de leur vie. »
Après la mort de Léon Degrelle toujours aussi apprécié par ses anciens compagnons d’armes (1906-1994), Fernand a fondé une association où sont regroupés aux côtés des Anciens, leurs femmes et enfants ainsi que leurs amis. Le but principal était de soutenir les Anciens et leur veuves.
Une autre tâche a consisté à entretenir les lieux de souvenir, avant tout du monument commémoratif qui fut construit pour ceux de la Légion tombés en Estonie. Jusque peu avant sa mort, Fernand recevait souvent de la visite. De nombreux représentants de la presse allaient et venaient et étaient étonnés de l’énergie et de la vivacité de ce senior. Les lectures de livres d’histoire et sa gymnastique quotidienne maintenaient son esprit et son corps en bonne forme. Son seul défaut fut la cigarette.
Le 16 mars 2018, à l’âge de 95 ans, Fernand Kaisergruber ferma les yeux pour toujours à Jette, près de Bruxelles. Il mourut des suites d’une pneumonie. Quatre jours plus tard, il fut incinéré.
Sur l’avis de décès était inscrit « Honneur et Fidélité », selon ses dernières volontés que respecta scrupuleusement sa famille.