Un conte de Noël de Léon Degrelle
Voici exactement 85 ans, Léon Degrelle publiait dans son hebdomadaire Soirées du 25 décembre 1931, un conte de Noël intitulé Noël en Wallonie.
Le Chef de Rex s’était alors plu à le parsemer d’allusions probablement compréhensibles par les seuls familiers de son pays natal, Bouillon.
Ce nous est un particulier plaisir de redonner vie à ce texte charmant qui enracine judicieusement le récit fondateur de la religion catholique dans l'humus ardennais, non seulement par une nouvelle publication anniversaire, mais aussi en nous efforçant de ressusciter les multiples protagonistes bouillonnais appelés à y figurer activement et en l’illustrant par des images d’époque de ces lieux mythiques drainés par la capricieuse et toujours mystérieuse Semois…
C’est en effet dans son plus célèbre méandre enserrant le Tombeau du Géant que repose désormais une partie des cendres du plus grand fils de Bouillon, avec Godefroid, les cendres du Croisé du nouveau Duché de Bourgogne de l’Empire national-socialiste.
Noël en Wallonie
A mon père.
Ils avaient eu bien des ennuis à la frontière avec les douaniers français. Puis ils avaient pris la Vieille Route. La Sainte Vierge n'en pouvait plus. Il neigeait sans répit. Les bois étaient interminables. Des cris de corbeaux et de geais déchiraient le soir lourd. On descendait maintenant. Tout au fond de la vallée, on voyait des lumières en deux lignes.
Soudain la Sainte Vierge glissa sur la neige. Elle resta étendue, sans bouger, puis deux grosses larmes jaillirent au bord de ses cils. Elle pâlissait affreusement. Saint Joseph aperçut à gauche une petite ferme, toute placardée de tôles. A son appel, un homme barbu, avec des yeux aiguisés, mais d'un bleu très doux, vint l'aider à soutenir la Vierge...
Je m'appelle le père Camus, dit-il simplement, en ouvrant la porte [1]. Puis il fit boire un peu de lait à la jeune dame et lui donna un œuf à gober. Saint Joseph allait repartir. Mais le père Camus s'interposa: Allons m'sieu, le "terme" est tou du verglas, elle n'sauro ni redeschinde à c't'heure-ci à Bouillon, vot’ petit' dame. [2]. La mère Camus qui avait vu l'état de la Sainte Vierge trouva la solution: le « monsieur » allait descendre avec leur gamine et quand ils auraient trouvé un hôtel, on irait conduire la « madame ».
Saint Joseph et la petite firent le tour de Bouillon. Chez Hunin [3], il y avait quarante chasseurs très gros et très riches et il fallait payer trop cher. Chez Marlier [4], « le » [5] Jules Gérard [6] menait un chahut d'enfer parce qu'il perdait aux cartes. Chez Braconnier [7], le Touring Club avait le monopole et déversait ses auto-cars. Quand enfin Saint Joseph arriva à l'Hôtel Saint Charles [8], il était près de neuf heures et la grille de fer ne s'ouvrait plus. La main tiède de la gamine serrait sa grosse main de menuisier. Ils remontèrent le « Terme » ensemble, la petite marchant sur ses « chaussons » [9], Saint Joseph s'appuyant sur un bois pris aux fagots du boulanger.
Le père Camus voulait donner son lit. Mais la Vierge avait préféré s'étendre dans l'étable, près du gros bœuf qui, depuis des années, retournait les terres du coteau... Des chèvres regardaient avec des grands yeux tristes et les petits lapins, curieux et réjouis, pointaient leur museau rose vers la Vierge alanguie dans le foin.
A onze heures et demie, le père Camus passa avec la lanterne: ça va mî, madame ? [10] Puis, tranquillisé, il ferma la porte; précédant sa femme et sa petite, il avança sur la route et partit vers l'église au bout du vallon...
La messe était terminée. Au jubé, l'instituteur en chef [11] entonnait Minuit, Chrétiens... On réveillait les gosses endormis. Les sabots nageaient dans des marécages de neige fondue...
« Le » Léon Biaux [12] se signa et sortit... Tous les Bouillonnais le suivirent. Des chants vibraient dans l'air. Nul ne le remarquait, parce que dans les oreilles dansaient encore les chants de l'église... On descendait, les yeux baissés vers le verglas, la petite « gripette » raboteuse, quand tout à coup une voix fit lever les têtes. « Le » Polidanias [13], sur le pas de sa salle de danse, faisait de grands gestes: r'wetez donc ! [14]. Il se passait des choses extraordinaires. Toute la côte de la Ramonette [15] était embrasée.
L'fu ! [16] cria un enfant ! Mais non, c'étaient des lumières toutes blanches qui couraient par-dessus les sapins, enjambaient les vals et se prolongeaient jusqu'aux Rochers des Fées [17], par-dessus la Semois... Des Anges glissaient dans ces lueurs vibrantes. Les champs et la route du « terme » brillaient comme de l'acier... A gauche, on distinguait nettement, sur une éminence, des sangliers immobiles découpant des hures dans le ciel.
Alors ce fut une folie. Les gens couraient dans tous les sens, devinant un drame inouï et divin sur la hauteur... On s'élançait à travers la rue du Moulin. Au passage, le boulanger « Pedo »[18] venait de jeter à ses enfants, qui avaient de meilleurs jarrets, un pain de Saint Eloi et une tarte au sucre. La femme du « Pacolet » [19] avait bondi à sa vitrine et empilait des paquets de « Boule Nationale » [20] plein son tablier... Sur le Pont de France, Jeanne Raty [21], haletait, un berceau dans les bras... C'était à qui irait le plus vite. Du bout de la ville, le « Pator » [22] qui était filé chercher son clairon, entraînait toute la Maladrerie [23], les femmes se tordant les pieds, les enfants dépassant les vieux dans les rigoles.
« Le » Camus était arrivé le premier et était tombé à genoux au seuil de sa grange. La Sainte Vierge lui tendait un bambin tout auréolé de lumière. Il s'avança sur ses genoux, baisant les petits pieds du Seigneur et s'écroula en pleurant... Tout le monde suivait, se bousculait, sanglotait... Les Anges chantaient, priaient pour cette foule, perdue dans l'ivresse des larmes, tandis que retentissaient au loin, les coups de fusil du Camus qui, après avoir du revers de sa main nettoyé ses pleurs était parti abattre un « capucin » [24] pour le papa et la maman du petit Jésus.
Léon Degrelle.
(Soirées, 25 décembre 1931)
[1] Probablement s’agit-il de Jean Camus, époux de Marie Roy et père d’une petite fille unique, Marguerite.
[2] « Allons, Monsieur, le "Terme" est tout verglacé, elle ne pourrait pas descendre vers Bouillon pour le moment, votre petite dame ».
[3] Gaston Hunin, propriétaire de l’Hôtel de la Poste. Il fut bourgmestre de Bouillon de 1911 à 1920 et reprit ses fonctions à partir de mai 1940 (capitulation de la Belgique) jusqu'en 1944.
[4] Emile Marlier, propriétaire de l’Hôtel Central.
[5] Dans cette région des Ardennes, il est de coutume de mettre l’article défini devant le nom ou le prénom, et même de désigner la personne par un sobriquet , également précédé de l’article défini. C’est ainsi que Léon Degrelle était couramment appelé à Bouillon « le Léon », et son père Edouard, parfois plaisamment désigné par le surnom « le père Jambon ».
[6] Héritier des Etablissements Hyacinthe Gérard et Eugène Didier, fabricants de charnières, toujours actifs aujourd’hui sous le nom HGD, spécialistes en quincaillerie et accessoires de portes et volets.
[7] Henri Braconnier, propriétaire de l’Hôtel de la Semois, actuel Hôtel Bouillon.
[8] La pension de famille Saint-Charles (aujourd'hui maison de repos « Résidence Saint-Charles »), fut fondée en 1905 par les religieuses de l’ordre de Saint-Charles d’Angers, dans l'ancien « château des Moines ». C'est dans sa chapelle, dominant la maison familiale sise rue du Collège, le long de la Semois, que Léon Degrelle se vit refuser la communion le 25 juillet 1943 au prétexte qu'il portait « l'uniforme rexiste » et contrevenait ainsi à la directive du cardinal Van Roey de mai 1941 prescrivant de refuser la communion à qui s'approcherait « de la Sainte Table en se livrant à une manifestation politique » (Léon Degrelle portait en fait et réglementairement son uniforme militaire d'officier –Obersturmbannführer– de la Waffen SS).
[9] Enveloppes de feutre antidérapant dont on recouvrait les sabots pour marcher sur les sols verglacés.
[10] « Ça va mieux, Madame ? »
[11] Sans doute s'agit-il de M. Gengler, instituteur en chef de l'Institut Saint-Pierre.
[12] Léon Billiaux, serrurier, demeurant au lieu-dit « Moulin des Membes ».
[13] André Polydanias (né une semaine avant Léon Degrelle), propriétaire du café « Chez Polydanias », situé en face de l’église de Bouillon, local du Standard FC Bouillon, club de football libéral.
[14] « Regardez donc ! »
[15] Côte assez raide au sud-ouest de Bouillon (par la vieille route de France) aboutissant à un belvédère offrant un point de vue plongeant sur la ville : elle mène au « Terme », à l’opposé du « Point du Jour » (route de Florenville).
[16] « Le feu ! »
[17] La Roche des Fées se dresse sur un vallon de la Semois recevant les ruisseaux descendant de Botassart. Une légende en fait le lieu de réunion de fées y gardant une chèvre d’or ; une autre y voit l’abri de Pierre l’Ermite prêchant la première Croisade à Godefroid de Bouillon.
[18] Le Pédo, Firmin Wauthoz, ancien buteur du club de football catholique Saint-Louis Bouillon (au temps où il avait « de meilleurs jarrets » !) où s’investit aussi avec succès, dans les années 20, le jeune et turbulent Léon Degrelle.
[19] Probablement Mme Merny, tenant le magasin de cigares et de tabacs de la Semois sur la Grand'Place de Bouillon.
[20] Marque belge de cigarettes.
[21] Sœur de Léon Degrelle –1902-1963– qui épousa, le 23 avril 1924, Charles Raty, frère du peintre ardennais Albert Raty (qui réalisa, en 1927, un fusain fameux de Léon Degrelle pour son poème Mon Pays me fait mal). Charles Raty fut torturé à mort dans les prisons de l’« Epuration » en 1948.
[22] Animateur des bals du Casino. Probablement membre aussi de la Fanfare royale de Bouillon. Dans La Chanson Ardennaise, Léon Degrelle en parlera en ces termes : « La Fanfare était à la porte. / […] Les musiciens soufflaient à culbuter les sourds. / Les échos répétaient cette cacophonie / Dont chacun dégustait la suave harmonie. […] / La Fête-Dieu voyait, à nouveau, la Fanfare / Sortir, képis dorés provoquant le soleil. / Dieu devait à nouveau supporter un pareil / Mais encore plus long tintamarre ! » (pp. 65-66).
[23] Nom du quartier sur la rive droite de la Semois qui accueillait au Moyen-Age une léproserie : le quai et la rue de la Maladrerie comptent parmi les principales artères commerçantes de Bouillon.
[24] Un lièvre.