L’Encyclopédie de De Bruyne : mensonges et perfidie (5)
Léon Degrelle et Mgr Picard : une amitié indéfectible
« En décembre 1933, [Mgr PICARD] le met devant le choix entre ses intérêts politiques et l’A.C.J.B., les deux étant incompatibles. »
À nouveau, la réalité est biaisée : tout est exprimé comme s’il y avait une rupture définitive entre Mgr Picard et Léon Degrelle, ce qui ne fut jamais le cas, les deux hommes se conservant mutuellement la plus grande estime et la plus profonde sympathie.
C’est en effet le secrétariat général d’Action catholique (dirigé par Giovanni Hoyois) qui, le 22 décembre, envoie cette « lettre de rupture » et non Mgr Picard.
Mgr Picard, quant à lui, écrit à Léon Degrelle, le 3 janvier 1934, pour lui expliquer que la mise en demeure du Secrétariat général n’est qu’une « pure considération de principe »… C’est ce qu’il manifeste d’ailleurs dans sa lettre au cardinal Van Roey, du lendemain : « Et lorsque la distinction sera bien établie aux yeux de l’opinion, nous reprendrons même occasionnellement la collaboration dévouée que nous avons toujours donnée aux entreprises de Rex et nous ne cesserons pas, même maintenant, de recommander aux catholiques d’aider ces apôtres bouillants et très bien intentionnés. »
Il publiera d’ailleurs aux éditions Rex, au cours de la même année 1934, La Doctrine catholique de l’Etat, ouvrage qui ne sera certes pas sans incidence sur l’évolution des conceptions politiques de son protégé Léon Degrelle (qui habita principalement chez lui durant ses années d’études à l’université de Louvain –de 1926 à 1931–, lui servant la messe tous les matins ; pour souligner encore la proximité entre les deux hommes, rappelons brièvement que Mgr Picard fit, en compagnie de Léon Degrelle d’innombrables conférences sur les Cristeros au Mexique ou le problème de l’incinération, préfaça quelques-uns de ses livres et fut le prêtre qui bénit son mariage avec Marie-Paule Lemay, le 29 mars 1932).
La mise au point que s’efforça de minimiser Mgr Picard vis-à-vis de Léon Degrelle provient de la possible confusion entre l’ACJB et ce qui était devenu le mouvement Rex (au départ maison d’éditions de l’ACJB, dirigée par Léon Degrelle), c’est-à-dire entre l’action catholique et l’action politique. Et si, en 1932, Rex et Léon Degrelle avaient participé activement et avec succès à la campagne électorale du Parti catholique, ils entendaient surtout rénover, régénérer, rajeunir ce parti pour en faire l’instrument de l’apostolat chrétien et lui permettre d’incarner dans la vie politique et sociale son idéal spirituel.
On le voit, le choix ne se pose pas « entre [les] intérêts politiques [personnels de Léon Degrelle] et l’ACJB », mais entre l’apostolat religieux tel que le mène l’association catholique auprès des jeunes étudiants, ouvriers et paysans, et l’incarnation de la doctrine sociale de l’Eglise dans la réalité de la vie de tous les jours par l’action politique, au sein du Parti catholique si possible, et en dehors si nécessaire.
C’est d’ailleurs au nom du Christ-Roi que Léon Degrelle entreprend son combat et appuie l’ancien ministre catholique Paul Crokaert dans sa campagne contre les collusions politico-financières : il publiera ses discours et propagera avec enthousiasme ses idées sur La Réforme de l’Etat. C’est Crokaert qui lancera, dans Le Soir, les premières charges contre les parlementaires cumulards aux « menottes d’or », mais c’est Degrelle qui donnera le premier nom… catholique : le ministre d’Etat Emile Franqui, gouverneur de la Société Générale !
C’est donc pour lever toute ambiguïté vis-à-vis de sa hiérarchie (sinon compromise avec le Parti catholique, du moins le protégeant envers et contre tout) que Mgr Picard avait donné sa démission du conseil d’administration des éditions Rex, tout en précisant publiquement dans un courrier à La Nation belge que « cette démission d’administrateur n’implique pas que je retire ma collaboration et mon appui amical aux Editions Rex » (12 décembre 1933).
Cette ambiguïté levée, il conserve explicitement son appui à Léon Degrelle et Rex dans sa lettre au cardinal du 4 janvier 1934 et laisse donc toute latitude à Léon Degrelle de réagir tout pareillement et clairement : « Brouillés avec l’A.C.J.B. ? Comment pourrait-on imaginer une chose pareille ? L’A.C.J.B. fut notre jeunesse à nous tous, Rexistes. […] Tous les départements de Rex sont dirigés par des anciens militants de l’A.C.J.B. […]. Les soixante-douze permanents de Rex ont été volontairement, froidement, les acteurs d’une aventure héroïque. Ils ont, en quelques années, réalisé, partiellement sans doute, mais vigoureusement quand même, ce que l’A.C.J.B. avait rêvé. »
Et de s’appuyer sur l’encyclique Quadragesimo Anno que le pape Pie XI publia trois ans auparavant : « La charité collective, dont l’action politique est l’une des formes, est aussi nécessaire que la charité individuelle » (Rex, 13 janvier 1934).
Mais pour l’Eglise institutionnelle belge, cela ne suffit pas car Rex qui « veut projeter dans toute la vie moderne un catholicisme ardent, intelligent et intégral » et « se donne à la Belgique pour revigorer son sang grâce à un catholicisme rajeuni » (Rex, 1er juillet 1933), ne s’intègre pas dans les organisations dépendant de la hiérarchie ecclésiastique. C’est seulement cela que put regretter Mgr Picard : que, contrairement à tous les groupements d’Action catholique, tel l’ACJB, Rex néglige « d’y prendre les consignes de ses chefs » (Réaliser, 1er février 1934) et fait donc craindre des « aventures » !
C’est parce que Léon Degrelle était réfractaire à la subordination aux institutions de l’Eglise qu’on exigeait de lui (et comment l’eût-il pu puisqu’elles protégeaient la corruption du Parti catholique ?), que Mgr Picard se résolut à accepter de faire le procès de Rex dans un discours au congrès de l’ACJB, le 5 mai 1935 : « S’il s’agissait de servir directement la cause du Christ et de collaborer à son œuvre, de prendre sa part dans l’apostolat de l’Eglise, ce serait parfait. Mais Rex a d’autres ambitions. Il a celle de servir l’Eglise et le catholicisme, mais il en a d’autres. Léon Degrelle m’a dit vingt fois, il l’a dit à cent personnes, il n’en fait pas un secret, qu’il voulait gouverner son pays. Quel que soit le sens de cette expression et de cette prétention, quoi que l’on pense des aptitudes du chef de Rex à devenir le chef de la Belgique, une chose est pour nous certaine et sacrée, c’est qu’un organisme bâti sur la foi et la charité chrétiennes, une force empruntée à cette même foi et à cette même charité, ne doivent pas, ne peuvent pas servir à préparer de pareilles aventures. » (Revue catholique des idées et des faits, 10 mai 1935).
Ce n’est donc pas de décembre 1933, mais de mai 1935 que date la prise de distance de Mgr Picard avec Léon Degrelle. Mais, insistons-y, certes pas la fin de son amitié, comme l’illustre l’exorde de son discours, où transparaît d’ailleurs l’obligation faite à Mgr Picard par sa hiérarchie de prendre ses distances : « Une raison pour laquelle nous avons envoyé aussi loin que possible la déclaration qu’il est de notre devoir de faire aujourd’hui, c’est l’amitié que nous avons pour Léon Degrelle. […] Les dons de notre pauvre charité seront donc sans repentance, et tout spécialement le don précieux, le don supérieur de l’amitié. Nous ne reprenons pas l’amitié que nous avons donnée » !